L exécution soumise au regard - article ; n°1 ; vol.75, pg 57-74
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Description

Communications - Année 2004 - Volume 75 - Numéro 1 - Pages 57-74
The analysis of the look on executions allows us to understand how it goes with or is part of the evolutions in punishment modes, and how the execution ceremony is submitted to it. Confined to an audience position, this regard tries to avoid the breakthrough of sadism in the contemplation of the execution, which would be the opposite of the wills of edification and deterrence of the publicity. The development of mechanical executions with the guillotine speed up the pace of the execution and forbid a long look. The closing of the look, from the moment it's not staged, leads to a migration of the spectacle from the scaffold as a focus point to the audience. In the USA, its partial cloaking is done for the benefit of the victims' families. This restricted look is now problematic, according to the emergence of a debate on a fantasized form of publicity : the broadcasting of executions, with effects that French law, on a similar subject, tries to anticipate and to codify.
Analyser le regard porté sur l'exécution permet de comprendre comment il accompagne ou participe des évolutions dans les modes de punir, et comment le cérémonial de la mise à mort lui est soumis. Cantonné à un rôle purement spectatoriel, ce regard tente d'éviter l'irruption du sadisme dans la contemplation de l'exécution, ce qui irait à rebours des ambitions d'édification et de dissuasion de la publicité. La généralisation des exécutions mécaniques par la guillotine accélère la temporalité de l'exécution et interdit de la regarder longuement. L'obturation du regard, quand il n'est plus l'objet de considérations de mise en scène, entraîne une migration du spectacle du point focal qu'est l'échafaud vers le public. Aux États-Unis, son occultation partielle se fait au profit des seules familles de victimes. Ce regard restreint est devenu problématique, comme en témoigne l'émergence d'un débat sur une forme fantasmée de publicité : la médiatisation télévisée des exécutions, avec des effets que la loi française, sur un sujet voisin, essaie d'anticiper et de codifier.
18 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 2004
Nombre de lectures 13
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Mr Emmanuel Taïeb
L'exécution soumise au regard
In: Communications, 75, 2004. pp. 57-74.
Citer ce document / Cite this document :
Taïeb Emmanuel. L'exécution soumise au regard. In: Communications, 75, 2004. pp. 57-74.
doi : 10.3406/comm.2004.2143
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/comm_0588-8018_2004_num_75_1_2143Abstract
The analysis of the look on executions allows us to understand how it goes with or is part of the
evolutions in punishment modes, and how the execution ceremony is submitted to it. Confined to an
audience position, this regard tries to avoid the breakthrough of sadism in the contemplation of the
execution, which would be the opposite of the wills of edification and deterrence of the publicity. The
development of mechanical executions with the guillotine speed up the pace of the execution and forbid
a long look. The closing of the look, from the moment it's not staged, leads to a migration of the
spectacle from the scaffold as a focus point to the audience. In the USA, its partial cloaking is done for
the benefit of the victims' families. This restricted look is now problematic, according to the emergence
of a debate on a fantasized form of publicity : the broadcasting of executions, with effects that French
law, on a similar subject, tries to anticipate and to codify.
Résumé
Analyser le regard porté sur l'exécution permet de comprendre comment il accompagne ou participe
des évolutions dans les modes de punir, et comment le cérémonial de la mise à mort lui est soumis.
Cantonné à un rôle purement spectatoriel, ce regard tente d'éviter l'irruption du sadisme dans la
contemplation de l'exécution, ce qui irait à rebours des ambitions d'édification et de dissuasion de la
publicité. La généralisation des exécutions mécaniques par la guillotine accélère la temporalité de
l'exécution et interdit de la regarder longuement. L'obturation du regard, quand il n'est plus l'objet de
considérations de mise en scène, entraîne une migration du spectacle du point focal qu'est l'échafaud
vers le public. Aux États-Unis, son occultation partielle se fait au profit des seules familles de victimes.
Ce regard restreint est devenu problématique, comme en témoigne l'émergence d'un débat sur une
forme fantasmée de publicité : la médiatisation télévisée des exécutions, avec des effets que la loi
française, sur un sujet voisin, essaie d'anticiper et de codifier.Emmanuel Taïeb
L'exécution soumise au regard
Anthropologie et économie du
sur les mises à mort publiques *
On n'entretient l'énergie d'une nation que par
des spectacles de sang ; celle qui ne les adopte pas
s'amollit.
