L Entrebescamen des mots et des corps - article ; n°11 ; vol.5, pg 111-127
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L'Entrebescamen des mots et des corps - article ; n°11 ; vol.5, pg 111-127

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Description

Médiévales - Année 1986 - Volume 5 - Numéro 11 - Pages 111-127
17 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1986
Nombre de lectures 22
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Monsieur Jean-Charles Huchet
L'"Entrebescamen" des mots et des corps
In: Médiévales, N°11, 1986. pp. 111-127.
Citer ce document / Cite this document :
Huchet Jean-Charles. L'"Entrebescamen" des mots et des corps. In: Médiévales, N°11, 1986. pp. 111-127.
doi : 10.3406/medi.1986.1043
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/medi_0751-2708_1986_num_5_11_1043- Charles HUCHET Jean
U'ENTREBESCAMEN" DES MOTS ET DES CORPS
Les études littéraires médiévales se déploient majoritairement dans deux
directions : la monographie et l'histoire littéraire. La première, étendue ou non à un
"corpus" restreint, vise à saisir la spécificité d'un texte dans la manifestation de ses
particularités; la seconde (qu'elle s'intéresse aux milieux, aux formes ou aux styles)
dans le jeu des différences qu'articule la diachronie. Désubjectivant le regard
critique, l'une et l'autre renforcent l'Manachronisme" du texte posé comme objet
scientifiquement étudiable.
La lecture proposée par R. Dragonetti, dans la Vie de la lettre au
Moyen-âge (1) puis plus récemment dans le Gai savoir dans la rhétorique courtoise
(2), subvertit cette bi-polarisation en affichant sa subjectivité et son refus de
l'histoire. Le Gai savoir... s'inscrit dans une théorie générale de la littérature
courtoise, à l'élaboration de laquelle participent tout aussi bien les troubadours que
le Roman de la rose et les Testaments de Villon. Pour R. Dragonetti, les
entament une réflexion sur l'écriture qui excède le Moyen-âge, nourrit l'œuvre de
Dante et la Délie de M. Scève, trouve son point d'aboutissement avec S. Mallarmé
et se déchiffre avec M. Blanchot et J. Lacan. Cette perspective ne va pas sans
quelques rapprochements hâtifs, sans quelques forçages des textes qui n'invalident
pas totalement la démarche puisqu'elle cherche moins à articuler des différences
qu'à mettre en valeur une constante : le jeu retors du signifiant poétique (la "lettre")
qui, déplaçant sans cesse le sens, renvoie la littérature à elle-même. On ne saurait
donc mesurer la lecture du Roman de Flamenca proposée par le Gai savoir... à
l'aune des monographies habituelles; le roman occitan n'y est que l'occasion de
libérer, dans une langue elle-même contaminée par le "gay saber", le ludisme de la
rhétorique courtoise dont J. Lacan, plus que les Leys d' Amors et les mainteneurs de
la "Sobregaya Companhia des VII. trobadors de Tolosa", permet de comprendre
1. R. Dragonetti, La Vie de la lettre au Moyen-age, Paris. Seuil. 1990. Sur ce livre, cf. J.Ch. Huchei, -La langue
et ses plaisirs*, L'ANE, n°2, Paris, 1981 et l'importante mise au point de Ch. Mêla. «La lettre tue».
Cryptographie du Graal», Cahiers de civilisation médiévale. XXVI. 1982. Poitiers p. 209-21.
2. R. Dragonetti, Le Coi savoir dans la rhétorique courtoise. Paris. Seuil. 1982. 112
l'enjeu. Les hardiesses, voire les erreurs, et la belle indifférence de R. Dragonetti à
l'égard de la philologie et de la tradition manuscrite agaceront maints spécialistes.
Toutefois, la nouveauté et la subtilité de l'analyse, réhaussée par une écriture
superbe, constituent une invite à présenter une pensée dérangeante et fournit
l'occasion de cerner, en contrepoint, la place de la littérature occitane dans les
études médiévales d'aujourd'hui.
Le trou
La réflexion conduite dans le Gai savoir... prend appui, dès l'introduction
(p.8), sur une ressemblance phonétique associant, en langue d'Oïl, la "troveûre" (la
trouvaille poétique) à la "troeùre" (le trou). La "trouvaille" est donc cette emulsion
de langue qui se cristallise en un poème où le sens s'abolit pour mieux laisser aux
