L école russe en 1914 - article ; n°3 ; vol.19, pg 285-300
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L'école russe en 1914 - article ; n°3 ; vol.19, pg 285-300

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Description

Cahiers du monde russe et soviétique - Année 1978 - Volume 19 - Numéro 3 - Pages 285-300
16 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1978
Nombre de lectures 10
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Wladimir Berelowitch
L'école russe en 1914
In: Cahiers du monde russe et soviétique. Vol. 19 N°3. Juillet-Septembre 1978. pp. 285-300.
Citer ce document / Cite this document :
Berelowitch Wladimir. L'école russe en 1914. In: Cahiers du monde russe et soviétique. Vol. 19 N°3. Juillet-Septembre 1978.
pp. 285-300.
doi : 10.3406/cmr.1978.1322
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/cmr_0008-0160_1978_num_19_3_1322WLADIMIR BERELOWITCH
L'ÉCOLE RUSSE EN 1914
Au xixe siècle, l'intelligentsia russe se forme dans les salons littéraires,
les universités, les kruzki, les rédactions des revues. Au tournant du siècle
elle commence à jouer dans les zemstva un rôle autre qu'idéologique. Car
ils sont à la fois un lieu de formation et une sphère d'activité pour une
intelligentsia professionnalisée : ingénieurs, juristes, agronomes, inst
ituteurs enfin. On sait la place que tenait l'école primaire dans la vie des
zemstva. La généralisation de l'instruction primaire, projetée, voulue, peut-
être sur le point d'être réalisée, n'avait donc pas seulement une incidence
sur l'évolution des campagnes russes. Cette instruction était aussi l'une
des voies par lesquelles l'intelligentsia prenait pied dans la réalité, découv
rait une identité et une raison d'être. C'est dans les zemstva qu'elle
commençait à connaître le monde rural et à agir sur lui, en particulier par
le truchement de l'école. Autour de celle-ci, il se forme un corps d'institu
teurs, des militants de la scolarité pour tous, des administrateurs des
affaires scolaires, des idéologies scolaires enfin, qui fleurissent à la fin
du siècle et qui exaltent les diverses missions qu'on assigne à l'école.
Dans cette optique, nous voulons présenter brièvement l'essor de
l'école primaire et secondaire russe au début du siècle : à partir d'un bilan
de son état en 1914, nous nous interrogerons sur les conditions dans
lesquelles cet essor se produisit, sur les incidences qu'il eut sur l'évolution
de l'intelligentsia, sur la signification qu'il convient de lui donner.
V école pour tous
La grande question qui domine l'histoire de l'école russe des dernières
années de l'ancien régime est celle de l'alphabétisation de la Russie.
On savait la population illettrée dans sa masse. Le recensement de 1897
confirma le retard de la Russie sur les autres pays européens : 27 % de la
population âgée de neuf ans et plus sachant Hre et écrire (21 % pour
l'ensemble de la population), ce sont là en gros les chiffres de la France
de Louis XIV1. La Russie cultivée ressent ce fait comme une humiliation
nationale, un vide à combler. Mais au lieu de se cantonner dans le domaine
des idées, elle définit ce retard en termes concrets et elle envisage les
moyens pratiques de le combler. Il s'agit bien sûr de l'instruction primaire
et c'est par elle que nous allons commencer.
Quelques chiffres d'abord2. En 1898, on dénombre en Russie environ
Cahiers du Monde russe et soviétique, XIX (3), juil.-sept. 1978, pp. 285-300. 286 WLADIMIR BERELOWITCH
70 000 écoles primaires et 3 600 000 élèves. En 1915, il y en a respective
ment 115 000 et 8 000 000. En dix-sept ans, la population scolaire a plus
que doublé, principalement grâce aux progrès de l'école publique. Les deux
dernières décennies de l'ancien régime sont donc celles où l'école primaire
« décolle » réellement. Si nous remontons le temps, nous constatons que
l'école sort du quasi-néant où elle se trouvait dans les années 60 (avec la
création des zemstva) et jusqu'au début des années 80. Suit une période
de stagnation d'une quinzaine d'années et le développement reprend, avec
une accélération toute particulière après 1908 : de 1908 à 1914, le rythme
d'ouverture des écoles primaires est de 8 000 à 10 000 par an, ce qui est
énorme3.
Dans quelles conditions s'est effectué ce « décollage » ? L'image qu'on
rencontre souvent chez les historiens soviétiques et les militants des
zemstva d'avant-guerre, c'est celle d'un État qui résiste à toute idée de
développement de l'école primaire et qui fait tout pour le freiner, alors
que la partie la plus « progressiste » de la société pousse au contraire dans
le sens d'une instruction générale. En fait, la situation est plus compliquée.
A un niveau élémentaire d'abord, on constate que les efforts financiers de
l'État et ceux des zemstva suivent la même courbe ascendante, comme si
le mouvement était parallèle4. A cet égard, il est particulièrement instruct
if de suivre le cheminement de l'idée même d'instruction obligatoire.
Si elle apparaît pour la première fois sous le règne d'Alexandre Ier,
on ne commence à en parler sérieusement qu'à partir des années 60.
Or, ce qui est intéressant, c'est que les résistances viennent à la fois de
l'État (principalement pour des raisons financières et à cause de son
désintérêt) et de la société civile : les nobles sont peu soucieux de faire
endosser des charges supplémentaires aux zemstva et de déstabiliser le
monde paysan, avec l'exode rural que pourrait entraîner son instruction.
Dans l'intelligentsia elle-même, on se méfie du projet d'instruction obli
gatoire, derrière lequel on soupçonne la main perfide de l'État. Le raiso
nnement est souvent de type populiste : le peuple aspire à l'instruction,
il faut donc le laisser venir à l'école, qui sera une école du peuple (narod-
naja škola). Nous pensons donc qu'il faut abandonner l'image idéale des
zemstva comme pionniers de l'instruction primaire dès sa création. Si cela
devient vrai à la fin du siècle, dans les années 60 les zemstva s'y intéressent
encore peu et conçoivent leur action souvent comme un simple encoura
gement aux communautés paysannes5. A l'inverse, on trouve, parmi les
hauts fonctionnaires des défenseurs de l'école obligatoire et, en premier
lieu, le comte D. Tolstoj qui fut ministre de l'Éducation de 1866 à 1880 et
qui, dès 1862, élabora un plan précis. Les années 1860-1870 voient donc
naître un projet encore abstrait, mais déjà pris au sérieux à la fois par
l'État et par l'intelligentsia, avec de grandes résistances dans chaque
camp. Bon an, mal an, c'est cette période qui vit démarrer véritablement
l'école primaire.
Le projet de l'école obligatoire reçoit un coup sévère après les calculs
qui furent faits en 1880 : pour scolariser l'ensemble de la population, il
aurait fallu 260 000 écoles, alors qu'à l'époque, il y en avait 20 000e.
La période de stagnation qui suivit connut un regain de populisme.
On abandonne le terme ď « instruction obligatoire » (objazatel'noe obu-
čenie) au profit de celui de l'instruction pour tous (vseobščee obučenie). l'école russe en 1914 287
C'est le peuple lui-même qui doit prendre en charge son éducation. On se
tourne alors vers tous les embryons d'écoles paysannes, où des gramotet
locaux, soldats en retraite, instituteurs occasionnels donnaient quelques
rudiments de lecture et d'écriture. Léon Tolstoï, par exemple, était hostile
à une école d'État, inapte selon lui à alphabétiser la Russie, et préconisait
des écoles prises en charge par les paysans, qui garderaient l'initiative
privée de les ouvrir7. Reculant devant l'immensité de la tâche qui s'impos
ait à la société, on préférait ainsi en revenir à une sorte d'autodidactisme
généralisé. Or il est frappant de constater que l'État adopte à la même
époque une position symétrique : ce qu'il souhaite, c'est le développement
des écoles d'alphabétisation (Školy gramotnosti) et des écoles paroissiales.
De sorte que le populisme rejoint l'Etat dans l'abandon du projet d'école
obligatoire. Si l'État entendait ainsi privilégier le rôle de l'Église et
accroître son emprise idéologique sur la population par le truchement de
celle-ci, l'intelligentsia recommande des solutions voisines, dans l'espoir
q

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