L hippophagie au secours des classes laborieuses - article ; n°1 ; vol.74, pg 177-200
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Description

Communications - Année 2003 - Volume 74 - Numéro 1 - Pages 177-200
Le thème de l'hippophagie apparaît dans le monde scientifique des années 1850. Pour ses défenseurs, il s'agit de faire accepter par les milieux populaires la consommation d'une viande saine et bon marché au lieu de laisser se perdre chez l'équarrisseur une masse considérable de chairs comestibles. Cependant, le succès de la viande de cheval ne sera assuré qu'à la fin du siècle, quand les médecins en feront une prophylaxie et un traitement contre le plus grand des fléaux sociaux : la tuberculose. La conversion des milieux populaires est révélatrice de leur attention accrue aux questions de santé et d'hygiène et de la force de pénétration du discours médical.
24 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 2003
Nombre de lectures 15
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Mr Eric Pierre
L'hippophagie au secours des classes laborieuses
In: Communications, 74, 2003. pp. 177-200.
Résumé
Le thème de l'hippophagie apparaît dans le monde scientifique des années 1850. Pour ses défenseurs, il s'agit de faire accepter
par les milieux populaires la consommation d'une viande saine et bon marché au lieu de laisser se perdre chez l'équarrisseur une
masse considérable de chairs comestibles. Cependant, le succès de la viande de cheval ne sera assuré qu'à la fin du siècle,
quand les médecins en feront une prophylaxie et un traitement contre le plus grand des fléaux sociaux : la tuberculose. La
conversion des milieux populaires est révélatrice de leur attention accrue aux questions de santé et d'hygiène et de la force de
pénétration du discours médical.
Citer ce document / Cite this document :
Pierre Eric. L'hippophagie au secours des classes laborieuses. In: Communications, 74, 2003. pp. 177-200.
doi : 10.3406/comm.2003.2135
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/comm_0588-8018_2003_num_74_1_2135Eric Pierre
L'hippophagie au secours
des classes laborieuses
Au milieu du XIXe siècle, des hommes de science décidèrent d'introduire
la viande de cheval dans l'alimentation des classes laborieuses, avec des
arguments tout à la fois économiques, sociologiques, hygiéniques et
moraux 1. Des sociétés de réforme sociale firent alors écho à ces dévelop
pements en faveur de l'hippophagie. Nous ne retracerons pas ici toutes
les étapes de la lente diffusion de la consommation de la viande de cheval
dans l'alimentation des Français 2. Nous tenterons de montrer les condi
tions et les principes qui l'ont favorisée, les échanges d'idées et les débats
polémiques qui l'ont accompagnée. Nous verrons l'action de scientifiques,
relayés par des publicistes, des philanthropes,1 des réformateurs sociaux
et des médecins qui mirent en avant, dans un souci de rationalité hygié
nique et économique, les nombreux avantages de la consommation de
viande chevaline par le monde ouvrier. Leurs arguments eurent du mal
à balayer les réticences culturelles qui se manifestèrent. Car, au-delà d'une
vision réductrice volontiers présentée par les hippophages, opposant la
science à l'obscurantisme, le rationnel à l'irrationnel, la modernité aux
préjugés, il s'agissait bien plus profondément d'un changement aliment
aire, et donc culturel.
LES DÉBUTS
DE LA PROPAGANDE HIPPOPHAGIQUE
Anciennement interdite3, la viande de cheval n'avait jamais totalement
disparu. Elle resurgissait périodiquement dans des situations de déséquil
ibre alimentaire et de disette (campagnes militaires, sièges de ville) pour
compenser les déficits 4. Le vétérinaire Huzard en donnait des exemples
pour la Révolution française, et le médecin militaire Larrey l'avait lui-
177 Éric Pierre
même propagée dans les armées de l'Empire en difficulté °. Elle était aussi
utilisée de façon frauduleuse à l'insu de consommateurs naïfs. Le nombre
d'ordonnances de police prises tout au long du XVIIIe siècle, sous couvert
d'hygiène, à l'encontre des marchands clandestins montre l'importance
d'un marché parallèle pour l'alimentation des populations les plus pauv
res. Louis Sébastien Mercier témoigne de la fréquence des fraudes :
On a affiché dernièrement une fentence de police qui condamnait un
cabaretier à une amende, pour avoir fait manger aux Parifsiens de la
chair d'âne pour du veau. La fentence ajoutait, comme coutumier du
fait.
