L enfant bâtard et la langue du père - article ; n°2 ; vol.15, pg 83-94
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Description

Bulletin de l'Association d'étude sur l'humanisme, la réforme et la renaissance - Année 1982 - Volume 15 - Numéro 2 - Pages 83-94
12 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1982
Nombre de lectures 28
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

André Godin
L'enfant bâtard et la langue du père
In: Bulletin de l'Association d'étude sur l'humanisme, la réforme et la renaissance. N°15, 1982. pp. 83-94.
Citer ce document / Cite this document :
Godin André. L'enfant bâtard et la langue du père. In: Bulletin de l'Association d'étude sur l'humanisme, la réforme et la
renaissance. N°15, 1982. pp. 83-94.
doi : 10.3406/rhren.1982.1313
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rhren_0181-6799_1982_num_15_2_131383
L'ENFANT BATARD ET LA LANGUE DU PERE.
Dans l'admirable et essentiel colloque d'Erasme, Le banquet religieux, le maître
de céans, Eusebius alias Erasme, invite d'abord ses huit hôtes à faire un tour de jardin. Sur
la porte d'entrée, une image de saint Pierre, portier de ce lieu symbolique qui tient à la fois
du jardin d'Epicure, du paradis terrestre et du paradis céleste :
«EUSEBIUS.- Et mon gardien n'est pas muet : il parle au visiteur en trois lan
gues.
TIMOTHEUS.- Que dit-il ?
EUSEBIUS.- Pourquoi ne lis-tu pas toi-même ? La distance est bien trop grande pour que ma vue porte jusque-là Tiens, avec ces lunettes, tu seras un véritable Lyncée.
TIMOTHEUS.- Je vois du latin : «Si tu veux entrer dans la vie, observe les com
mandements», Matthieu, chapitre 19.
EUSEBIUS.- Lis maintenant le grec.
THIMOTHEUS.- Je vois bien du grec, mais lui ne me voit pas. Je passe donc le
flambeau à Theophilus qui ne cesse d'en déclamer.
THEOPHILUS.- «Repentez-vous et convertissez-vous», Actes (des Apôtres) 3.
CHRYSOGLOTTUS.- Je vais me charger de l'hébreu : «Le juste vivra par sa foi»
(1)»
Dans cette conversation enjouée, dépourvue, semble-t-il, d'arrière-pensées théo
logiques ou d'arrière-plans affectifs, j'observe pourtant deux détails, d'inégale importance,
mais qui nous placent d'emblée au cœur du sujet. En premier lieu je note que la sentence
en hébreu est déchiffrée par un personnage dont le nom est une variante du surnom donné
à un Père de l'Eglise, saint Jean dit Chrysostome «champion de l'imprécation anti-juive»
(2). Je remarque surtout, en second lieu, qu'à la différence des deux autres cette citation
biblique ne comporte aucune référence (3). Oubli singulier de la part d'un exégète comme
Erasme, oubli très significatif s'agissant d'un passage tiré de l'ancien Testament, très préc
isément d'Habacuc, 2,4, où vous avez reconnu la formule-choc de la justification par la foi
d'après YEpître aux Romains (1, 17), signature textuelle chez Saul de Tarse de sa rupture
doctrinale avec la religion de ses ancêtres. De la part d'Erasme, omettre d'exhiber la réfé
rence naturelle de la citation, n'est-ce pas subtilement ou involontairement suggérer que le
corpus hébraïque de l'ancien Testament n'a plus de référant à soi, qu'il est tout entier
dépendant du corpus grec du nouveau Testament ?
L'effet dépréciatif se trouve confirmé par les commentaires d'Eusebhis sur ces
citations trilingues et sur un autre groupe de phrases accompagnant cette fois une repré
sentation de Jésus sur l'autel d'une petite chapelle sise en ce même jardin des délices «où
les plantes non plus ne sont pas muettes» (72, 117). Après avoir souligné une première
fois que «ce ne sont pas les œuvres mosafques qui donnent la vie» (71, 83), Eusebhis-
Erasme précise à nouveau que pour atteindre la Vie éternelle, qui est Jésus lui-même, il
faut absolument «rejeter les ombres judaïques» (71, 96). 84
désignations ou dénominations du Christ, à sa disposition dans l'Ecriture canonique,
Erasme a retenu celle de V Apocalypse (1, 8). Pourquoi ce choix dans un livre, si peu prisé
de l'humaniste qu'il en a bâclé l'annotation dans son Novum Testamentum, pourquoi cet
emprunt au seul des écrits néo- testamentaires dont il s'est toujours refusé à faire la Para
