L'unificateur du malikisme oriental et occidental à Alexandrie : Abu Bakr at-Turtûsî - article ; n°1 ; vol.31, pg 47-61

Vincent Lagardère

Description

Revue de l'Occident musulman et de la Méditerranée - Année 1981 - Volume 31 - Numéro 1 - Pages 47-61
Si l'attachement au malikisme du mouvement almoravide n'est plus à démontrer, une profonde évolution doctrinale marqua l'histoire du mouvement Après une ouverture vers l'as 'arisme, le safi'isme et le sufisme, le malikisme se radicalise sous le gouvernorat de *Alî b. Yûsuf b. Tâsïîn, prônant un retour au malikisme intransigeant qui devait engendrer la réaction almohade. Un homme se trouve au carrefour de cette évolution : Abu Bakr Muhammad b. al-Walid at-Turtûsï.
If the attachment of the almoravid movement to malikism is no longer to be shown, a deep doctrinal evolution left a mark on the history of the movement After turning towards ag'arism, safi'sm, and sûfîsm, malikism becomes tougher under the government of Alî b. Yûsuf b. Taifin, advocating a return to an uncompromising malikism which was to be at the origin of the almohadist reaction. One man stands at the crossroads of that evolution : Abû Bakr Muhammad b. al-Walîd at-Turtusi.
15 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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• Publié par: REVUE_DE_L-OCCIDENT_MUSULMAN_ET_DE_LA_MEDITERRANEE
• Publié le: 01 janvier 1981
• Nombre de lectures: 37
• Langue: Français
• Poids de l'ouvrage: 1 Mo

