La chronologie des Bacchiades et celle des rois étrusques de Rome - article ; n°2 ; vol.100, pg 615-648

Olivier Decazanove

Description

Mélanges de l'Ecole française de Rome. Antiquité - Année 1988 - Volume 100 - Numéro 2 - Pages 615-648
Olivier de Cazanove, La chronique des Bacchiades et celle des rois étrusques de Rome, p. 615-648. Deux traditions divergentes existent, relativement à la généalogie des Tarquins : une tradition « ancienne », représentée entre autres par Fabius Pictor, qui compte deux générations de monarques étrusques; une tradition «récente» (Calpurnius Pison suivi par Denys d'Halicarnasse) qui crée, de manière artificielle, une génération supplémentaire de Tarquins, qui est aussi celle de Servius Tullius. Dans la tradition ancienne, Servius devait être contemporain de Tarquin l'Ancien, ce que suggère d'ailleurs la version étrusque de l'histoire de Mastarna. C'est au IIe siècle av. J.-C. que la tradition récente se substitue progressivement à l'ancienne, sous l'influence de la chronographie grecque : le synchronisme entre la chute des Bacchiades et l'exil de Démarate, ancêtre de la gens, imposait d'intercaler, entre les deux Tarquins, une génération et un long règne servien (v. au verso) intermédiaires. Dans la tradition ancienne au contraire, celui-ci devait se réduire à une régence de peu de durée, datable après le milieu du VIe siècle.
34 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

• Publié par: MELANGES_DE_L-ECOLE_FRANCAISE_DE_ROME
• Publié le: 01 janvier 1988
• Nombre de lectures: 57
• Langue: Français
• Poids de l'ouvrage: 2 Mo

Extrait

Olivier de Cazanove
La chronologie des Bacchiades et celle des rois étrusques de
Rome
In: Mélanges de l'Ecole française de Rome. Antiquité T. 100, N°2. 1988. pp. 615-648.
Résumé
Olivier de Cazanove, La chronique des Bacchiades et celle des rois étrusques de Rome, p. 615-648.
Deux traditions divergentes existent, relativement à la généalogie des Tarquins : une tradition « ancienne », représentée entre
autres par Fabius Pictor, qui compte deux générations de monarques étrusques; une «récente» (Calpurnius Pison suivi
par Denys d'Halicarnasse) qui crée, de manière artificielle, une génération supplémentaire de Tarquins, qui est aussi celle de
Servius Tullius. Dans la tradition ancienne, Servius devait être contemporain de Tarquin l'Ancien, ce que suggère d'ailleurs la
version étrusque de l'histoire de Mastarna. C'est au IIe siècle av. J.-C. que la tradition récente se substitue progressivement à
l'ancienne, sous l'influence de la chronographie grecque : le synchronisme entre la chute des Bacchiades et l'exil de Démarate,
ancêtre de la gens, imposait d'intercaler, entre les deux Tarquins, une génération et un long règne servien
(v. au verso) intermédiaires. Dans la tradition ancienne au contraire, celui-ci devait se réduire à une régence de peu de durée,
datable après le milieu du VIe siècle.
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Cazanove Olivier de. La chronologie des Bacchiades et celle des rois étrusques de Rome. In: Mélanges de l'Ecole française de
Rome. Antiquité T. 100, N°2. 1988. pp. 615-648.
doi : 10.3406/mefr.1988.1602
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/mefr_0223-5102_1988_num_100_2_1602OLIVIER DE CAZANOVE
LA CHRONOLOGIE DES BACCHIADES
ET CELLE DES ROIS ÉTRUSQUES DE ROME*
La chronologie de la période royale à Rome et particulièrement de sa
dernière phase, celle de la domination étrusque, a été, ces dernières
décennies, l'objet de vives controverses1. Aujourd'hui cependant, il semble
qu'un large consensus se dessine pour accorder un crédit renouvelé aux
données fournies par la tradition annalistique. Ce qui veut dire, non seu
lement qu'on admet l'exactitude substantielle des récits faits par les histo
riens romains sur les événements de l'époque archaïque, mais encore les
datations qu'ils proposent de ces mêmes événements.
Les réflexions qui suivent n'ont certes pas la prétention de rouvrir le
débat sur l'historicité des rois étrusques connus par l'annalistique et,
dans l'affirmative, sur les limites temporelles réelles de leurs règnes. Il
s'agit, de manière plus limitée, d'éprouver la cohérence interne de cette
page particulière de l'historiographie romaine et d'interroger les présup
posés chronologiques sur lesquels elle se fonde. On n'essaiera donc à
aucun moment de passer des données écrites à d'autres secteurs de la
documentation, apparemment plus «objectifs» - les témoignages icono
graphiques2 et archéologiques - et de valider celles-là par ceux-ci. Avant
* Cette étude a été présentée sous forme de communication au Centre Gustave-
Glotz, le 21 mars 1988. Je suis redevable à M. Cl. Nicolet et aux participants à ce
séminaire du fructueux débat qui s'en est suivi. Par ailleurs, C. Ampolo et M. Gras
m'ont fait l'amitié de relire et de discuter ce manuscrit. Que tous trouvent ici le
témoignage de ma reconnaissance.
1 Des vues synthétiques du débat sont offertes par M. Pallottino, Fatti e le
ggende (moderne) sulla più antica storia di Roma (SE, XXXI> 1963, p. 3-37) et Le
origini di Roma : considerazioni critiche sulle scoperte e sulle discussioni più recenti
(ANRW, I, 1, 1972, p. 22-47), articles repris dans Saggi di Antichità, I, Rome, 1979,
p. 249-307 ; par G. Poma, Gli studi recenti sull'origine della Repubblica romana, Bolo
gne, 1974, p. 11-25; et, plus récemment (surtout du point de vue archéologique),
par J. C. Meyer, Pre-republican Rome (knalecta Romana Instituti Donici, Suppl. XI),
1983, p. 10-29.
2 On pense bien sûr aux fresques de la tombe François ; sur celles-ci, voir main-
MEFRA - 100 - 1988 - 2, p. 615-648 616 OLIVIER DE CAZANO VE
de tenter quelque rapprochement que ce soit, il faut bien se rendre compt
e en effet que la tradition sur la royauté étrusque à Rome n'est pas uni-
voque. On va voir qu'elle comporte deux strates superposées, qui reposent
sur deux systèmes chronologiques entièrement différents. L'objet de ce
travail est premièrement d'isoler ces deux traditions successives et sur
tout la plus ancienne, à laquelle on n'a pas accordé, jusqu'ici, la considé
ration qu'elle mérite et, deuxièmement, de comprendre quelle nécessité
historiographique a imposé de passer de la tradition «ancienne» à la tra
dition «récente» - celle que nous connaissons et utilisons. On pourra
alors, brièvement du moins, signaler les conséquences qu'entraîne ce
réexamen des sources.
La généalogie des Tarquins :
données originelles et corrections arbitraires
Selon la vulgate annalistique, la période de domination étrusque à
Rome s'ouvre et se ferme sur la figure d'un Tarquin : Tarquin l'Ancien
arrive au pouvoir 137 années après la fondation de la Ville, c'est-à-dire, si
l'on place celle-ci en 754/753 (Varron), en 616 av. J.-C. ; il règne 37 ou 38
ans3, jusqu'en 579; Tarquin le Superbe règne 25 ans4, de 534 à 509 av.
J.-C. Entre les deux monarques se trouve inséré (insertus disait l'Empe
reur Claude5) le personnage de Servius Tullius, au pouvoir pendant 44
ans - une durée exceptionnelle, approchée seulement par celle du règne
du mythique Numa (43 ans)6.
Cet entracte servien, on a essayé d'en rendre compte de différentes
manières, par exemple en supposant que Vulci, dont l'avant-dernier roi
de Rome est parfois donné pour originaire, aurait pour un temps sup
planté dans l'Urbs l'hégémonie tarquinienne7. Reste une question pendan-
tenant l'étude fondamentale de F. Coarelli, Le pitture della tomba François a Vul
ci : una proposta di lettura, dans DdA, 1983, 2, p. 43-69.
3 38 ans (durée canonique) : Cic, Rep., II, 20, 38; Liv., I, 40, 1 ; DH, I, 75, 2; IV,
1,1; Zonar., VII, 8, p. 327; Eutr., I, 6, 5; 37 ans : Sol., I, 24; Canon d'Eusèbe, p. 186
Karst; Hieron., Chron., 97 Helm.
4 Liv., I, 60, 3; DH, IV, 85,4; Eutr., I, 8, 7; Zonar., VII, 11, p. 335; Solin., I, 26;
Euseb., p. 141 Karst (mais 35 ans selon Canon d'Eusèbe, p. 189 Karst, cf. Hieron.,
Chron., p. 103 Helm).
5 CIL, XIII, 1668.
6 Liv., I, 48, 8; Diod., X, 2; DH, I, 75; IV, 7, 1 ; 40, 1 ; Zonar., VII, 9.
7 A. Alföldi, Early Rome and the Latins, Ann Arbor, 1964, p. 212 et suiv. LA CHRONOLOGIE DES BACCHIADES ET CELLE DES ROIS DE ROME 617
te : que devient, pendant le presque demi-siècle où elle se trouve dépossé
dée du trône, la dynastie des Tarquins? On se retrouve ici en face d'une
sorte de « trou noir » : l'étrange impression qui se dégage de l'examen des
sources disponibles est que le temps n'a aucune prise sur les membres de
la famille des Tarquins, pendant toute la durée du règne de Servius Tul-
lius. En effet, la donnée fondamentale réside en ceci que, pour une major
ité d'historiens (plures auctores) auxquels se rallie Tite-Live, et pour
Fabius Pictor en particulier, Lucius Tarquin le Superbe et son frère
Arruns sont fils de Tarquin l'Ancien8. Or, si ceux-ci sont déjà iuuenes à la
mort de leur père9, Lucius est encore iuuenis lorsqu'il complote contre
Servius et s'empare du trône10; Tanaquil, leur mère, est à la mort de son
époux une femme âgée11. Mais elle est encore vivante quatre ans à peine
avant l'avènement de Tarquin le Superbe - soit, nous dit-on, quarante ans
plus tard 12. Égérius, neveu de Tarquin l'Ancien et un peu plus âgé que les
8 Fab. Pict., fr. lia Peter (= fr. 7a Jacoby), ap. DH, IV, 6, 1 : Βούλομαι δ'έπιστή- δι' σας τον έξης λόγον άποδοΰναι τας αιτίας ούτε Φαβίφ συγκατεθέμην ούτε τοις ας
άλλοις ίστορικοΐς, όσοι γράφουσιν υιούς είναι τους καταλειφθέντας παΐδας ύπο Ταρ-
κυνίου, ϊνα μή τίνες τών έκείναις έντυχόντων ταΐς ίστορίαις σχεδιάζειν με ύπολάβω-
σιν ούχ υιούς άλλ'υίωνούς αύτοϋ γράφοντα τους παΐδας; id., fr. lib Peter (= fr. 7b
Jacoby), αρ. DH, IV, 30 : Ενταύθα πάλιν αναγκάζομαι μεμνησθαι Φαβιόυ . . . γέγρα-
φεν υίον είναι Ταρκυνίου τον Άρροντα ...