phrase ? Surmontant ici ses réticences d'exégète et de théologien, le grammairien Erasme
s'enchante -et le dit avec éclat- de voir le christocentrisme, qui constitue le cœur de sa rel
igion personnelle, exprimé au mieux par la première et la dernière lettre de l'alphabet grec.
Dans cette simple proclamation, l'amour des lettres et le désir de Dieu coïncident pour le
plus grand plaisir de notre helléniste chrétien (4) : consécration de la grammaire par l'Ecri
ture sainte, dignité du langage humain dont les deux lettres extrêmes, récapitulant la total
ité de la chaîne alphabétique, sont établies en quasi-sacrement du Christ en personne.
Il serait facile de relever et d'analyser d'autres traits qui font véritablement du
domaine d'Eusebius un endroit où l'on cause, mieux un espace idéal de parole, voire un
lieu symbolique où «çà parle» (5). Davantage encore, il importe d'observer qu'en cette
«demeure toute bruissante de mots», loquacissimam (72,118), le logos prédominant est le
grec comme il ap parait encore au dernier acte : la remise des cadeaux aux invités. Entre
autres, quatre livres sont distribués : ils expriment la totalité de la production littéraire
en grec (6).
Répétitives, disséminées dans la trame d'un récit qui n'est lisse qu'en apparence,
ces notations souvent infîmes imposent d'autant plus la question, chez Erasme, d'une hié
rarchie entre les langues et de ses raisons secrètes. Aussi, vais-je d'abord établir la typologie
comparée des principaux textes érasmiens sur les trois langues sacrées, avant de tenter une
remontée aux sources vives d'une passion d'helléniste, doublée d'un dépit d'hébraïsant
manqué.
UNE NOMENCLATURE COMPLEXE.
Un premier ensemble de textes traite sur un plan d'égalité l'hébreu, le grec, le
latin. Ce sont en général les énoncés, plus ou moins apologétiques, liés aux conflits qui ont
accompagné les efforts du mouvement humaniste européen pour intégrer, par le biais des
collèges trilingues (7), l'étude de ces langues dans les structures universitaires existantes.
Partie prenante d'une lutte d'imposition collective, Erasme a dans ce cas tendance à taire
ses secrètes préférences et à valoriser en bloc les trois langues par la double caution de
l'Ecriture et du magistère ecclésiastique.
Reprenant par exemple le topos patristique de l'inscription trilingue sur la
croix de Jésus (Le, 23, 38), il note sobrement :
"assurément, c'est la raison même pour laquelle ces trois langues, seules de toutes
les langues à avoir été consacrées (dedicatae) sur la croix de notre Seigneur Jésus
Christ, devraient être chères à tous les chrétiens (8).B 85
Ici, la nécessité d'une étude conjointe des trois langues sacrées (supérieures en
dignité à tous les vernaculaires existants) n'est que suggérée. Ailleurs, elle est clairement
établie, moyennant une double méprise, sur d'anciens documents officiels de l'Eglise.
D'après une décision du concile de Vienne (1311), promulguée parles Constitutions (V,I,
1) de Clément V, devaient être nommés, dans chacune des quatre universités de Paris,
Oxford, Bologne et Salamanque, deux professeurs chargés d'y enseigner l'hébreu, l'arabe
et le chaldéeen. Le but assigné était de mieux former les missionnaires pour la conversion
des infidèles (9).
Entre 1501-1518, citant à quatre reprises au moins (10) le décret pontifical,
Erasme le modifie (involontairement d'abord, puis sciemment) sur deux points caractéris
tiques : il affirme que les trois langues en question sont l'hébreu, le grec (11), le latin et
que le dessein du décret est de prescrire l'étude de l'Ecriture, d'en faciliter la compréhens
ion grâce aux trois langues sacrées, lesquelles sont bien plus nécessaires que la philosophie.
Là où le document parlait «evangelisation», Erasme lit interprétation de textes, laissant
entrevoir par ce lapsus devenu ensuite erreur délibérée quel but il assigne lui-même à
l'enseignement de ces langues anciennes.
A côté de cette première série de textes, il y a la masse des énoncés théoriques
qui louent et préconisent exclusivement le grec et le latin : citons-en deux parmi les plus
explic

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