L «ordre» de la tradition. Évolution des hiérarchies statutaires dans la société maure contemporaine - article ; n°1 ; vol.54, pg 118-129
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L'«ordre» de la tradition. Évolution des hiérarchies statutaires dans la société maure contemporaine - article ; n°1 ; vol.54, pg 118-129

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Revue du monde musulman et de la Méditerranée - Année 1989 - Volume 54 - Numéro 1 - Pages 118-129
12 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié le 01 janvier 1989
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Langue Français
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Extrait

Pierre Bonte
L'«ordre» de la tradition. Évolution des hiérarchies statutaires
dans la société maure contemporaine
In: Revue du monde musulman et de la Méditerranée, N°54, 1989. pp. 118-129.
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Bonte Pierre. L'«ordre» de la tradition. Évolution des hiérarchies statutaires dans la société maure contemporaine. In: Revue du
monde musulman et de la Méditerranée, N°54, 1989. pp. 118-129.
doi : 10.3406/remmm.1989.2319
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/remmm_0997-1327_1989_num_54_1_2319Pierre BONTE
L'« ORDRE» DE LA TRADITION
évolution des hiérarchies statutaires
dans la société maure contemporaine
La société maure était, à l'époque de la colonisation française, organisée selon
deux types de valeurs sociales. Les valeurs égalitaires de la tribu s'expriment, dans
le langage de la parenté, comme la conséquence d'une origine et d'une généalogie
commune. Les valeurs hiérarchiques des groupes statutaires — que nous avons
appelé «ordres» par analogie avec les institutions politiques antiques (Bonté, 1987 a)
—, regroupant eux-mêmes un certain nombre de tribus, s'expriment à travers des
codes culturels divergents et correspondent à des devoirs et des privilèges qui s'appré
cient ultimement en référence à une hiérarchie politique. Celle-ci, dans une partie
de la Mauritanie (Trarza, Brakna, Adrar, Taganet) s'inscrivait dans le cadre des
émirats1.
Nous tenterons dans cet article de montrer comment ces valeurs hiérarchiques,
malgré — mais aussi à cause de — leur évolution sous la colonisation française,
perdurent de nos jours et interfèrent largement avec des problèmes économiques
et politiques souvent posés en d'autres termes.
Rappelons d'abord brièvement comment s'organisait cette hiérarchie statutaire.
La société maure «émirale» comprenait trois ordres. Les hassâns descendants des
arabes hilaliens, portent les armes et suivent un code rigide de l'honneur. C'est
en leur sein que se sont constitués les émirats2. Les zawâya constituent un ensemb
le plus hétérogène tant sur le plan des références généalogiques (survâ, descen
dants du Prophète, arabes ou berbères) que sur celui de la structure sociale (à côté
de tribus, certaines confréries — turûq — sont organisées sous une forme tribale)
et de la place politique qu'ils occupent {zawâya «de l'ombre», dépendants des hassân,
RE.M.MM. 54, 1989/4 L'a ordre» de la tradition I 119
et zawâya «du soleil», politiquement autonomes). L'unité de cet ordre tient à une
référence commune aux valeurs et aux codes de l'islam. Les zawâya jouaient aussi
un rôle économique majeur : contrôle des puits, des pâturages et des terrains de
culture, organisation des routes commerciales. Les eznâga enfin auraient une ori
gine berbère; éleveurs ou planteurs de palmiers, ils étaient soumis aux hassân aux
quels ils livraient des redevances diverses en contrepartie de leur protection guerrière.
A l'intérieur de chaque ordre existaient aussi des hiérarchies statutaires permett
ant de classer les tribus à des rangs3 distincts. Ce principe de classement hiérar
chique existe de même au sein des tribus (Bonté, 1987 a), la généalogie interve
nant en chaque cas comme une sorte d'idéologie sociale et politique qui définit
tout autant les solidarités sociales (les 'asabiyyât) qu'elle ne les hiérarchise (Bonté,
1985).
La constitution de la hiérarchie des ordres est le résultat d'un double processus
historique qui traduit aussi la complexité des valeurs ayant trait au pouvoir. En
simplifiant quelque peu, on peut considérer que la distinction entre hassân et zawâya