On a été obligé de prépofer des hommes pour ensevelir les chevaux,
parce que plusieurs aubergifstes venoient couper une tranche de che
val, et la vendoient pour du bœuf dans les gargotes qui peuplent les
faubourgs b.
Les administrations de la première moitié du XIXe siècle se refusèrent à
accepter le principe de Fhippophagie, préférant en réserver l'utilisation
à des usages secondaires comme l'alimentation des fauves et autres car
nivores des ménageries. Aux yeux des hygiénistes contemporains, ce
gâchis apparaissait insupportable. Le célèbre médecin Alexandre Parent-
Duchâtelet, dans son rapport sur « l'enlèvement et l'emploi des chevaux
morts », demandé par la préfecture de police, préconisait la consommat
ion de cette viande, dont le faible prix conviendrait aux plus pauvres :
La classe indigente trouverait ainsi à sa volonté une ressource qui lui
manque maintenant, et mettrait bientôt de côté toute prévention, lors
qu'elle serait assurée de la surveillance de l'autorité, et lorsqu'elle aurait
l'avantage du bas prix et de la bonne qualité. Nous faisons des vœux
pour que cette question soit examinée avec soin et pour que l'on profite
de l'occasion qui se présente de tirer parti de substances alimentaires
saines, abondantes, à vil prix, et dont l'emploi n'a pas jusqu'ici profité
à la classe indigente7.
Ce souhait resta sans effet, car il était insuffisant pour s'opposer au
faisceau d'images négatives que suscitait alors la consommation du che
val : viande frappée d'un interdit religieux, viande des animaux sauvages,
viande de substitution dont la consommation restait attachée aux mal
heurs du temps ou à l'extrême pauvreté, et surtout viande de l'animal le
plus proche de l'homme. Notons cependant que Parent-Duchâtelet déve
loppait déjà, succinctement il est vrai, les principaux arguments qui seront
repris par les hippophages. Après son rapport, il fallut cependant attendre
une vingtaine d'années pour voir le sujet à nouveau développé8.
178 Uhippophagie au secours des classes laborieuses
LE COMBAT
D'ISIDORE GEOFFROY SAINT-HILAIRE
L'offensive déterminante vint, au début du Second Empire, du Muséum
national d'histoire naturelle, en la personne d'Isidore Geoffroy Saint-
Hilaire9. Le célèbre professeur-administrateur du Muséum avait déjà
abordé ce sujet dès 1847-1848, sans que ses paroles dépassassent alors
le cercle d'un auditoire restreint. Il le reprit en février 1855, alors qu'il
cumulait les postes à responsabilités 10 et que ses cours suscitaient un grand
engouement. La presse s'en empara et des comptes rendus de ses leçons
furent publiés par C. Roux dans La Gazette médicale et G. Fries dans
Le Moniteur universel™ . Les presses scientifique, nationale et provinciale
suivirent. La Belgique, l'Espagne et l'Allemagne furent également tou
chées par cette vague. Des comités scientifiques examinèrent les théories
du célèbre naturaliste français, adoptant d'ailleurs dans un premier temps
un point de vue plutôt critique12. Fort de l'écho suscité par ses idées,
Geoffroy Saint-Hilaire donna un nouveau cours sur le sujet en mars 1856,
qui fut encore largement repris par la presse 13. Il estima alors nécessaire
de s'expliquer plus complètement en publiant les Lettres sur les substanc
es alimentaires et particulièrement sur la viande de cheval14.
Ce livre débutait par un double constat : la nécessité pour l'homme de
recourir aux substances animales pour une partie de son alimentation, et
l'insuffisance de la production de viande en France, née d'un retard
considérable de l'agriculture et de l'élevage. Selon Geoffroy Saint-Hilaire,
il faudrait multiplier la production par trois ou par quatre pour assurer
à chacun une ration moyenne et journalière de 225 à 250 grammes.
Si les statistiques mettaient en lumière le grave déficit alimentaire
d'ensemble des Français, les enquêtes menées par Frédéric Le Play mont
raient l'inégale répartition sociale et géographique de la consommation :
le travailleur rural souffrait plus de l'absence de viande que le travailleur
urbain. Au bilan, les jeunes sciences sociales apportaient alors un nouvel
éclairage sur l'indigence alimentaire des Français.
Cette situation appelait une réponse, d'autant que l'affaiblissement
individuel des hommes entraînait un affaiblissement général de la nation :
l'hygiène, l'économie sociale et la politique nationale étaient en jeu.
L'agriculture, la pisciculture, l'acclimatation de nouvelles espèces pour
diversifier les cultures progressaient, mais il s'agissait encore de soluti

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