mots le pouvoir de chanter le vide (le "dreyt nien" du comte de Poitiers) dont ils se
soutiennent. Ecrire revient à effacer, à laisser la langue se réjouir de la débâcle
qu'elle organise, jusqu'au bord d'un amuissement général où l'ultime lettre équivaut
au trou.
Les échos sonores de la langue d'Oïl produisent des effets de sens
difficilement exploitables dans le domaine occitan. En langue d'Oc, la "troba" (la
trouvaille) ne renvoie qu'au "trobar", à l'art de trouver un "trope" (3) qui définit le
"trobador", non au "trou" évoqué dans le Roman de Flamenca pax le mot "pertus"
(cf. v. 1315, 1388, 2409,...). Ce que la langue n'autorise pas (est-ce là un de ses
tours?), la fiction le représente-t-elle? La partie la plus connue du roman (v.
1560-6928) conte la manière dont Guillem, déguisé en clerc, et Flamenca parvien
nent à échanger, à l'insu d'un mari jaloux, des "mots" qui, mis bout à bout, forment
une "cobla" (une strophe poétique) dont les premières unités ("Ailas! Que plans? •
Mor mi") évoquent celles d'une "cobla" du troubadour Peire Rogier ("Ailas! - Que
plangz? - Ja tem morir"...). La naissance de l'amour scande l'éclosion du poème et
la théorie de l'amour qui s'y distille (la "fin'amor") s'y double d'une réflexion sur le
"troba". Le Roman de Flamenca met en fiction un "poétique" du "trobar". Au
nombre de vingt, les "mots" échangés s'éploient autour du vide créé par un "mot" tu
(«Prens H») que Flamenca, après l'avoir longuement décliné dans sa solitude, ne
prononce pas à l'oreille de Guillem. Pour R. Dragonetti, ce mot effacé constitue le
«centre silencieux» du poème, celui où la trouvaille s'identifie au trou. Le poème
ménage ainsi en son sein la place du silence sur le fond duquel se détache, fragile,
l'écriture. Silence qui prendra tout son sens lorsque, dans les bains, les amants
réunis préféreront les jeux de mains à celui des mots. R. Dragonetti décrit les
anamorphoses de cet abyme ouvert dans la langue courtoise et en saisit l'image dans
le tunnel reliant la chambre de Guillem à l'établissement de bains où se rend
Flamenca; chemin frayé par le silence, aboutissant aux ébats des amants dans
lesquels la langue réfléchit, au-delà de tous sens, sa propre gymnastique. Foré en
grand secret, le tunnel, une fois achevé, est parfaitement invisible; le sol de la
3. a. P. Guiraut, «La stucture* etymologise» du «troter». Poétique, n°8, Paris, Seuil, 1971, p. 417-26. 113
chambre d'où il part ne laisse rien paraître. Page blanche désertée par le signe ou la
marque qui, indiquant le «pertus», s'en fût donné pour l'équivalent scriptural. Le sol
offre la lisseur de sa surface au regard pour mieux dérober son secret. Mais la
marque effacée trouve à se représenter ailleurs, dans la manche («mancha» / «mar-
ga»/«manega») (autre tunnel) de Flamenca arborée par Guillem dans un tournoi
contre le comte de la Marca. Cette manche renvoie elle-même au «senhal de
drudaria» qui abusa la reine au début du récit et suscita la jalousie d'Archimbaut.
Les jeux du signifiant («Marca» / «marga») supportent une fiction qui thématise la
réflexion sur elle-même d'une écriture hantée par le silence et représentant ce
qu'elle veut taire.
On ne saurait suivre R. Dragonetti au-delà, lorsqu'il s'aventure à repérer
les traces de cette écriture trouée dans la matérialité du manuscrit. Après étude du
manuscrit unique de Carcassonne et sur la foi de la discontinuité diégétique du texte,
la critique savante, unanime, avait admis comme un postulat que le texte des
«salutz» écrits par Guillem pour Flamenca et lus par Archimbaut avait disparu avec
deux des feuillets arrachés. R. Dragonetti voit dans cette importante lacune non le
signe d'une transmission hasardeuse ou d'une malveillance, mais le produit d'une
«poétique de la discontinuité» matérialisant le trou qui impulse sa vie à l'écriture
courtoise. Le texte manquant des «salutz» jouerait dans le roman un rôle équivalent
au «respons» non prononcé («Prens li») par Flamenca : il serait là sans être là,
ailleurs, centre muet d'une écriture effondrée

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