résulte d'un conflit qui oppose les valeurs islamiques à d'autres valeurs issues du
système tribal. La guerre de sarr bubba, véritable charte de cette opposition (Abd
el Wedoud ould Cheikh, 1985), apparaît comme l'échec d'un mouvement de type
thêocratique et par certains côtés mahdiste4 face à une coalition de tribus guer
rières; les œuvres politiques qui ont été rédigées dans ces tribus zawâya5, au prix
d'une vision volontiers eschatologique de l'ordre social, sont plus soucieuses d'établir
des compromis avec le pouvoir que de fonder un ordre islamique. La distinction
entre hassân et eznâga, achevée avec la constitution des émirats, s'inscrit, quant
à elle, dans le cadre de l'idéologie de l'honneur et de la protection : la défaite mili
taire des eznâga traduit leur incapacité à assumer cette et à défendre
leur honneur ainsi que l'exprime le vocabulaire servant à désigner les relations
entre ces deux groupes6.
Ces valeurs hiérarchisantes, parfois contradictoires, transparaissent particuli
èrement dans le contexte d'une mobilité sociale et statutaire, plus courante que ne
le laisse supposer la rigidité, figée généalogiquement, de l'organisation en ordres.
Ainsi on pouvait devenir hassân, par affiliation à une tribu de cet ordre, affiliation
entérinée ensuite généalogiquement. Il n'est pas rare dans certaines tribus hassân
de rang inférieur, de trouver des lignées entières d'autre origine, parfois même
issues de harâtîn1, anciens esclaves. Dans une société où, comme en d'autres socié
tés arabophones ou musulmanes, l'interdiction pour les femmes de nouer des maria
ges hypogamiques, souligne et contribue à créer la hiérarchie statutaire, l'enjeu
des alliances matrimoniales se manifeste en ces occasions : les mariages entre les
lignées hassân et celles qui sont ainsi intégrées scellent les affiliations et, comme
l'exprime le proverbe maure, «rendent les aïeux égaux» (Bonté, 1987 a). A l'inverse,
le «repentir» (tawba) de certaines lignées hassân qui perdent, en revenant à une
stricte acception de l'islam, leur statut guerrier et leurs privilèges politiques, tra
duit tout autant des reclassements au terme de conflits pour le pouvoir que l'ant
agonisme des valeurs politiques hassân et zawâya : revenir aux valeurs de l'islam
c'est renoncer au pouvoir (Bonté, 1988). Si, cependant, dans l'un et l'autre cas,
la mobilité sociale est forte, concerne des groupes démographiquement importants
et laisse ouvertes de multiples initiatives individuelles et collectives8, elle respecte
la hiérarchie des valeurs et se traduit par des reclassements : reclassements statu- 120 / P. Bonté
taires, en passant d'un ordre à un autre, et même reclassements tribaux en s'affi-
liant à une nouvelle tribu.
Les hiérarchies statutaires ne se limitent pas à cette organisation des ordres qui
concerne les seuls bidân (les «blancs»). Les 'abîd, esclaves, et les harâtîn, «affran
chis », globalement désignés sous le terme sudân, les « noirs », s'inscrivent hors de
cette organisation, dans sa double dimension statutaire et tribale. La situation des
'abîd est relativement simple — ils sont attachés aux familles de leurs maîtres —,
même si des différences de statut sont perceptibles en fonction de leur origine (ache
tés ou nés dans la famille) et de leurs fonctions. La situation des harâtîn est infin
iment plus complexe. Ils ne constituent pas des tribus distinctes mais restent atta
chés, dans des rapports de clientèle qui leur sont plus ou moins favorables, aux
tribus de leurs anciens maîtres. Leur classement statutaire peut considérablement
varier — harâtîn guerriers des émirats, tlamîd des grands sayh3 la plupart du temps
planteurs ou cultivateurs — mais ils restent exclus de l'organisation généalogique
des tribus et des ordres. Dans cette mesure ils continuent à porter un stigmate
de servilité qu'exprime plus particulièrement leur absence de «pedigree». Ils res
tent aussi, le plus souvent, hors du système de l'élevage nomade, activité domi
nante et valorisée, et se consacrent à l'agriculture ou aux plantations de palmiers.
Cette spécialisation n'est pas neutre : outre la nécessaire complémentarité qu'elle
permet d'introduire dans les systèmes de production pastoraux, elle facilite la per
pétuation d'un contrôle social s

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