Sade
La toute-puissance de l'image et des images conduit à exclure le regard
et l'action de celui qui regarde. Les images, désormais, sont considérées
comme autonomes, réifîées, et analysées pour elles-mêmes, dans la
négligence de leur déroulement, de leur défilement, et de leur historicisa-
tion. Elles sont perçues comme un signal provenant d'un émetteur soumis à
des contraintes économiques ou esthétiques et destiné à un récepteur
passif jadis, aujourd'hui imaginé comme exclusivement désirant, lieu
ultime de disparition des images. Cette autonomisation supposée des
images conduit à en éliminer tout sujet, quand c'est lui précisément qu'il
faudrait retrouver. S'arrêter sur le regard 1 permet alors de se départir de
l'image, et surtout de remettre le sujet au centre de l'échange avec ce qui
est observé, en le plaçant moins comme sujet de l'image que comme sujet
du regard, sujet au regard.
La mise à mort est un spectacle recherché ou, au contraire, considéré
comme obscène, en fonction de ce qu'une société accepte de voir dans son
espace public, et également du rapport à la mort qu'elle entretient. Le rite
de l'exécution est pensé et organisé pour être regardé. Il ne saurait cepen
dant y avoir d'un côté le « pouvoir » chargé de donner à voir l'exécution et
de l'autre la masse passive des spectateurs, mais une sensibilité commune
du regard qui fait qu'une exécution est montrable, et visible, ou qu'elle ne
l'est plus. Le pouvoir est donc pris dans cette tension permanente entre ce
qu'il lui est possible de montrer et ce qu'il lui est possible de soustraire au
* Cette contribution doit beaucoup à Claudine Haroche, qui m'a proposé de nombreuses
remarques et suggestions.
57 Emmanuel Taïeb
regard. L'instance qui donne à voir l'exécution entend en tirer un certain
nombre de bénéfices, tant politiques que judiciaires. Les exécutions
offertes au regard dans l'espace publie sont donc censées produire des
effets précis d'intimidation et d'exemplarité. Et le caractère performatif de
l'ensemble ne peut exister que si les exécutions sont soumises au regard.
En France, le regard sur l'exécution a évolué : une étroite proximité avec
la mise à mort, un malaise ensuite, quand les modes de punir changent,
politiquement et techniquement, puis l'exécution, se refusant à toute
publicisation, devenue « secrète », doit affronter la dissimulation qui la
rend suspecte, et savoir à quel regard elle se destine maintenant.
CE QUI EST PUBLIC
La « qualité » du regard.
L'étude du regard porté sur les exécutions et l'étude de la peine de mort
se heurtent à deux écueils majeurs. Le premier consiste à poser que ce
regard dépend exclusivement de la relation qu'une société entretient avec
la mort, alors qu'il faut l'élargir à la sensibilité à ce qui est vu d'une
manière générale, et en particulier aux autres cérémonies : fêtes publiques
et aux autres châtiments visibles. Tout autant que le spectacle de la peine
de mort, avec lequel elles interagissent et coexistent, elles participent de
l'accoutumance du regard à ces manifestations collectives dans l'espace
public. Le second est la tentation d'une vision holiste de la période qui pré
cède l'individuation, laquelle est généralement tenue pour une condition
de possibilité de l'identification au condamné à mort qui conduit à trouver
son exécution insupportable. Holisme consistant ici à hypostasier un passé
en paix avec la mort2. Cette approche empêche de comprendre l'attrait
exercé par les exécutions, en leur déniant par principe tout intérêt. Si la
mort appelait l'indifférence, la peine qui l'inflige ne serait pas au sommet
de l'édifice judiciaire. C'est donc que la familiarité avec la mort ne permet
pas, à elle seule, d'expliquer la présence d'un public à une exécution. En
effet, elle plaide pour sa présence comme pour son absence : les specta
teurs . peuvent se rendre «naturellement» au spectacle de l'exécution
parce qu'ils sont habitués à la présence de la mort ; ils peuvent y aller au
contraire parce qu'ils ne savent pas ce que c'est — mais alors il faut
retourner la question et se demander pourquoi ils ne répugnent pas à y
aller. La réponse au mystère de la fréquentation des exécutions est sans
doute à chercher dans la contradiction entre « l'horreur de la mort et un
58 soumise au regard L'exécution
goût réel pour elle 3 ». Une certaine familiarité avec la violence, malgré les
profondes évolutions des sensibilités, n'a jamais effacé la peur absolue de
la mort.
En France, durant des siècles - de la période médiévale jusqu'au XIXe -,
l'espace public de la ville, et la rue d'une manière générale, génère et est
le théâtre d'une grande morbidité, tant celle qui découle des exécutions
publiques que celle qui est associée aux crimes, le plus souvent crapuleux,
dont on accuse le milieu urbain. Elias Canetti rappelle que, lorsque des
spectacles de sang se déroulent dans une arène fermée, les spectateurs
tournent le dos à la ville et la masse qu'ils forment se décharge vers l'intérieur 4.
A contrario, l'absence d'enceintes solides et permanentes autour du lieu de
l'exécution, le fait qu'elle se déroule au centre de la cité, au milieu des
regards, tendent à imprégner la ville de la présence de la mort. L'absence
d'un

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