La terre sainte disputée - article ; n°41 ; vol.20, pg 83-112
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Description

Médiévales - Année 2001 - Volume 20 - Numéro 41 - Pages 83-112
Entre le IVe et le XIIIe siècle a lieu un lent mais inexorable processus d'exclusion spatiale des juifs dans l'Occident médiéval. Éternellement renvoyés à la terre de leurs pères désormais perdue, les juifs de l'exil se voient dénier toute possibilité d'ancrage, non seulement dans leur ancienne terre, devenue terre du Christ et donc d'une sainteté qui n'est plus la leur, mais aussi dans tout l'espace de la Terre, où les apôtres ont été envoyés en mission et où les lieux saints chrétiens se sont multipliés : églises, cimetières et même communautés d'habitants de certains royaumes dits « chrétiens » voire « très chrétiens », telles la France et l'Angleterre, où le souverain se préoccupe de purifier l'espace de la patrie commune en combattant hérétiques et infidèles.
Disputing the Holy - Land Between the 4th and the 13th centuries, a slow but unrelenting process of spatial exclusion of the Jews took place in the medieval West. Eternally sent back to their henceforth lost fatherland, the Jews of exile were denied all possibility of anchorage, excluded not only from their former land, which was now the land of Christ and thus the land of a sanctity no longer theirs, but from all the regions of the Earth where the apostles had been sent to preach and where holy Christian landmarks had multiplied. These included churches, cemeteries, and even communities of inhabitants of particular kingdoms qualified as « Christian », or indeed « very Christian », such as France and England, where the sovereigns were concerned with purifying the space of the common homeland by fighting heretics and infidels.
30 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 2001
Nombre de lectures 56
Langue Français
Poids de l'ouvrage 2 Mo

