L expérience poétique du «pur néant» chez Guillaume II d Aquitaine - article ; n°6 ; vol.3, pg 48-68
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L'expérience poétique du «pur néant» chez Guillaume II d'Aquitaine - article ; n°6 ; vol.3, pg 48-68

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Description

Médiévales - Année 1984 - Volume 3 - Numéro 6 - Pages 48-68
21 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1984
Nombre de lectures 29
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Monsieur Michel Stanesco
L'expérience poétique du «pur néant» chez Guillaume II
d'Aquitaine
In: Médiévales, N°6, 1984. pp. 48-68.
Citer ce document / Cite this document :
Stanesco Michel. L'expérience poétique du «pur néant» chez Guillaume II d'Aquitaine. In: Médiévales, N°6, 1984. pp. 48-68.
doi : 10.3406/medi.1984.956
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/medi_0751-2708_1984_num_3_6_956Michel STANESCO
L'EXPÉRIENCE POÉTIQUE DU « PUR NÉANT »
CHEZ GUILLAUME IX D'AQUITAINE
« Parler du néant restera toujours
pour la science une abomination
et une absurdité. En revanche,
outre le philosophe, le poète peut
le faire. »
Martin Heidegger
Confronté à la lecture des œuvres littéraires d'un univers profon
dément différent du nôtre, le médiéviste d'aujourd'hui se pose d'une
façon toujours plus aiguë le problème de leur compréhension. Après
des périodes successives d'érudition, d' « objectivité » et de « discours »
sur la méthodologie, le critique reconnaît que cet héritage poétique
n'existe que dans la mesure où il nous propose une expérience qui
n'est accessible par aucune autre voie. Dès lors, le rapport à un poème
médiéval n'est plus celui du détachement supposé du scientifique devant
son objet, mais plutôt celui de la participation; autrement dit, un
« lien chaleureux » est en train de se nouer avec cet « avant-hier » de
notre civilisation (1).
Il est banal de dire de nos jours que la relation critique révèle aussi
bien le poème que celui qui le reçoit ; mais la découverte de ce lien
n'a été possible qu'au moment où l'on s'est aperçu que le passage de la
«matérialité» dépourvue de vie d'un texte à sa présence signifiante
passe par l'accueil que lui réserve le lecteur. La critique devient alors
médiation et accord entre l'appel lointain du poète et l'effort actuel
d'intelligibilité. Or, cette distance ne sera comblée que si notre propre
questionnement porte sur les dimensions fondamentales de l'existence ;
tout autre curiosité ne nous fo\irnira que des réponses plus ou moins
intéressantes pour l'histoire de la littérature, des mœurs et de la
culture.
Le destin du célèbre vers de dreit nien (2) de Guillaume IX d'Aqui
taine est sans doute significatif de la mutation qu'a subie au cours de
1. Paul ZUMTHOR, Parler du Moyen Age. Paris, 1980, p. 18.
2. Guelielmo IX d'AQUITANJA, Poésie, pièce IV Forai un vers de dreit
nien. Edizione critica a cura di Nicolô Pasero, Modena, 1973, p. 92-94. Nous
citerons d'après cette édition. 49
ces dernières années 1' « institution médiéviste » du point de vue des
interrogations d'ordre herméneutique. Cette création, qui nous apparaît
aujourd'hui comme une des plus belles réussites de la lyrique occi
tane (3), semble se caractériser par « les accents d'un "modernisme"
unique au Moyen Age » (4). Ajoutons aussi que ce vers se lève au com
mencement de notre histoire poétique comme une provocation et un
défi. Une contestation critique récente a mis à rude épreuve les choix
et surtout les refus des premiers éditeurs du texte ; on s'est aperçu
par ailleurs, que les variantes des traducteurs reflétaient plutôt les
perplexités que les certitudes de l'intelligence du poème ; enfin, on
s'est efforcé de découvrir des critères plus appropriés pour comprendre
la déconcertante ambiguïté du poème, tenu autrefois le jeu extra
vagant d'un « jongleur couronné ».
C'est à juste titre qu'on peut dire que ce poème fut dès le début des
recherches médiévales un véritable casse-tête pour les spécialistes (5).
D'où peut venir, en fin de compte, la fascination que cette pièce ne
cesse d'exercer sur la critique contemporaine ? Le nombre appréciable
d'études qui lui ont été consacrées depuis quelque temps, et qui ne
finira probablement pas de si tôt de s'accroître, nous montre sans
équivoque que la séduction de la pensée par la parole poétique du
« premier troubadour connu » n'a jamais été aussi envoûtante que de
nos jours ; une liste des lectures critiques de ce poème, qui ne compte
pas plus de quarante-huit vers dans les dernières éditions, serait d'ail
leurs aussi fastidieuse qu'incomplète.
En fait, à regarder de plus près la bibliographie du vers de dreit
nien, on peut se demander si bien de ces interprétations n'ont pas cédé
à une tentation que j'appellerais psychologique : à savoir, la direction
critique qui s'est attachée principalement à comprendre le texte par son
insertion dans une trame tissée autour de la vie et du caractère du
poète. Ce mode de lecture se fonde sur le présupposé que la compréhens
ion d'une œuvre poétique est à chercher dans les circonstances mêmes
de la vie du poète et dans le milieu où il a vécu. Fort des informations
que certaines chroniques médiévales nous transmettent du comte de
Poitiers, le critique se créée une image du poète — vu tour à tour
comme cynique, souriant et humain — qui servira à l'interprétation
de son œuvre. Ainsi, des onze poésies attribuées généralement à
Guillaume de Poitiers, on a obtenu trois groupes : le « sensuel », le
« tendre » et le « sérieux ». Ce classement, qui remonte à Lacurne de
3. Martin de RIQUER, Los trovadores. Historia literaria y textos, Barcel
ona, 1975, t. I, p. 110.
4. Reto R. BEZZOLA, Les origines et la formation de la littérature court
oise en Occident (500-1200), Paris, 1944-1963, IIe partie, t. II, p. 296.
5. « Der vers de dreyt nien ist eines jener altprovenzalischen Gedichte,
die der Provenzalistik bis heute am meisten Kopfzerbrechen bereitet haben... »,
cf. Dietmar Rieger, Der 'vers de dreyt nien' Wilhelms IX. von Aquitanien :
râtselhaftes Geaicht oder Ràtselgedicht ? Untersuchung zm einem 'Schliissel-
gedicht' der Trobadorlyrik, Heidelberg, 1975, p. 1. **•
Sainte-Palaye (6), repris, à travers Friedrich Diez, par Alfred Jeanroy (7),
ne fut que rarement mis en question. Comme le dernier groupe se
réduisait à une seule poésie « sérieuse » — il s'agit de la pièce Pos de
chantar m'es près talentz — on est arrivé peu à peu à simplifier ce
système et à considérer que Guillaume d'Aquitaine serait, d'après une
expression qui fit fortune, un trovatore bifronte : d'un côté le jongleur
de l'érotisme effréné et de l'obscénité, de l'autre le poète souriant et
courtois (8). Même si la terminologie sentimentale de Fr. Diez est
aujourd'hui surannée, la critique psychologiste continue d'opérer, à l'aide
du « bon sens », une division des poésies de Guillaume IX en « idéa
listes » et « réalistes », comme si l'idéalisme consistait dans la sensibilité
courtoise et le réalisme dans la crudité des expressions.
Cette lecture traditionnelle, construite en fonction du « caractère »
supposé de Guillaume d'Aquitaine (9), aboutit à parler de l'auteur des
six pièces « sensuelles » ou « réalistes » — parmi lesquelles on compte
aussi le vers de dreit nien — comme d'un poète qui serait tour à tour ou
tout à la fois fougueux, galant, sensuel, cynique, grossier, scabreux,
épicurien, gaulois, insolent, piquant, impertinent, vulgaire, grivois, licen
cieux, éhonté, masculin, etc. Elle trouvera dans son marivaudage des
« confidences fort personnelles », parce qu' « il nous parle avec son
cœur ». Autrement dit, tout comme Gustave Lanson réduisait autrefois
l'œuvre de Chrétien de Troyes aux charmes mondains des romans d'un
Octave Bourget, on métamorphose Guillaume d'Aquitaine en un poète
«très XVIIP siècle» (10).
La critique de cette « poésie des sentiments personnels », dont la
force est supposée se fonder sur les « faits objectifs » de l'histoire, se
réfugie en réalité dans les anecdotes brodées autour du personnage
historique : « la plupart des

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