L argent mixte - article ; n°1 ; vol.50, pg 227-254
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Description

Communications - Année 1989 - Volume 50 - Numéro 1 - Pages 227-254
28 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1989
Nombre de lectures 66
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Martin Gorin
L'argent mixte
In: Communications, 50, 1989. pp. 227-254.
Citer ce document / Cite this document :
Gorin Martin. L'argent mixte. In: Communications, 50, 1989. pp. 227-254.
doi : 10.3406/comm.1989.1765
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/comm_0588-8018_1989_num_50_1_1765Martin Gorin
L'argent mixte
L'argent, comme l'« économie française, est mixte par nature »
(François Mitterrand, « Lettre à tous les Français », Le Monde, 9 avril
1988), et depuis longtemps. L'Ancien Testament le considère comme
une idole exogène ; les Evangiles, dans un passage célèbre, lui attr
ibuent le rôle prestigieux du rival, comme employeur de l'humanité,
du Maître de la Création. Le Coran, plus moderne, plus pragmatique,
conseille de prêter à Dieu, le meilleur des banquiers, dans un essai de
concilier foi religieuse et intérêt économique - attitude comparable à
celle de la philosophie morale anglaise, avant Hume et l'École écos
saise qui consacrent l'émancipation de l'économique par rapport au
religieux.
Dieu et démon, l'argent est mixte précisément parce qu'il fait
coïncider les opposés. En économie d'abord, compétition et coopéra
tion (depuis Adam Smith), centralisation et fractionnement (Aglietta
et Orléan, 1982), et en économie politique, à travers le couple public
et privé, premier concerné par la mixité restreinte. Mais aussi en psy
chologie, désir et mort du désir, avec un précurseur en la personne
d'Oscar Wilde qui remarquait déjà que, tout en connaissant le prix de
chaque chose, on ne sait plus la valeur d'aucune ; en psychologie
sociale, proximité et distance des êtres et des choses (Moscovici,
1988) ; en sociologie, hiérarchisation et nivellement des groupes par
le travail salarié (Gorin, 1985) ; et, pour finir par le niveau le plus
synthétique et en compagnie de l'auteur le plus complet, en anthro
pologie, sacré et profane (Simmel, 1907/1987).
Coïncidence des opposés encore entre « la bourse et la vie » (il faut
entendre « vie éternelle » dans le joli titre de Le Goff, 1986), mais
seulement après que la théologie médiévale eut inventé le purgatoire,
notion intermédiaire comme l'espace imaginaire et symbolique cor
respondant ; espace destiné non pas tant à accueillir l'usurier, pour
une purification peu enviable avant une félicité éternelle incertaine,
qu'à signifier la tolérance, limitée, de l'Église à l'égard de la dimens
ion monétaire de la vie et du développement économiques.
Les concessions insuffisantes du seul système de légitimation
227 Martin Gorin
d'alors envers le développement de l'échange profane expliquent en
partie le grand schisme de la Réforme. Une révolution psycho
économique, dont les principaux résultats sont la sacralisation du
travail et la sécularisation du Salut. Par comparaison, la Révolution
française aboutira à une sacralisation de l'État qui gardera plus jalo
usement que les systèmes du monde protestant le privilège régalien,
hérité du temple grec ', de la création et de la gestion de la monnaie.
Avec la mondialisation contemporaine des échanges, ce privilège a
perdu et perd de manière accélérée de sa substance, tandis que
s'opère, dans le sens État — *• Marché, un transfert de souveraineté qui
équivaut en France, mais aussi - et de manière spectaculaire - en
Angleterre, si l'on pense à son opposition au SME, à un transfert de
sacré.
Cela explique peut-être l'utilisation du futur par le président de la
Rundesbank lorsqu'il répond aux questions du Monde :
La libération complète des mouvements de capitaux exercera, par
elle-même, une forte pression en faveur de la convergence - une
expression que je préfère à celle de coordination - des politiques
monétaire et économique de chaque pays membre. // y aura là
comme un transfert de souveraineté induit simplement par le marc
hé. Cela me paraît très bon en soi (Karl Otto Poehl, 23 mai 1 989).
Or, ce marché, qui nous était devenu familier sous le nom de Mar
ché commun, est appelé aujourd'hui, alternativement, grand marché,
marché unique, voire « grand marché unique » [Le Monde, 7 sep
tembre 1988). Il a suscité des vocations et des conversions, et il ne lui
manque que la Mecque d'une banque centrale européenne (rôle
détenu provisoirement par la Rundesbank, non pas, évidemment,
dans le sens juridique, mais dans un sens normatif notamment pour
ce qui est du domaine essentiel des taux d'intérêt) qui soutienne la
comparaison avec la Jérusalem de l'économie moderne, la Réserve
fédérale des États-Unis (la « Fed », pour les habitués).
Pourquoi une telle insistance sur le religieux, dans cette évocation
au pas de charge de quelques figures historiques de l'argent ? Parce
que, si, depuis la main invisible, Dieu est caché (Perrot, 1984), il
n'est pas pour autant absent. C'est certainement Simmel, virtuose de
la mixité généralisée, qui a le mieux analysé l'histoire de la cohabita
tion du religieux et de l'économique et son aboutissement dans la
modernité : d'une part, « la fréquente hostilité de la mentalité rel
igieuse et ecclésiastique envers l'argent peut être rattachée (hist
oriquement) à son sentiment instinctif de la similitude des configura
tions psychologiques entre la plus haute unité économique et la plus
228 L'argent mixte
haute unité cosmique, et à la conscience du risque de compétition
entre intérêt monétaire et intérêt religieux » (1987, p. 282), et,
d'autre part, au début du siècle, quand ces lignes ont été écrites,
comme aujourd'hui, « la sensation de sécurité personnelle procurée
par la possession d'argent est peut-être la forme et l'expression la
plus concentrée et la plus aiguë de la confiance dans l'organisation et
l'ordre socio-politiques » [ibid., p. 198).
Plus explicitement encore, il s'agit d'une « croyance méta-
théorique », d'une véritable « foi socio-psychologique, quasi rel
igieuse » [ibid., p. 198), dans la continuité de la politique économique
d'un système ; croyance et foi sans lesquelles la pérennité des
échanges et de la valeur de l'argent ne serait plu9 assurée. Cela,
chaque homme d'État le sait, de sorte que tout discours ou manifeste
politique d'envergure contient une promesse, même circonscrite, de
stabilité :
on n'insistera jamais trop sur l'urgence d'un contrat de stabilité
liant les entreprises et l'État pour une durée déterminée. Les
entreprises ont besoin de savoir où elles vont, de quels atouts elles
disposent, à quoi elles peuvent s'adosser. La stabilité relève aussi
des devoirs de l'État (F. Mitterrand, art. cité).
Que les journalistes appellent le texte de référence cité plus haut la
« Bible » ne contient, en définitive, que ce qu'il faut d'irrévérence, et
c'est ainsi que l'intéressé le prend en répondant ironiquement :
« Pour qui me prenez-vous ? »
L'analyse de la dimension conflictuelle de l'héritage historique est
plus complexe. L'animosité de la religion envers l'argent n'a certes l'influence de jadis, mais elle continue d'inspirer bon nombre de
gens et de discours.
Mais, surtout, elle a été récupérée et adaptée par le mouvement
ouvrier et plus généralement par la gauche, dont la composante mes
sianique a généré un discours d'excommunication de l'argent et de la
finance très comparable dans le fond et dans la forme au précédent.
Exemple de la synthèse de ces deux courants, chrétien et socialiste
atypique pour qui « l'argent, c'est l'Antéchrist », entendant par là que
« l'argent supprime l'éthique en faisant croire qu'il est une éthique »
(Finkielkraut, 1 989), Charles Péguy écrivait :
Pour la première fois dans l'histoire du monde, toutes les puis
sances spirituelles ensemble et toutes les autres puissances matér
ielles ensemble et d'un seul mouvement et d'un même mou

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