Extrait

Monsieur Dominique Iogna-Prat
La terre sainte disputée
In: Médiévales, N°41, 2001. pp. 83-112.
Résumé
Entre le IVe et le XIIIe siècle a lieu un lent mais inexorable processus d'exclusion spatiale des juifs dans l'Occident médiéval.
Éternellement renvoyés à la terre de leurs pères désormais perdue, les juifs de l'exil se voient dénier toute possibilité d'ancrage,
non seulement dans leur ancienne terre, devenue terre du Christ et donc d'une sainteté qui n'est plus la leur, mais aussi dans
tout l'espace de la Terre, où les apôtres ont été envoyés en mission et où les lieux saints chrétiens se sont multipliés : églises,
cimetières et même communautés d'habitants de certains royaumes dits « chrétiens » voire « très chrétiens », telles la France et
l'Angleterre, où le souverain se préoccupe de purifier l'espace de la patrie commune en combattant hérétiques et infidèles.
Abstract
Disputing the Holy - Land Between the 4th and the 13th centuries, a slow but unrelenting process of spatial exclusion of the Jews
took place in the medieval West. Eternally sent back to their henceforth lost fatherland, the Jews of exile were denied all
possibility of anchorage, excluded not only from their former land, which was now the land of Christ and thus the land of a
sanctity no longer theirs, but from all the regions of the Earth where the apostles had been sent to preach and where holy
Christian landmarks had multiplied. These included churches, cemeteries, and even communities of inhabitants of particular
kingdoms qualified as « Christian », or indeed « very Christian », such as France and England, where the sovereigns were
concerned with purifying the space of the common homeland by fighting heretics and infidels.
Citer ce document / Cite this document :
Iogna-Prat Dominique. La terre sainte disputée. In: Médiévales, N°41, 2001. pp. 83-112.
doi : 10.3406/medi.2001.1526
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/medi_0751-2708_2001_num_20_41_1526Médiévales 41, automne 2001, p. 83-112
Dominique IOGNA-PRAT
LA TERRE SAINTE DISPUTÉE *
Jérusalem et la Terre sainte, berceau des deux Testaments, sont un legs
commun aux trois monothéismes. Un voyageur juif du xne siècle, Jacob ben
Natunel Ha Cohen, relate que juifs et non juifs se pressent à la nécropole de
Méron, en Galilée. Il rapporte la colère d'un chevalier provençal, à Tibériade,
contre des chrétiens allumant des cierges sur la tombe d'un saint guérisseur juif.
Pareilles attestations de syncrétisme, à l'âge des États latins d'Orient, contrastent
avec nombre de disputes autour des lieux constitutifs de la « topographie légen
daire » du judaïsme et du christianisme l. Un autre voyageur juif du XIIe siècle,
Pétahia de Ratisbonne, raconte que des moines chrétiens tentent de s'emparer —
mais l'entreprise est vaine — de la grande pierre de marbre couvrant le tombeau
de Rachel, sur le chemin d'Ephratat à une demi-journée de marche de Jérusalem,
pour la déposer dans leur lieu de culte. Le même Pétahia met en garde contre les
tombes des patriarches offertes à la vénération des pèlerins chrétiens à Hébron,
* Cette étude a fait l'objet d'exposés préliminaires dans le cadre de l'atelier organisé par le
Centre d'études médiévales d' Auxerre, La notion de Terre sainte dans les mondes chrétiens et juifs,
le 28 octobre 1998, dans l'une des sessions du congrès de la Society for French Historical Studies,
Defining the Christian Community in the Medieval French World, à Washington, le 20 mars 1999,
à l'invitation de B.-M. Bedos-Rezak, ainsi qu'à une séance du séminaire d'histoire du haut Moyen
Âge de l'université Charles de Gaulle-Lille III, le 28 avril 1999, à l'invitation de R. Le Jan et
S. Lebecq. Je remercie É. Anheim, M. Bourin, B. Grévin, A. Levallois, J. Morsel et D. Sansy, qui
ont enrichi une première version de leurs remarques critiques.
Abréviations utilisées : CCCM : Corpus Christianorum Continuatio Mediaevalis ; CCSL :
Corpus Christianorum Series Latina ; MGH : Monumenta Germaniae Historica ; PG : Patrologia
Graeca ; PL : Patrologia Latina ; RHC, Hist. occ. : Recueil des Historiens des croisades, Histo
riens occidentaux.
La littérature secondaire consacrée au problème de la Terre sainte est d'une abondance un peu
décourageante. On prendra la mesure du phénomène dans R. N. Swanson éd., The Holy Land,
Holy Lands and Christian History, Woodbridge-Rochester, 2000 (Studies in Church History, 36).
1. Exemples cités par J. Shatzmiller, « Récits de voyage hébraïques au Moyen Âge»,
dans D. RÉGNIER-Bohler éd., Croisades et pèlerinages. Récits, chroniques et voyages en Terre
sainte, xtf-xvF siècle, Paris, 1997 (Bouquins), p. 1291 et 1346-1347. L'expression « topographie
légendaire » est empruntée à M. Halbwachs, La Topographie légendaire des Évangiles en Terre
sainte, Paris, 1941. D. IOGNA-PRAT 84
car ce ne seraient pas les bonnes. De son côté, Benjamin de Tudèle, qui visite
la Palestine vers 1 168-1 170, affirme que l'emplacement exact des sépultures de
David et des rois de la Maison de Juda sur le mont Sion est demeuré secret de
façon à abuser les chrétiens 2. Un peu plus tard, le judéo-espagnol Nahmanide
(1 194-1270) soutient qu'Israël est une terre désolée où les non-juifs ne peuvent
pas prendre racine ni être enterrés 3.
C'est sur ce fond de tableau d'une cohabitation tantôt paisible tantôt tendue
que j'aimerais reprendre l'examen de la notion de terre/Terre sainte dans
l'Occident chrétien latin entre l'âge des Pères de l'Église et celui des croisades,
soit en gros du IVe au xme siècle. Qu'est-il encore possible de dire sur une
matière aussi fréquentée ? On n'a pas ici d'autre but que de contribuer à poser
la question en terme de jeu de miroir. La terre/Terre sainte chrétienne est-elle
concevable sans référence aux juifs ? L'inverse est-il, au moins pour partie, vrai
— l'institutionnalisation du pèlerinage juif à Jérusalem pouvant être comprise
comme une réponse au armé des croisés 4 ? Dans cette perspective,
on commencera par relever quelques-unes des références bibliques relatives à
la sanctification de la terre et par examiner la prégnance du legs romain en
matière d'espace saint, sacré et religieux. Sur cette base, on verra ensuite
comment s'élabore la notion de terre sainte dans l'Occident chrétien latin et,
surtout, comment se fait le passage de la minuscule (terre) à la majuscule
(Terre), en mettant en valeur le fait que la sanctification de la terre/Terre
suppose sa « déjudaïsation ». L'impossible ancrage dans la terre chrétienne des
communautés juives nous permettra, pour finir, d'aborder l'étude d'un phéno
mène institutionnel : la territorialisation des communautés d'appartenance
dans le cadre de la patrie commune que tend à devenir le royaume capétien au
tournant des années 1200. Ainsi posée, la recherche ne prétend guère au
comparatisme (on peut le regretter, mais pareille ambition dépasserait les capa
cités de l'auteur) ; son horizon se limite à ce que Bernhard Blumenkranz qualif
iait jadis de judaïsme au « miroir chrétien » 5.
Fondements et évolution de la notion de terre sainte :
bases scripturaires et legs romain
Commençons par tenter de comprendre la signification du terme « terre » et
du qualificatif « saint » qui lui est attaché.
2. J. Shatzmiller, loc. cit., p. 1341 (pour le tombeau de Rachel) et E. Reiner, « A Jewish
Response to the Crusades. The Dispute over Sacred Places in the Holy Land», dans
A. Haverkamp éd., Juden und Christen zurZeitder Kreuzuge, Sigmaringen, 1999 (Vortrage und
Forschungen, 47), p. 209-231 (pour la présentation et l'analyse de la polémique autour de la cave
d'Hébron et des sépultures du mont Sion).
3. Cité par J.-C. Attias, E. Benbassa, Israël imaginaire, Paris, 1998, p. 106.
4. Comme le montre E. Reiner, loc. cit.
5. B. Blumenkranz, Le Juif médiéval au miroir de l'art chrétien, Paris, 1966. On trouvera
une récente approche de la question des lieux et des objets fondateurs du christianisme au miroir
de la veritas hebraica dans l'étude d'O. LlMOR, « Christian Sacred Space and the Jew », dans
J. COHEN éd., From Witness to Wit

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