L argot comme variation diastratique, diatopique et diachronique (autour de Pierre Guiraud) - article ; n°1 ; vol.90, pg 40-52
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L'argot comme variation diastratique, diatopique et diachronique (autour de Pierre Guiraud) - article ; n°1 ; vol.90, pg 40-52

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Description

Langue française - Année 1991 - Volume 90 - Numéro 1 - Pages 40-52
13 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1991
Nombre de lectures 418
Langue Français

Extrait

Louis-Jean Cauvet
L'argot comme variation diastratique, diatopique et diachronique
(autour de Pierre Guiraud)
In: Langue française. N°90, 1991. pp. 40-52.
Citer ce document / Cite this document :
Cauvet Louis-Jean. L'argot comme variation diastratique, diatopique et diachronique (autour de Pierre Guiraud). In: Langue
française. N°90, 1991. pp. 40-52.
doi : 10.3406/lfr.1991.6194
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/lfr_0023-8368_1991_num_90_1_6194Louis- Jean CALVET
Université René Descartes
Paris V
L'ARGOT COMME VARIATION DIASTRATIQUE,
DIATOPIQUE ET DIACHRONIQUE
(autour de Pierre Guiraud)
Introduction
Pierre Guiraud (1912-1983), professeur en fin de carrière à l'Univers
ité de Nice ainsi qu'à Simon Fraser University (Toronto, Canada) et à
Indiana University (U.S.A.), est connu pour ses études dans le domaine de
la lexicologie, en particulier la lexicologie argotique : c'est par exemple lui
qui, le premier, s'est attaqué au problème du décryptage des « ballades en
jargon » de François Villon (cf Le jargon de Villon ou le Gai savoir de la
Coquille, Paris, Gallimard 1968) après avoir travaillé en précurseur sur
l'approche statistique des phénomènes lexicaux (Les caractéristiques
statistiques du vocabulaire, Paris, PUF, 1954). Ses travaux sur la moti
vation des structures étymologiques sont également célèbres (en particu-
lier Les du lexique français, Paris, Larousse,
1967, réédition Payot 1986 et Dictionnaire des etymologies obscures, Paris,
Payot, 1982), et il a par ailleurs publié un grand nombre d'ouvrages de
vulgarisation sur l'histoire de la langue française dans la collection « Que
Sais- je ? ».
Dans les dernières années de sa vie, Pierre Guiraud avait mis en
chantier deux ouvrages qui résumaient une partie de ses travaux. L'un,
consacré à l'histoire des « sociétés argotophones » françaises, ou si l'on
préfère à du « milieu » abordée d'un point de vue linguistique,
devant servir d'ouverture à l'autre, un dictionnaire historique de l'argot.
Ces ouvrages, inachevés et inédits, s'ajoutent donc à un fonds important
d'études argotiques constitué :
— De plusieurs articles inédits s'étalant sur trente ans et consacrés
à l'argot ou plus généralement à la lexicographie (l'un d'entre eux a été
publié par les soins de L.-J. Calvet dans Hommage à Pierre Guiraud, Les
belles lettres, 1985).
— Du premier chapitre de l'histoire des argots, consacré aux
Coquillards, texte achevé et cohérent.
— D'un énorme manuscrit de dictionnaire historique de l'argot
(plusieurs milliers de feuillets), dont l'état d'achèvement ne peut être
évalué sans une étude approfondie.
40 Dans le présent article on essaiera, « autour de Pierre Guiraud »
donc, d'esquisser, à propos de ce qu'il est convenu d'appeler l'argot, une
analyse soulignant en quoi des telles études posent des questions à la
science linguistique.
Le parcours lexical
Bien des lecteurs de la Grammaire des fautes ont été frappés par le
caractère extrêmement fugace du corpus de Frei. Ce que l'auteur consi
dérait en 1929 comme « fautes » a en effet aujourd'hui un statut varié :
certaines formes ont disparu, d'autres sont toujours considérées comme
« fautes », d'autres enfin (comme décimer ou coupes sombres, utilisés à
contre-sens...) sont intégrées dans la langue commune et ne gênent guère
que les puristes. On a également très souvent ce sentiment de la relativité
historique des corpus lorsque l'on feuillette des dictionnaires d'argot
ancien. Qui se souvient par exemple que le verbe amadouer désignait dans
le jargon de l'argot réformé une pratique consistant à se frotter le visage
avec de l'amadou pour apitoyer le gogo ? Qui sait que le polochon, dont les
dictionnaires nous donnent le plus souvent l'origine comme inconnue,
apparaît pour la première fois dans l'édition de 1849 du Jargon de l'argot
réformé et vient sans doute de l'argot des casernes ? Qui sait enfin que le
mot mine (ou minois) ne vient pas du breton comme on le dit souvent mais
apparaît en 1596 dans La vie généreuse des mercelots et constitue sans doute
une image sur les faces diverses que manifeste la mine ou le minet,
c'est-à-dire le chat ?
Ces quelques exemples témoignent donc d'une circulation lexicale qui
mène certains mots du vocabulaire argotique au vocabulaire général,
circulation qu'il faut intégrer à toute description de l'argot. Dans un
ouvrage consacré au plurilinguisme italien, Tullio de Mauro définissait
récemment ce qu'il appelait le « plurilinguisme interne à une langue »,
constitué de variations diastratiques (relatives aux strates sociales), diato-
piques (relatives aux lieux) et diachroniques (relatives aux générations) :
« Le variazione diastratiche, diatopiche, diacroniche di ciascuno lingua
costituiscono cio che chiamiamo il plurilinguismo interno » *. C'est de ce
point de vue qu'il convient de considérer l'ensemble des phénomènes
lexicaux que l'on regroupe sous le terme vague et fédérateur d'argot,
comme un ensemble de variation, qui, selon les cas, peuvent relever du
diastratique, du diatopique ou du diachronique. Ainsi, certaines formes
contemporaines de verlan sont typiquement des variations diachroniques
(formes de reconnaissance des adolescents), certains argots sont typique
ment diastratiques et, le « jargon » des coquillards, si l'on en croit les
1. T. de Mauro, L' Italia délie Italie, Roma 1987 page 23.
41 propositions de décryptage de Pierre Guiraud, relève de variations
diatopiques (il était fondé sur les dialectes de l'est de la France).
De la même façon donc que les « fautes » (pas seulement celles
relevées par Frei, bien sûr) sont souvent les formes normales de demain,
les mots d'« argot » ont souvent pour avenir d'intégrer le vocabulaire
général dont seuls le séparent des choix stylistiques. Considéré ainsi, ce
que nous continuerons par commodité d'appeler argot ne constitue jamais
qu'une des formes de la langue, un corpus linguistique qui doit s'analyser
comme tout autre corpus linguistique. En particulier, la créativité lexicale
repose sur les mêmes lois, les mêmes principes, qu'elle se manifeste dans le
vocabulaire général ou dans le vocabulaire argotique : dans bien des cas
d'ailleurs un mot n'est considéré comme qu'avant d'être admis
dans le vocabulaire général, il accomplit ce que j'appellerai un parcours
diastratique, diachronique ou diatopique. Dès lors il n'y a pas lieu de
distinguer, du point de vue lexicologique, entre argot et non argot : les
rares différences relèvent plus de la stylistique que de l'information, et la
fonction cryptique qu'on évoque le plus souvent ne distingue pas
vraiment ce qu'on appelle argot. Si nous sommes effectivement sans cesse
confrontés à des mots que seule une minorité de locuteurs peut comprend
re à leur apparition (et qui ont d'une certaine façon une fonction
« cryptique ») et qui passent ensuite dans le vocabulaire général, ils
relèvent aussi bien de variations diastratiques (le technique,
par exemple le mot logiciel il y a quelques années) que diachronique (le
verlan des adolescents que les parents pénètrent lentement) ou que
diatopiques (bien des innovations lexicales viennent de la capitale et
pénètrent lentement la province, mais l'inverse peut se produire :
pitchoun).
Le pognon, le grive et le maquereau
C'est de ce point de vue que je voudrais évoquer l'apport de Pierre
Guiraud à l'étude de l'argot. Il importe tout d'abord ici de souligner qu'il
ne faut pas séparer ses travaux d'étymologie argotique (dont, nous l'avons
dit, une grande partie est inédite, le reste étant dispersé dans divers
articles) de ses travaux d'étymologie générale et qu'il y a une même
démarche dans les Structures Étymologiques du Lexique Français, dans le
Dictionnaire des Etymologies Obscures, et dans les travaux que je vais
évoquer ici. C'est pourquoi, l'on ne peut guère à mon sens comprendre les
textes de Guiraud sur le jargon de Villon, sans avoir lu les St

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