La consommation de drogues dans le conflit des normes - article ; n°1 ; vol.62, pg 27-46
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Description

Communications - Année 1996 - Volume 62 - Numéro 1 - Pages 27-46
20 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1996
Nombre de lectures 15
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Mr Jean De Munck
La consommation de drogues dans le conflit des normes
In: Communications, 62, 1996. pp. 27-46.
Citer ce document / Cite this document :
De Munck Jean. La consommation de drogues dans le conflit des normes. In: Communications, 62, 1996. pp. 27-46.
doi : 10.3406/comm.1996.1934
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/comm_0588-8018_1996_num_62_1_1934Jean De Munck
La consommation de drogues
dans le conflit des normes1
Le propos de cet article est de faire apercevoir un des enjeux fonda
mentaux du débat actuel sur la consommation de drogues. Il concerne
la conception de la norme à partir de laquelle nos sociétés démocrat
iques articulent leurs politiques régulatoires. Le défi que pose la régu
lation de la toxicomanie est en effet celui-là même qui ne cesse de han
ter la modernité : comment repenser le statut de la norme sur fond
d'autonomie ? La toxicomanie est à cet égard un observatoire privilégié
pour prendre la mesure de ce qui change en la matière, et des risques
que pourrait y courir le projet démocratique.
Ce qui nous intéresse, c'est la manière dont se construit un champ
régulatoire commun où collaborent (éventuellement dans la tension) des
mondes différents. Nous chercherons à comprendre la fabrication
reflexive (c'est-à-dire interne) de la matrice régulatoire à partir des jus
tifications diverses apportées par les acteurs en concurrence. L'objectif
est de comprendre la stabilisation des systèmes d'attente et la genèse du
droit commun à partir des pratiques d'acteurs en quête d'ajustements.
L'introduction de nouveaux répertoires d'arguments dans les années 80,
corrélés à des pratiques inédites, offre une alternative à un compromis
régulatoire fondé sur l'interdit, et désormais en crise. La résultante est que
nous nous trouvons aujourd'hui dans une impasse : ni le formalisme de
l'interdit ni le pragmatisme de la réduction des risques ne sont vraiment
satisfaisants, car chacune de ces politiques présuppose une version incomp
lète de la loi démocratique. Fondées sur des versions pauvres de la nor-
mativité, elles sont chacune en déficit de sens et/ou d'efficience.
27 Jean De Munch
DES MONDES PRATIQUES ET RÉFLEXIFS
Comment connaissons-nous une réalité comme la toxicomanie, et com
ment agissons-nous sur elle ? La toxicomanie est loin d'être une construc
tion simple : elle dépend des structures pragmatiques d'intelligibilité
mises en œuvre pour rencontrer le réel, c'est-à-dire des « mondes » 2. Le
sens même du mot « toxicomanie », ainsi que les modalités de sa réfé
rence, dépend des schémas catégoriaux dans lesquels ce mot est for
mulé. Selon qu'il apparaît dans une version du monde plutôt que dans
une autre, il change à la fois de sens et de référence. Ainsi, la catégorie
« toxicomanie » ne se construit pas de la même façon si nous avons
affaire à une version médicale du monde ou à une version pénale. Dans
le premier cas, la catégorie se construit en référence à d'autres catégor
ies : le « normal » et le « pathologique », la « guérison » ou la « santé »,
etc. Dans le second cas, la catégorie prend sens en s'encastrant dans un
univers où cosignifient des catégories comme « délinquance », « trafic »,
« ordre public », etc. Ou encore, l'usage du terme dans un scheme psy
chanalytique le met en résonance avec d'autres concepts : P« objet », le
« symptôme » ou le « manque ». Comme le dit Putnam, adopter un terme
(« toxicomanie », par exemple), c'est « adopter une "version", à l'inté
rieur de laquelle il est a priori vrai que ce terme se réfère à un objet et
qu'il se réfère en vérité à cette classe d'objet particulière » (1978,
p. 149). Nous adopterons ici prémisse de la pluralité des versions
du monde, moyennant les trois précisions suivantes qui vaudront comme
autant d'« axiomes » de notre démarche.
1) Toute version d'un monde est un monde, et il n'y a pas de monde qui
ne soit une du monde. Une version du monde n'est pas la tenta
tive de s'approcher, par approximation, d'un donné transcendant. Nous
n'avons aucun lieu pour saisir le Monde hors des schemes catégoriaux
qui nous y donnent accès. Il est donc impossible de faire une distinc
tion a priori entre le Monde et ses versions.
2) Les mondes ont une nature fondamentalement pratique. Un monde
est un artefact construit en vue de répondre à des finalités et des besoins
humains, et n'est donc jamais pure description de la réalité. Il dépend
de valeurs pratiques qui se mêlent à ses concepts constitutifs, au point
que leur part descriptive et leur part evaluative en deviennent indis
cernables. Un monde est également pratique en un sens sociologique :
il est partagé par différents acteurs, et fonde en conséquence la coordi
nation de leurs actions (Boltanski et Thévenot, 1991).
3) La construction d'un monde emporte, au moins implicitement, une
28 La consommation de drogues dans le conflit des normes
version de sa propre opération. Construire un monde veut dire engager
une suite infinie d'opérations cognitives et pratiques. Cela suppose le
classement, l'argumentation, la vérification, la coordination, la correc
tion rétroactive, etc. C'est dire que le monde inclut implicitement, comme
une de ses composantes inaliénables, une théorie de lui-même. Il n'est
pas nécessaire de postuler la véracité de cette autoreprésentation pour
admettre son efficience.
Le problème de la toxicomanie peut ainsi se poser à l'intérieur de dif
férents « mondes » de pertinence. Et si le problème prend aujourd'hui
un tour aigu (et emblématique d'une problématique sociale beaucoup
plus générale), c'est parce que nous avons une perception aiguë de cette
« plurimondanité », si j'ose dire. A tous moments, les intervenants en
toxicomanie se posent la question que répète, pour eux tous, et sans pou
voir choisir, Sylvie Geismar-Wieviorka : « sont-ils malades, victimes ou
délinquants ? » (1995, p. 87). Ajoutons : consommateurs, pro
pagateurs de virus, exclus, etc.? La toxicomanie, comme problème régu-
latoire, est le problème de l'intersection des multiples pratiques qui s'ori-
ginent de ces mondes.
Formulons le problème régulatoire en toxicomanie : comment diffé
rents mondes de traitement de la drogue peuvent-ils converger dans une
même matrice régulatoire? Comment les acteurs, se référant à des
mondes divers, peuvent-ils se mettre d'accord pour coordonner leurs
actions sur le terrain des pratiques concrètes ? Par la fabrication d'un
monde commun, artefact cognitivo-pratique lui-même situé à l'interface
des différents mondes.
LE COMPROMIS PENAL
La première réponse à cette question fut le compromis pénal. Le prin
cipe de la pénalisation émerge au début du xxe siècle, et est réaffirmé
dans les années 60-70, au moment où la consommation de drogues
devient, pour la première fois dans les pays industrialisés, un véritable
problème de société. Les ressorts cognitifs et pratiques fondamentaux
du monde régulatoire ainsi formé se caractérisent par deux traits remar
quables : la construction d'un montage sémantique original, dont la
notion ^interdit est la clé de voûte ; l'institutionnalisation de domaines
d'action réservés, entraînant une structuration segmentaire et hiérar
chique de l'espace régulatoire.
29 Jean De Munch
Le carrefour de l'interdit.
La catégorie du toxicomane construite dans les années 60-70 prend sa
signification à l'intérieur d'un monde qui se présente comme le compro
mis de différents mondes. Grâce au concept-carrefour d'interdit, se ren
contrent en effet au moins deux lignes de justification (en droit tout à fait
indépendantes l'une de l'autre) : la ligne policière, fondée sur des argu
ments moraux-civiques, et la ligne thérapeutique, sur des psychologiques et psychiatriques. La construction de ce carrefour
fut l'effet d'un consensus des acteurs, analogue à ce que Rawls appelle
un « consensus par recoupement » : les acteurs se mettent d'accor

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