La belle femme - article ; n°1 ; vol.31, pg 22-32
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Description

Communications - Année 1979 - Volume 31 - Numéro 1 - Pages 22-32
11 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1979
Nombre de lectures 49
Langue Français

Extrait

Véronique Nahoum
La belle femme
In: Communications, 31, 1979. pp. 22-32.
Citer ce document / Cite this document :
Nahoum Véronique. La belle femme. In: Communications, 31, 1979. pp. 22-32.
doi : 10.3406/comm.1979.1467
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/comm_0588-8018_1979_num_31_1_1467Véronique Nahoum
La belle femme
ou le stade du miroir en histoire
Illustration non autorisée à la diffusion
La Belle Femme est le nom d'un tableau russe 1 du début du xxe siècle;
il désigne une colossale jeune personne assise sur un lit. Au centre du tableau,
le corps féminin. Les cent kilos probables de ces sphères puissantes ne
pèsent pas sur la nuque légèrement penchée, ne dépriment nullement
la certitude nacrée du sourire. Oreilles et pendentifs, nattes et dents, pieds
et mules, abolissent le poids de ces volumes laiteux par leur précision
miniaturisée : le corps gravite autour de ses limites, délivré de la pesanteur.
Bref, la « belle femme » est énorme et ravie. Le petit miroir au-dessus de sa
tête ne permet pas l'évidence réfléchie de ces énormités. Le visage seul peut
s'y mirer, sûr de son charme paradoxalement délicat. Poids de grâce dans
1. De B. Koustodiev, musée d'Art régional de Toula, 1918.
22 La belle femme
la région de Toula au début du xxe siècle russe : poids de graisse selon nos
critères. De nos jours, une esthétique citronnée décaperait la moitié de son
volume.
Qu'est-ce qu'une « belle femme » dans un lieu historique donné? A quoi
ressemble celle qui ne fera pas « tapisserie » dans les lieux festifs où les
groupes de jeunes non mariés apprennent à se connaître? Quels sont le corps
et le visage de la « laide » : gros, maigres? Est-ce que l'alimentation a joué
un rôle dans la construction de l'identité corporelle, celle-ci envisagée
non pas sous l'angle de la santé ou de la longévité, mais sous celui de la
séduction? Répondre à ces questions d' « histoire-fiction » relève sans doute
d'une utopie rétrospective en ce qui concerne les sociétés rurales tradi
tionnelles d'avant le xixe siècle.
Pour ce qui concerne les sociétés de ville et de cour, en revanche, les sources
sont plus nombreuses et plus diverses : descriptions, représentations
graphiques, préceptes contenus dans les journaux de mode, d'hygiène,
de pédagogie, peuvent apporter dès la fin du Moyen Age des éléments
d'information. L'historien peut en dessiner les modèles, au double sens
esthétique et culturel du terme. En effet, les corps socialisés des élites
se donnent en représentation sociale; ils multiplient leurs images dans les
galeries des glaces du pouvoir : ils savent se « tenir », quelquefois redressés
par les corsets de fer vissés sous les froufrous 1. L'éducation implique
aussi un « travail du corps » pour « former » les enfants des élites, couches
privilégiées. Une de leurs fonctions sociales par excellence sera de se montrer,
d'être vus. Ce travail du corps produit son chef-d'œuvre, la beauté, point
de mire des salons et lieux festifs où les élites s'entre-regardent 2. Pour les
jeunes filles, l'enjeu social investi dans leur présence esthétique est d'autant
plus grand que leur avenir statutaire en dépend.
Au contraire, les corps du monde rural n'ont] pas été redessinés après
un dressage esthétique : le rythme des travaux et des jours courbe dès
avant l'adolescence les silhouettes paysannes et laisse peu de temps au
« travail du corps » éducatif; l'adolescence n'est pas pour eux cette période
de latence et de formation socialisée dans des institutions spécialisées.
De plus, « la montre » n'est pas le but social visé : on oppose souvent, à
tort ou à raison, à la structure figée des fêtes et cérémonies « mondaines »
l'atmosphère « débridée » et « sans retenue » des fêtes « populaires » : les
corps s'y « oublient ». Leur présence esthétique échappe à la tyrannie d'une
image sociale codée qu'ils devraient représenter. Ou, tout au moins, cette
tyrannie fonctionne différemment : elle n'implique pas le même rapport
au silence, au ralenti, au figé des poses mises en scène dans les lieux où
le pouvoir s'affiche.
Un double problème se pose alors : d'une part, comment décrypter
les codes esthétiques qui fonctionnent néanmoins dans ces sociétés?
Les^descriptions du monde rural, les inventaires après décès, l'archéologie,
les ouvrages « non savants » diffusés dans le monde rural, peuvent aider
1. G. Vigarello, Le Corps redressé, Paris, Delarge, 1978.
2. Cf. Dans Qualité de la vie au XVIIe siècle, 7e colloque de Marseille, n° 109, 1977,
les différentes études sur les « civilités » et l'alimentation. Notons au passage « l'horreur
de toute civilité pour la boulimie », et surtout féminine : déjà au xvne siècle l'esthétique
féminine mondaine suppose un rapport perturbé à l'alimentation.
23 Véronique Nahoum
au repérage de ces critères. L'hypothèse de la « forte-belle femme » peut
être, çà et là, testée. Mais, d'autre part, quelle que soit sa silhouette, la
« belle » femme se connaît et est reconnue comme telle : ce sont les conditions
de reconnaissance sociale qui sont à dégager de façon spécifique pour le
monde rural. Diététique et esthétique sont alors deux étapes privilégiées
d'un même processus : celui de la construction de l'identité corporelle.
LA LIGNE ET LE RÉGIME.
L'histoire de l'alimentation a été le plus souvent celle de la nutrition :
étude des régimes et rations alimentaires, évaluation de leurs apports ou
carences nutritives 1. Une autre voie de recherche, largement ouverte,
est celle de la description anthropologique des pratiques alimentaires :
produits, techniques, outillages et comportements concernant les repas 2 :
« Qu'est-ce que la nourriture? Ce n'est pas seulement une collection de
produits justiciables d'études statistiques ou diététiques. C'est aussi
et en même temps un système de communications, un corps d'images,
un protocole d'usages, de situations et de conduites 3. » L'analyse inédite
d'André Burguière 4 offre l'exemple d'une problématique polysémique
de l'histoire de l'alimentation où l'étude de la nutrition va de pair avec
celle du « corps d'images » qui en est le support. Mais la difficulté de la
recherche en histoire sur la « poétique » des pratiques alimentaires réside
dans l'absence de sources évidentes. En effet, cette « poétique », ce « corps
d'images » fonctionnent à l'insu même de ceux qui les vivent, et déterminent
leurs conduites d'autant plus sûrement : par exemple les affinités spéci
fiques entre certaines catégories d'aliments et le sexe (« douceurs » et
féminité, vin et virilité...) jouent certainement un rôle dans les choix
alimentaires. Comment le dégager en histoire?
L'obsession contemporaine de la ligne implique une diététique qui
relève à la fois des problèmes de nutrition, mais aussi de ceux que pose
l'imaginaire alimentaire. La pratique des régimes suppose, d'une part, la
connaissance plus ou moins « scientifique » de la valeur calorique et quali
tative (de la teneur en protéines, sels minéraux, etc.) des aliments et des
mécanismes de la digestion :1e café ne peut plus avoir comme effet «d'amaig
rir les gens qui sont gros et d'engraisser ceux qui sont maigres », comme
1. Le n° 6 des Annales ESC, décembre 1969, offre des exemples de ce type d'étude,
ainsi que le Cahier des Annales, n° 28, 1970, « Pour une histoire de l'alimentation »,
travaux présentés par J.-J. Hemardinquer.
2. Par exemple, in A. Merlin et A.-Y. Beaujoup, Les Mangeurs de Rouergue, Paris,
Duculot, 1978. Et aussi dans la plupart des ouvrages appartenant à la collection « His
toire de la vie quotidienne » on trouve un chapitre décrivant les habitudes alimentaires...
Pour l'étude des rituels de table de

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