L'opium des intellectuels de l'Est - article ; n°4 ; vol.35, pg 869-879

Ivaylo Znepolski

Description

Cahiers du monde russe : Russie, Empire russe, Union soviétique, États indépendants - Année 1994 - Volume 35 - Numéro 4 - Pages 869-879
Ivaylo Znepolski, Opium of the intellectuals of the East. In his book that appeared in the 1950's, Opium of the intellectuals, Raymond Aron pointed out that the intellectuals, more than any other people, are seduced by Utopia. How is it that social Utopia is still active in the East in spite of the fact that intellectuals had been submitted to the reality of totalitarian repressions ? Why is it that leftist tendency is still appealing, in spite of the fact that the failure of socialist model is established ? From the mere semblance of a fulfilled Utopia, to the substitution of creator's myth for creation, and to the deviation of art, once the cultural conspiracy of real socialism is over, there still remains numerous drug addicts.
Ivaylo Znepolski, L'opium des intellectuels de l'Est. Dans son livre des années 50, L'opium des intellectuels, Raymond Aron relevait le fait que les intellectuels, dans une mesure plus grande que les gens ordinaires, se laissent séduire par l'utopie. Pourquoi l'utopie sociale continue-telle à agira l'Est, après que ces intellectuels ont subi la réalité des répressions totalitaires ? Pourquoi la « tendance de gauche » parle-t-elle encore, alors que l'échec du modèle socialiste est un fait acquis ? De l'apparence d'une utopie de l'intellectuel réalisée, à la substitution du mythe du créateur à la création, et à la « déviation » de l'art, une fois la conspiration culturelle du « socialisme réel » terminée, il subsiste de nombreux drogués.
11 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

• Publié par: CAHIERS_DU_MONDE_RUSSE_-_RUSSIE-_EMPIRE_RUSSE-_UNION_SOVIETIQUE-_ETATS_INDEPENDA
• Publié le: 01 janvier 1994
• Nombre de lectures: 15
• Langue: Français
• Poids de l'ouvrage: 1 Mo

Extrait

Ivaylo Znepolski
L'opium des intellectuels de l'Est
In: Cahiers du monde russe : Russie, Empire russe, Union soviétique, États indépendants. Vol. 35 N°4. pp. 869-879.
Abstract
Ivaylo Znepolski, Opium of the intellectuals of the East. In his book that appeared in the 1950's, Opium of the intellectuals,
Raymond Aron pointed out that the intellectuals, more than any other people, are seduced by Utopia. How is it that social Utopia
is still active in the East in spite of the fact that intellectuals had been submitted to the reality of totalitarian repressions ? Why is it
that "leftist tendency" is still appealing, in spite of the fact that the failure of socialist model is established ? From the mere
semblance of a fulfilled Utopia, to the substitution of creator's myth for creation, and to the "deviation" of art, once the cultural
conspiracy of "real socialism" is over, there still remains numerous drug addicts.
Résumé
Ivaylo Znepolski, L'opium des intellectuels de l'Est. Dans son livre des années 50, L'opium des intellectuels, Raymond Aron
relevait le fait que les intellectuels, dans une mesure plus grande que les gens ordinaires, se laissent séduire par l'utopie.
Pourquoi l'utopie sociale continue-telle à agira l'Est, après que ces intellectuels ont subi la réalité des répressions totalitaires ? la « tendance de gauche » parle-t-elle encore, alors que l'échec du modèle socialiste est un fait acquis ? De
l'apparence d'une utopie de l'intellectuel réalisée, à la substitution du mythe du créateur à la création, et à la « déviation » de l'art,
une fois la conspiration culturelle du « socialisme réel » terminée, il subsiste de nombreux drogués.
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Znepolski Ivaylo. L'opium des intellectuels de l'Est. In: Cahiers du monde russe : Russie, Empire russe, Union soviétique, États
indépendants. Vol. 35 N°4. pp. 869-879.
doi : 10.3406/cmr.1994.2412
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/cmr_1252-6576_1994_num_35_4_2412ZNEPOLSKI IVAYLO
L'OPIUM DES INTELLECTUELS DE CEST
Dans les années 50 Raymond Aron a publié un livre qui a fait beaucoup de bniit
L'opium des intellectuels où il tente d'expliquer la conduite paradoxale des intellec
tuels français, impitoyables dans leur critique de la démocratie bourgeoise, impla
cables à l'égard du marché, de l'intérêt ou même du pluralisme, tout en justifiant les
crimes monstrueux perpétrés au nom de la magnifique doctrine marxiste. La foi dans
cette doctrine reste inébranlable, même si le développement économique en Europe
occidentale a déjà démenti les prévisions marxistes, la classe ouvrière diminuant
continuellement en nombre... Comment expliquer cette attitude ?
Il est vrai qu'une tension et qu'un mécontentement réel se font sentir sur le plan
social, qui entretiennent l'utopie, mais qui sont surtout entretenus par l'utopie. Par
ailleurs, ils reflètent une attitude psychologique déterminée envers l'Histoire en sai
sissant et reflétant une certaine attente.
L'utopie de gauche répond à ce sentiment réel d'attente chez l'homme. Raymond
Aron relève en son for intérieur quelques termes sacrés : la gauche, la révolution, le
prolétariat et l'Histoire. Le mythe de la gauche comprend implicitement l'idée de
Progrès et suggère un mouvement incessant. Le mythe de la Révolution attise l'espé
rance de rompre les amarres, de rompre avec le cours habituel des choses qui sup
pose la continuité, l'accumulation, l'hérédité, etc., et de réaliser un changement
rapide du statut individuel de l'homme, c'est-à-dire la foi dans un miracle. La Révol
ution est identifiée à l'aspiration de la société, née de la Raison. Tout cela est légi
timé par le culte du « cours de l'Histoire ». Il mène, inébranlablement, à l'utopie, tra
cée à l'avance. Le mythe de est l'un des plus solidement ancrés. Cest
grâce à lui que les régimes des pays socialistes avaient créé et cultivé un sentiment
ď intemporalité sociale, qui éliminait toutes projections rétrospectives, les déclarant
condamnées par l'Histoire. Le plus grand succès de la propagande communiste a été
d'asseoir solidement le sentiment de l'immuabilité historique du socialisme. Il est
directement lié au mythe de la révolution mondiale. D'où, la doctrine de Brejnev sur
les relations internationales, d'où l'importance capitale qui était accordée aux évé
nements du « Tiers Monde ». Tous les coups d'État, soigneusement fomentés, toutes
les révolutions généreusement appuyées dans cette région du monde l'étaient autant
Cahiers du Monde russe, XXXV (4), octobre -décembre 1994, pp. 869 880. rVAYLO ZNEPOLSKI 870
pour des considérations militaro-stratégiques que par des calculs idéologiques. Ils
visaient en même temps à frapper l'impérialisme mondial et à impressionner les
peuples eux-mêmes. Chaque révolution nouvelle entretenait le culte agonisant du
cours victorieux de l'Histoire (la justesse du choix) et devait tenir les millions de
sujets du socialisme en un état d'hypnose continuelle.
Dans son livre, Aron relève un point très important : les intellectuels, dans une
mesure plus grande que les gens ordinaires, se laissent séduire par l'utopie.
Autrement dit, après avoir démasqué les crimes du régime soviétique, les inte
llectuels sont moins empressés que les autres à se libérer de l'idéologie qui les a éclai
rés. Si la religion, d'après Marx, est l'opium des peuples ; d'après Aron, le marxisme
s'est transformé à son tour en opium des intellectuels. Tout cela parce que les inte
llectuels sont non seulement les médiateurs, mais aussi les auteurs de l'utopie de
gauche. Qui plus est, il sont partie intégrante de cette utopie, comme uniques garants
de la société de raison qu'elle promet : une société gouvernée non pas par la force,
les privilèges, les intérêts, l'argent, etc., mais par la raison, les idées, les principes.
Les révolutions prolétariennes du XXe siècle, affirme Aron, ne sont pas l'œuvre du
prolétariat, mais ont été conçues et dirigées par les intellectuels et expriment leur
impatience sociale. Se déclarant à tour de rôle contre l'Église, contre l'aristocratie et
contre la bourgeoisie, les intellectuels se sont retrouvés, au fil des temps, dans la
situation de rivaux du pouvoir.
En période socialiste, les acquièrent un statut spécial. L'État semble
pour la première fois remis entre les mains des experts et des hommes de plume.
Raymond Aron relève que le secrétaire général du Parti, le maître de la vie et de la
mort de milliers de gens, règne en qualité de dialecticien, de commentateur-exégète
de la Doctrine et de l'Histoire (même « s'il est plutôt sophiste que philosophe »).
Jusqu'à une date récente l'historiographie se targuait d'affirmer que tous les partici
pants au premier cabinet de Lénine étaient non seulement des intellectuels, mais des
figures éminentes de l'intelligentsia. Le parti communiste bulgare a éprouvé la
même Fierté lors de l'élection de sa nouvelle direction au cours du premier congrès
« démocratique », après le 10 novembre 1989. Le journal Rahotniťesko delà a publié
à la « une » la liste des membres du Conseil suprême du Parti en inscrivant, en face
de chaque nom, les langues étrangères connues et pratiquées par la personne corre
spondante — un retour symbolique aux normes de Lénine.
Mais pourquoi l'utopie sociale continue-t-elle à agir à l'Est, après que ces inte
llectuels ont non seulement entendu parler des répressions, mais ont eu à les redout
er, voire à les subir ? Pourquoi la « tendance de gauche » parle-t-elle encore, pour
quoi parvient-elle encore à se faire écouter, alors que l'échec du modèle est un fait
acquis ; alors еще très peu de temps après la révolution nisse, il était patent que
l'appareil du Parti n'avait aucune intention île partager le pouvoir avec les intellec
tuels et qu'à ceux d'entre eux qu'il n'avait pas éliminés, il ne confiait qu'une fonc
tion executive ? Le point de vue de Staline sur