Extrait

Vincent Lagardère
L'unificateur du malikisme oriental et occidental à Alexandrie :
Abu Bakr at-Turtûsî
In: Revue de l'Occident musulman et de la Méditerranée, N°31, 1981. pp. 47-61.
Résumé
Si l'attachement au malikisme du mouvement almoravide n'est plus à démontrer, une profonde évolution doctrinale marqua
l'histoire du mouvement Après une ouverture vers l'as 'arisme, le safi'isme et le sufisme, le malikisme se radicalise sous le
gouvernorat de *Alî b. Yûsuf b. Tâsïîn, prônant un retour au malikisme intransigeant qui devait engendrer la réaction almohade.
Un homme se trouve au carrefour de cette évolution : Abu Bakr Muhammad b. al-Walid at-Turtûsï.
Abstract
If the attachment of the almoravid movement to malikism is no longer to be shown, a deep doctrinal evolution left a mark on the
history of the movement After turning towards ag'arism, safi'sm, and sûfîsm, malikism becomes tougher under the government of
Alî b. Yûsuf b. Taifin, advocating a return to an uncompromising malikism which was to be at the origin of the almohadist reaction.
One man stands at the crossroads of that evolution : Abû Bakr Muhammad b. al-Walîd at-Turtusi.
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Lagardère Vincent. L'unificateur du malikisme oriental et occidental à Alexandrie : Abu Bakr at-Turtûsî. In: Revue de l'Occident
musulman et de la Méditerranée, N°31, 1981. pp. 47-61.
doi : 10.3406/remmm.1981.1903
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/remmm_0035-1474_1981_num_31_1_1903de l'Occident Musulman et de la Méditerranée Revue
31, 1981-1
L'UNIFICATEUR DU MALIKISME
ORIENTAL ET OCCIDENTAL
A ALEXANDRIE :
ABU BAKR AT-TURTÛSÏ
par V. LAGARDÈRE
Si l'attachement au Malikisme du mouvement almoravide n'est plus à démont
rer, une profonde évolution doctrinale marqua l'histoire du mouvement. 'Abd Allah
b. Yâsin, initié à l'as'arisme par son maître Abu 'Imrân al-Fàsî, tenta de le concilier
avec le malikisme, mais non sans heurts. Sa ligne de pensée fut suivie par l'entourage
de Yûsuf b. Tâsfin, malikite teinté de safi'isme, appréciant la pensée de Cazâlï, puis
abandonnée par 'Ali b. Yûsuf b. Tâsfîn et ses successeurs, prônant un retour au
malikisme intransigeant qui devait engendrer la réaction almohade.
Voulant surmonter les critiques à lui portées par le safi'isme et le zahirisme, le
malikisme se radicalise.
Un homme se trouve au carrefour de cette évolution doctrinale: Abu Bakr
Muljammad b. al-Walîd at-Turtûsî.
Ce faqih, originaire d'al-Andalus, très influencé par le safi'isme de ses maîtres,
appréciant la pensée de Gazâli, dans la première partie de sa vie, tout en le critiquant,
devait être très souvent consulté pour entériner les orientations politiques adoptées par
les Murâbi{ùn : demande de fatwas justifiant les détrônements successifs des princes
andalous. Avant de devenir, à la fin de sa vie à Alexandrie, le grand unificateur du
Malikisme, cet homme, désireux de restaurer le sunnisme, et par l'intermédiaire de ses
disciples, encouragea l'abandon de ce ferment individuel qu'est l'ascétisme, au profit
de disciplines d'école. Le débat concernant l'évolution doctrinale mentionnée présente-
ment, sera remis à plus tard, l'objet de cette étude étant de présenter avant tout,
l'homme, son influence et son œuvre.
I. - SA VIE ET SA FORMATION LITTÉRAIRE ET JURIDIQUE
(451-520/1059-1126)
Muhammad b. al-Walîd b. Muhammad b. Halaf b. Sulaymân b. Ayûb al-Fihrî
connu sous le nom d'Ibn Abi Randaqa (1), naquit à Tortosa (2) en Andalus
vers 451/1059-1060. S'étant lié d'amitié avec Abû-1-Walîd al-Bag"i(3), il s'adonna à
l'étude de la Jurisprudence, de l'art de la controverse (masà'il al-hilàf) et des pratiques 48 V. LAGARDERE
cultuelles d'obligation (fara'ii), après l'avoir suivi à Saragosse. Il fut son disciple et
passa Ylgàza sous sa direction, tout en perfectionnant ses connaissances en mathémat
iques dans cette ville (4). Ensuite il partit pour Seville étudier Xadab sous la férule
d'Abû Muhammad b. Hazm (5).
Aux dires d'Abû Bakr b.al-'Arabï, rapportés par Dabbi (6), il aurait décidé de ne
voyager hors d'al-Andalus, qu'après avoir achevé l'étude approfondie de la jurispru
dence malikite. Son objectif atteint, il partit pour le Moyen-Orient en 476 H (7),
séjourna en Syrie, fit le pèlerinage à la Mecque, avant de se rendre à Bagdad et Basra.
C'est à Bagdad qu'il devait élargir sa formation juridique au contact du §a-
fi'isme. Dès son arrivée dans cette ville, il suivit les enseignements de la madrasa
al-'Âdila (8), avant de fréquenter les cercles d'Abû Bakr Muhammad b. Ahmad as"-Sâs7
al-Mustazhirï (9), faqlh safi'ite, d'Abû Ahmad al-Gurgànï(lO) et de Rizq Allah at-
Tamimï(ll), docteur hanbalite, avec lesquels il s'initia aux autres écoles de droit
musulman. Il étudia le hadît_ sous la direction d'Abû 'Ali at-Tustarî(12).
Doté d'un bon bagage juridique, il décida de partir pour Jérusalem (1 3), dans
l'espoir de rencontrer Abu Hâmid al-Gazâlï. C'est dans le Bayt al-Muqaddis, alors qu'il
dormait d'un profond sommeil, qu'il entendit une voix l'interpeller :
« Crainte de Dieu et Sommeil ! Voilà qui est étrange ! Je t'ai débarrassé d'un
cœur, mais tu demeures mensonger. Par la majesté de Dieu, si tu avais été
sincère, tu n'aurais conservé par devers toi, la moindre part ».
Il s'éveilla, les yeux pleins de larmes.
Cette anecdote illustre le penchant qu'il ressentit pour le Soufisme à cette
période de sa vie et auquel le contact avec la pensée de Gazàlî n'est certes pas
étranger. Il se décida à mener une vie d'ascète et de dévot. Pour ce faire, il se dirigea
vers la montagne du Liban, pour y mener une vie retirée, en compagnie d"Abd Allah
as-Sayyâh(14), homme pieux s'adonnant entièrement au soufisme. Combien dura
cette retraite, nous l'ignorons. Mais assez rapidement, Turtûsl manifesta le désir de
partir pour l'Egypte. Il proposa à son compagnon de faire route avec lui, disant : « Tu
es ici, seul, sans contact avec quiconque. Si tu mourais personne ne s'en rendrait
compte et ne t'ensevelirait ». 'Abd Allah répondit : « Ici, je mange ce qui est licite et je
vis en conformité avec le Droit, sans dépouiller les arbres de leurs fruits. Je ne
rencontrerai pas ailleurs la même licéité ». Abu Bakr lui rétorqua : « II existe en
Egypte, un endroit célèbre, nommé Rasïd(15), où l'on trouve deux matières en
abondance : le sel et le bois. Nous vivrons du commerce de ces deux matériaux, tous
deux parfaitement licites ». 'Abd Allah répondit : « Les gens ne pourront se passer de
toi et je devrai abandonner ma façon de vivre et me séparer de toi ». T. urtûsî lui
promit de demeurer toujours avec lui et ils prirent la route ensemble vers l'Egypte.
Arrivés à Rasïd, ils s'y installèrent. Lorsqu'ils avaient besoin de provisions, ils
ramassaient du bois et du sel, vendaient la quantité que leurs dos pouvaient supporter,
afin d'acheter le nécessaire à leur subsistance.
Ils demeurèrent ainsi, un certain temps, jusqu'à ce que al-Afdal(16), Vizir
fatimide, le fît appeler. Abu Bakr se présenta à lui, étendit sur le sol son manteau, et
s'assit dessus et s'entretint avec lui. Le Vizir lui proposa de s'établir dans la mosquée
Saqiq al-Malik, proche de l'observatoire (Rasad)(17). Leurs relations se gâtèrent très L'UNIFICATEUR DU MALIKISME 49
rapidement. Ce séjour au Caire devenait pesant et ennuyeux au point que Turtûsl dit à
son compagnon : « Jusques à quand patienterons-nous ? ».
Son hostilité envers al-Afdal devint croissante au moment de l'exécution par
celui-ci d'un groupe de jurisconsultes d'Alexandie (18). Les gens de cette ville ayant eu
connaissance de la science du faqïh, envoyèrent leur qâdf, Ibn Hadîda, à sa rencontre.
Celui-ci étant à Rasid, où il menait une vie retirée, ils pénétrèrent dans cette bourgade
et s'informèrent à son sujet, mais