L illusion du bonheur et le bonheur de l illusion chez La Mettrie - article ; n°4 ; vol.83, pg 819-828
11 pages
Français

L'illusion du bonheur et le bonheur de l'illusion chez La Mettrie - article ; n°4 ; vol.83, pg 819-828

Le téléchargement nécessite un accès à la bibliothèque YouScribe
Tout savoir sur nos offres
11 pages
Français
Le téléchargement nécessite un accès à la bibliothèque YouScribe
Tout savoir sur nos offres

Description

Annales de Bretagne et des pays de l'Ouest - Année 1976 - Volume 83 - Numéro 4 - Pages 819-828
10 pages

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1976
Nombre de lectures 29
Langue Français

Extrait

Pierre Naudin
L'illusion du bonheur et le bonheur de l'illusion chez La Mettrie
In: Annales de Bretagne et des pays de l'Ouest. Tome 83, numéro 4, 1976. La Bretagne littéraire au XVIIIe siècle.
pp. 819-828.
Citer ce document / Cite this document :
Naudin Pierre. L'illusion du bonheur et le bonheur de l'illusion chez La Mettrie. In: Annales de Bretagne et des pays de l'Ouest.
Tome 83, numéro 4, 1976. La Bretagne littéraire au XVIIIe siècle. pp. 819-828.
doi : 10.3406/abpo.1976.4660
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/abpo_0399-0826_1976_num_83_4_4660du bonheur et le bonheur L'illusion
de l'illusion chez La Mettrie
l'existence la Français le de heureux d'un ne dont des ingénue volontaire l'art simulation talent Nul ce dédaignait se bals du parle boudoir, temps donner n'ignore spectacle d'être de du masqués, ou Saint-Lambert quotidienne l'être. l'époque, la machiniste d'un à non pas la le fantasmagorie la le et Au magicien disposition de (1), mouvement, féerie goût ce l'étrange ce reste, réserver cette sont — prestige procure prononcé dans du mieux de l'ordonnance les prédilection théâtre, fascination d'un son à sans manifestations de quelques-uns à que décor, poème et jardin propre des l'apparence, compter on persistant les spectateurs qu'exercèrent voulait pour le fastes d'une des — spectacle. chatoiement l'illusion qui Saisons — « les ce de façade, encore du d'agréables l'abbé trahissent, vertige l'opéra plus abusés, xvme La (2). particulière sur s'offrir Pluche, d'un la courantes nature Non de les ou siècle décoration mais erreurs l'illusion, costume, la chez hommes content la magie même Saint- pour trop joie que les de »
Lambert déjà nommé et, plus tard, Delille (3) — la surprise d'une
grandiose parade, multiforme et bigarrée, plus fascinante encore que
la plus habile mise en scène. Comment donc s'étonner qu'avec Mme du
Châtelet, beaucoup aient jugé l'illusion un « vernis » de nos plaisirs,
un ingrédient nécessaire au charme de nos jours (4), et que plus d'un
ait repris à son compte la profession de foi de Mme de Puisieux :
« J'aime mieux une erreur qui fait mon bonheur qu'une évidence qui
me désespère. » (5) ?
La Mettrie fut-il de ceux-là ? La profusion des métaphores théâtrales
qui parsèment ses écrits pourrait faire conclure, en effet, à une curieuse
obsession du spectacle chez l'auteur de L'Homme-Machine, et d'autant
plus curieuse que l'illusion de l'apparence est d'abord dénoncée par
lui comme la cause ou l'effet d'un égarement dont le philosophe doit
se guérir et guérir autrui, puis, par un singulier renversement, recher
chée, voire provoquée comme une source inépuisable de bonheur et
d'enchantement. Dans un cas, La Mettrie se proclame « disciple de
la nature, ami de la seule vérité » (6), il affirme : « Heureux qui a du
goût pour l'étude ! plus heureux qui réussit à délivrer par elle son
esprit de ses illusions et son cœur de la vanité ! (7) » ; dans l'autre,
quand il confesse : « Prenons les choses pour ce qu'elles nous sem
blent ; regardons tout autour de nous, cette circonspection n'est pas
sans plaisir, le spectacle est enchanteur ; assistons-y en l'admirant, mais cette vaine démangeaison de tout concevoir (8) », il n'est pas
loin d'adopter le précepte formulé par de Boissy dans Les Dehors
trompeurs ou l'homme du jour :
Soyons toujours en l'air : des choses de la vie
Prenons la pointe seule et la superficie. » (9) 820 ANNALES DE BRETAGNE
Déroutant paradoxe d'une illusion assumée et récusée tour à tour :
en nous y arrêtant, nous n'aurons pas la prétention d'en déchiffer
tous les secrets ; plus modestement, nous chercherons à en décrire le
cheminement dans l'œuvre et la pensée de La Mettrie.
1. L'illusion dénoncée :
En philosophe soucieux du vrai qu'il fut par vocation et par métier,
La Mettrie se devait assurément de pourchasser les vains mirages
enfantés par la peur d'une réalité qui nous afflige. Il ne s'en fit point
faute, et « le bâton de l'expérience » (10), dont il feint de s'aider dans
la nuit du doute, lui servit plus souvent à donner des coups qu'à guider
ses pas. Redoutable professeur de désillusion, on sait en quel mépris il
tient « le génie » « léger, superficiel, incertain, mignard et vain » (11)
de ses compatriotes, et quelles réflexions mordantes ou désabusées lui
inspirent les « fadaises » et autres « bagatelles » dont ils nourrissent
leur esprit : « Les histoires, les romans, les opéras, lit-on dans L'Ou
vrage de Pénélope (12), tout, jusqu'aux Iris, jusqu'aux parades et aux
amphigouris, tout est l'aliment de l'esprit français ». Tels sont les gens
du monde : à l'instar de Mme du Châtelet qui riait sans honte aux
facéties de Polichinelle (13), leur bcnheur ne consiste qu'à se repaître
de chimères. Il est vrai que l'auteur du Discours sur le bonheur se
prêtait à cette sorte d'illusion en connaissance de cause et avec la
circonspection d'une femme de tête ; mais combien n'eurent pas de
ces prudences ni de ces scrupules ! Au reste, il y a plus grave que cet
engouement naïf pour les jeux de la scène : c'est sa vie entière
que le mondain offre en spectacle, son être même qui s'évanouit dans
le vertige d'un pur paraître, son esprit et son cœur qui se laissent
aveugler, à leur insu, par des valeurs factices. Les vertus mêmes dont
il fait parade (« il y a peu de vertus dont on ne fasse parade » (14),
déclare La Mettrie) — honneur et chasteté, bravoure et frugalité — ne
sont que pauvres oripeaux que la coutume et l'éducation lui ont légués.
Vérités d'emprunt, absurdes raisons de vivre, futiles satisfactions
d'amour-propre : tout cela ne compose, en définitive, qu'un bonheur illu
soire et inconsistant. Sur ce vain théâtre du monde, La Mettrie ne
cessera d'exercer cette « vision désabusante » dont parle justement
Aram Vartanian (15), ce regard sans complaisance d'un spectateur
affranchi des préjugés, car il sait, lui, la précarité d'un tel bonheur et
de quels mensonges il est pétri. Pour les mettre à nu, il n'est que
d'évoquer le vieux thème épicurien de la fuite des jours : « Quelle
vie fugitive ! les formes des corps brillent comme les vaudevilles se
chantent. L'homme et la rosé paraissent le matin, et ne sont plus le
soir (16) », puis d'annoncer, après tant d'autres, l'approche inéluctable
du dénouement : « Au lit de mort, il n'est plus question de ce faste,
ou de ce bruyant appareil de guerre qui, excitant les esprits, fait machi
nalement courir aux armes. Ce grand aiguillon des Français, le point
d'honneur, n'a plus lieu [...]. Plus de spectateurs ; plus de fortune ;
plus de distinctions à espérer (17). » Dès lors, les spectateurs ont
déserté le théâtre ; seul, reste le philosophe qui, lui, n'était pas dupe. Le
rideau tombe enfin : au lieu de la mort, la vérité reprend son empire.
Fera-t-elle entendre de nouveau sa voix ? saurons-nous enfin ce qu'est
le vrai bonheur ? ANNALES DE BRETAGNE 821
Pas encore, car il est une autre illusion qu'il faut dénoncer, une
illusion d'autant plus insidieuse qu'elle est produite par les philosophes
eux-mêmes qui la font passer pour vérité. Tous, en effet, ils se font
gloire d'enseigner les secrets du bonheur et de dispenser des certi
tudes, mais, outre qu'ils ne sont d'accord ni sur les uns ni sur les
autres, les certitudes qu'ils professent et le bonheur qu'ils proposent
ne sont que fantômes dérisoires surgis de leur cerveau : « Les philo
sophes, écrit La Mettrie, s'accordent sur le comme sur tout
le reste. Les uns le mettent en ce qu'il y a de plus sale et de plus
impudent [...]. Les autres le font consister dans la volupté prise en
divers ; tantôt c'est la volupté raffinée de l'amour ; tantôt la même
volupté, mais modérée, raisonnable [...] : ici, c'est la volupté de l'esprit
attachée à la recherche, ou enchantée de la possession de la vérité ;
là enfin, c'est le contentement de l'esprit, le motif et la fin de nos
actions, auquel

  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents