L oralité dans les documents d archives ottomans : paroles rapportées ou imaginées ? - article ; n°1 ; vol.75, pg 133-142
11 pages
Français

L'oralité dans les documents d'archives ottomans : paroles rapportées ou imaginées ? - article ; n°1 ; vol.75, pg 133-142

Le téléchargement nécessite un accès à la bibliothèque YouScribe
Tout savoir sur nos offres
11 pages
Français
Le téléchargement nécessite un accès à la bibliothèque YouScribe
Tout savoir sur nos offres

Description

Revue du monde musulman et de la Méditerranée - Année 1995 - Volume 75 - Numéro 1 - Pages 133-142
10 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1995
Nombre de lectures 26
Langue Français

Extrait

Gilles Veinstein
L'oralité dans les documents d'archives ottomans : paroles
rapportées ou imaginées ?
In: Revue du monde musulman et de la Méditerranée, N°75-76, 1995. pp. 133-142.
Citer ce document / Cite this document :
Veinstein Gilles. L'oralité dans les documents d'archives ottomans : paroles rapportées ou imaginées ?. In: Revue du monde
musulman et de la Méditerranée, N°75-76, 1995. pp. 133-142.
doi : 10.3406/remmm.1995.2617
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/remmm_0997-1327_1995_num_75_1_2617Gilles Veinstein
Voralité dans les documents
d'archives ottomans :
paroles rapportées ou imaginées ?
Les quelques réflexions qui vont suivre ont été suscitées par la présence
dans les firmans (que l'on considère les originaux ou les versions conser
vées dans les muhimme defteri) de citations dans lesquelles le sultan fait
s'exprimer au style direct ses subordonnés et ses sujets.
La plus longue de ces citations, et la plus fréquente, est évidemment,
comme le savent tous les familiers de ces documents, le rappel qui est fait,
au début du plus grand nombre de firmans, dans Vexpositio (naql ou Mag),
du rapport préalable qui a provoqué l'émission du firman en question, rap
port généralement dû à celui qui sera le destinataire (ou l'un des destinat
aires) du firman consécutif. Le rapport ainsi reproduit occupe une bonne
partie, quand ce n'est pas la majeure partie, du document. Mais il est géné
ralement précisé que ce rapport avait été un rapport écrit, au moins parce
qu'il est accompagné de la formule rituelle : «. . .mektub gônderiib » (« tu
as envoyé une lettre pour faire savoir que. . . »).
C'est d'autres citations que je m'occuperai ici, qui sont au contraire pré
sentées comme correspondant à des propos oraux, et qui émanent d'indi
vidus intervenant, quel que soit leur statut, en tant que simples particul
iers. La présence de telles citations n'est nullement générale dans les
firmans, mais elle n'est pas rare non plus. Elles peuvent avoir été insérées
REMMM 75-76, 1995/1-2 134 1 Gilles Veinstein
dans le rapport préalable de l'agent auquel j'ai fait allusion par ce dernier,
mais elles peuvent figurer aussi bien dans ce qui, au sein du document, repré
sente le discours propre du sultan, tant — pour reprendre les termes de la
diplomatique — dans Vexpositio, que dans les commentaires et mises en
garde faisant suite à l'ordre proprement dit (dispositio et sanctio). Ces cita
tions restent toujours brèves, mais vont cependant de quelques mots à
quelques lignes. Il peut y avoir également emboîtement des discours : celui
qui est cité citant à son tour quelqu'un d'autre. Il m'a semblé intéressant
de m'interroger sur la finalité et la nature de ces citations, en tentant de
répondre à ces deux questions : dans quels cas de figure les rencontre-t-on ?
J'en distinguerai quatre en reconnaissant que les limites entre eux ne sont
pas toujours nettement tranchées. D'autre part, a-t-on affaire à des propos
effectivement tenus (ce qui ne serait pas sans intérêt pour le linguiste, voire
l'ethnologue ou l'anthropologue) ou à la reformulation après coup par un
bureaucrate des idées exprimées : il resterait alors à se demander dans
quelle mesure ce dernier a été soucieux ou non de « faire vrai », de coller
au langage de ceux dont il était censé reproduire les propos et donc de
reconstituer du langage parlé.
Je rangerai dans le premier cas, qui est le moins significatif, d'appa
rentes citations commandées par le gérondif deyti (diye), lequel sert ici,
comme l'énonce la grammaire de Louis Bazin, à « l'expression d'un dis
cours ou d'une pensée muette présentés au style direct » (L. Bazin, 1987 :
131-132). On constate qu'il s'agit en fait d'un simple procédé grammatic
al permettant au turc d'exprimer commodément l'intention, la motivation
d'un acte ou d'un comportement. Il sera ainsi question d'un beylerbey reti
rant son timar à un çavu§ « hizmet eda etmez deyti » (« en considérant
qu'il n'accomplissait pas son service ») (XX 888, n° 19), ou d'un individu
intervenant dans les affaires d'un village relevant d'un vakf, « sipahi
timandur deyti » (« en le regardant comme un timar de sipâhî») (AliEmiri,
Kanunî, n° 149), ou encore de piyade du sancak d'Ankara qui refusent de
venir accomplir leur service « bedel tutduk deyti » (« sous prétexte qu'ils
ont pris des remplaçants ») (KK888, f. 27 lr, n° 1 165) ; enfin de soldats affec
tés à la garnison d'une forteresse, qui s'abstiennent de rejoindre leurs postes
« sipahizadeyuz deyti » (« en faisant valoir qu'ils sont des sipâhi ») (KK 888,
f. 143r, n° 630). Dans ces différents exemples, il est clair que l'auteur ne
prétend pas reproduire un propos précisément tenu, mais seulement défi
nir les dispositions d'esprit de celui ou de ceux qu'il évoque. C'est si vrai
que la tournure se retrouvera aussi bien dans des phrases au conditionnel :
on lira par exemple « Segedin keferesi kiliçdan geçmi§dir deyti 'amiller bun-
lann mallanna dahl ederlerise. . . » (« si les 'amil touchaient aux biens de
ceux-ci (des marchands zimmî) en prétextant que les mécréants de Sege
din ont été passés par l'épée. . . ») (KK 888, f. 179v, n° 785). Il n'apparaît
pas non plus dans le cas de telles formules que l'auteur se soit particuliè- L 'oralité dans les documents d'archives ottomans. . . 1 135
rement efforcé d'être fidèle au langage parlé de ceux dont il rendait les ra
isonnements.
On est dans un cas de figure évidemment tout différent quand le sultan
se réfère à la supplique (arz-u haï), la plainte (sikayet) ou, plus vaguement,
à la « venue auprès du Seuil sublime », d'un particulier, et prétend rapporter
les déclarations de ce dernier. Prenons par exemple un firman de Soliman
le Magnifique de 1546, qui, après la titulature du cadi de Salonique, auquel
il est adressé, commence de cette manière :
« Akidyo (Aftidyo) nam zimmi dergâh-i mu'allama arz-u hal edùb. Sidre-
kapsa kazasmda vaki' olan Aya Lavra nam manastirin ke§i§lerine bin tokuz
yuz akçe kiymetlu birgemi emanet vermi§ idim. Zikr olan gemimi hilaf-i
§er'-i kavim ahara bey' edùb ta'addi eylediler ve zulmen bir atim dahi
aldilar. Ser'le gôriilmesin taleb eder deyii bildirdi. » (« Le mécréant pro
tégé du nom d' Aftidyo a présenté une requête à mon Seuil sublime par
laquelle il a fait savoir ce qui suit : "j'ai remis en dépôt aux moines du
monastère d' Aya Lavra qui se trouve dans la circonscription de Sidrekapsa
un bateau d'une valeur de 1 900 aspres. Ils m'ont fait violence en le ven
dant à quelqu'un d'autre, en contrevenant à la Loi sacrée pleine de force.
En outre, ils m'ont pris de force un cheval. Je réclame que l'affaire soit ins
truite selon la Loi" ») (Ali Emiri, Kanunî, n° 177).
Le texte est donné comme la propre déclaration d' Aftidyo, ce que marque
l'emploi du style direct, avec les terminaisons verbales ou les suffixes pos
sessifs de la première personne du singulier. D'autre part cette déclaration
est présentée comme orale, c'est-à-dire comme ayant été énoncée oralement
à la Porte (au moins a silentio puisqu'il n'y a aucune référence à un texte
écrit).
Mais si, d'autre part, on considère le vocabulaire et la syntaxe du pas
sage, il est manifeste qu'ils ne correspondent en rien à ceux du langage parlé,
encore moins celui d'un zimmi, d'origine grecque. Sans doute n'a-t-on
pas affaire à l'ottoman le plus cuistre et le plus emberlificoté qui se puisse
rencontrer, mais il ne manque cependant ni de constructions persanes (izâ-
fet), ni de mots arabes (notamment en position adverbiale comme dans le
zulmen ou dans des composés verbaux avec l'auxiliaire etmek : bey' edù'b,
te'addi eylediler, taleb ederim). On retrouve d'autre part certaines normes
de la langue administrative : par exemple, dans la façon hiérarchisée de déter
miner une localisation (Sidrekapsa kazasmda vaki' olan nam

  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents