La froideur du regard impassible des États - article ; n°1 ; vol.75, pg 75-90
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Description

Communications - Année 2004 - Volume 75 - Numéro 1 - Pages 75-90
The esthetics of power have anticipated and influenced the construction of a rational and amoral theory of international relations called realism. In this paper, the analysis of several portraits of statesmen and diplomats focuses on the representation of the eyes of power. Three major characters have to be taken into account in this process : the painter, the diplomat and the scholar. They are the true protagonists of the emergence of this rationality that has played a great role, for better and most often for worse, in international politics.
À travers l'analyse de certains portraits de grands dignitaires de l'État, ce texte explore les rapports entre une esthétique de la représentation du pouvoir et une rationalité d'une science réaliste des relations internationales fondée sur la distanciation amorale. Dans l'incarnation de l'État par les grands, cette esthétique du regard communique avec cette science de la vision.
Notre analyse montre que le trait précède la science et qu'à travers le travail du peintre l'intuition du regard de l'État préfigure la construction d'un savoir froid et objectivant. Les correspondances entre ces trois regards — le peintre, le diplomate et le savant — sont à l'origine d'une énigme dont la raison du politique est le cœur.
16 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 2004
Nombre de lectures 9
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

? Ariel Colonomos
La froideur du regard impassible des États
In: Communications, 75, 2004. pp. 75-90.
Abstract
The esthetics of power have anticipated and influenced the construction of a rational and amoral theory of international relations
called realism. In this paper, the analysis of several portraits of statesmen and diplomats focuses on the representation of the
eyes of power. Three major characters have to be taken into account in this process : the painter, the diplomat and the scholar.
They are the true protagonists of the emergence of this rationality that has played a great role, for better and most often for
worse, in international politics.
Résumé
À travers l'analyse de certains portraits de grands dignitaires de l'État, ce texte explore les rapports entre une esthétique de la
représentation du pouvoir et une rationalité d'une science réaliste des relations internationales fondée sur la distanciation
amorale. Dans l'incarnation de l'État par les grands, cette esthétique du regard communique avec cette science de la vision.
Notre analyse montre que le trait précède la science et qu'à travers le travail du peintre l'intuition du regard de l'État préfigure la
construction d'un savoir froid et objectivant. Les correspondances entre ces trois regards — le peintre, le diplomate et le savant
— sont à l'origine d'une énigme dont la raison du politique est le cœur.
Citer ce document / Cite this document :
Colonomos Ariel. La froideur du regard impassible des États. In: Communications, 75, 2004. pp. 75-90.
doi : 10.3406/comm.2004.2144
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/comm_0588-8018_2004_num_75_1_2144Ariel Càlonomos
La froideur du regard impassible
des Etats
sa L'État, ment bouche froidement c'est : « le Moi, plus ; et l'État, froid voici de je le suis tous mensonge les le Friedrich Peuple. monstres qui Nietzsche » rampe froids. de Il *
Traditionnellement, l'État est associé à une figure de la raison. Une telle
disposition suppose, pour le gouvernant et ses auxiliaires, impassibilité et
maîtrise de soi. Ces caractéristiques physiques et cette nature s'incarnent
dans les postures des grands, tout particulièrement lorsque le pouvoir se
donne à voir publiquement. À ce titre, la peinture puis, d'une manière plus
générale, l'image nous renseignent à la fois sur ce désir de paraître conforme
à l'impassibilité et sur la volonté du pouvoir d'être associé à la froideur.
Cette disposition est le reflet d'une raison du politique fondée sur l'ant
icipation et le calcul, des formes de l'esprit qui nécessitent le recul et la dis
tance dont la froideur, la retenue et l'impassibilité seraient les garants. La
maîtrise de l'émotion a valeur de science dans un tel contexte et celle-ci se
donne pour vocation d'occuper toutes les sphères du politique.
Il est un domaine où cette froideur calculatrice a été érigée en modèle avec
une attention plus particulière : l'art de gouverner dans les relations interna
tionales. Cet art procéderait d'un talent, l'anticipation du lointain, une vision
du large que permet l'auxiliaire de la carte et du binocle ou de la longue-vue
(en italien : il cannocchiàle, la canne doublée de lunettes et d'un œil). Le chef
d'État lorsqu'il s'occupe des affaires étrangères, l'ambassadeur, le conseiller
du Prince en matière de diplomatie et de stratégie : ces différentes figures ont
fait de la froideur et du calcul les vertus cardinales de l'exercice de leurs
fonctions. L'image traduit cet art de gouverner et la peinture du XVIe et du
XVIIe siècle nous renseigne sur la disposition des grands à vouloir endosser les
habits du pouvoir en se parant du masque de l'impénétrable.
L'histoire de la peinture à l'âge moderne illustre cette volonté de paraître
qui marque de son empreinte les tableaux représentant les dignitaires de
75 Ariel Colonomos
l'État. Cette plastique révèle une politique qui, elle-même, sous-tend un
savoir 2. Le regard froid et distancié de l'homme qui s'occupe du domaine
le plus vaste qui soit - le monde — est le signe d'une science auxiliaire du
pouvoir.
Interrogeons sa genèse en la rapportant à la nature du pouvoir qu'elle
vient seconder. En tant que discipline, les relations internationales sont
profondément marquées par une école qui prend le nom de « réalisme ». Le
réalisme affiche sa volonté de faire science dans l'art du politique 3. Le réa
lisme est la théorie de l'art de gouverner suivant le mode de la raison dis-
tanciée ; il a connu son heure de gloire au moment de la guerre froide sans
qu'aucun rival ait été en mesure de le concurrencer dans l'explication du
fait international. Par son nom, le réalisme, qui allie science des régularités
et connaissance des particularités géographiques, suppose d'emblée la
métaphore du regard. Conseillé par un savant dans l'art de gouverner,
l'homme d'État apprend à voir le monde tel qu'il est, désireux qu'il est de se
prémunir en tout premier lieu contre les pièges d'une vision prisonnière
de l'aveuglement d'un idéalisme naïf. Le réaliste fait de la distanciation
amorale une vertu de la découverte scientifique, qui oriente une juste
définition de la puissance. Cette intelligence de l'homme d'État l'engage à
prendre du recul en tenant à distance, par la raison, le lointain.
L'image du pouvoir, l'art de gouverner et la théorie de la gouvernance
sont trois différents niveaux de cette réflexion sur le juste regard du pouv
oir. Il est avant tout crucial de comprendre les correspondances entre ces
trois dimensions en mettant l'accent sur le lien entre une esthétique et une
épistémologie. Cette démarche mène à une analyse qui éclaire l'anticipation
du trait et de la représentation sur la théorie et les concepts. D'emblée on
prend conscience des relations entre trois personnages dont les regards se
réfractent les uns sur les autres : tout d'abord ceux du peintre et de son
modèle, qui de concert représentent la grandeur par la froideur distanciée,
puis celui du savant conseiller, qui fait œuvre de science par la distancia
tion et Pobjectivation du réel.
Le réalisme kissingérien
au miroir du cardinal de Richelieu.
La diplomatie a une icône : le cardinal de Richelieu représenté dans les
tableaux de Philippe de Champaigne. Le Cardinal avait la charge des
affaires de l'État et tenait les rênes de la politique étrangère du royaume de
France au moment de la guerre de Trente Ans. Par-delà le XVIIe siècle,
Richelieu désigne la place d'un moment religieux crucial dans l'histoire
des relations entre États.
76 La froideur du regard impassible des États
Illustration non autorisée à la diffusion
Portrait d'Armand par Philippe Jean du de Plessis, Champaigne. cardinal de Richelieu,
(© Bridgeman-Giraudon.)
« Diplomacy, in the sense of ordered conduct of relations between one
group of human beings and another group alien to themselves, is far
older than history. The theorists of the 16th century contended that
the first diplomatists were angels, in that they served as "angeloi" or
messengers between heaven and earth » (Harold Nicolson, Diplomacy).
Dans sa politique intérieure, Richelieu n'eut de cesse de combattre
l'avancée protestante, notamment en favorisant les mouvements les plus
zélés de la Contre-Réforme, comme les Jésuites. En matière de politique
étrangère, il s'appliqua méticuleusement à étendre la puissance du royaume
de France. La maximisation de cet objectif supposait de nuire aux intérêts
de l'Église catholique romaine; en effet, l'intérêt d'un État comme la
France réclamait que le Saint Empire romain germanique des Habsbourg
fût diminué. En conséquence, le Cardinal conclut des pactes avec des
royaumes protestants du Nord pour ébranler l'unité du Saint Empire.
Le calcul froid et distancié de Richelieu dans sa conduite de la guerre l'a
fait entrer dans l'histoire des relations internationales, où, traditionnellement,
il est associé au cynisme — une qualité morale qui désigne dans certaines
théories du politique un atout indispensable dans l'exercice du pouvoir.
77 Ariel Colonomos
Les tableaux de Champaigne représentent le Cardinal sous les traits
d'

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