La théorie politique existe-t-elle ? - article ; n°2 ; vol.11, pg 309-337
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Description

Revue française de science politique - Année 1961 - Volume 11 - Numéro 2 - Pages 309-337
29 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1961
Nombre de lectures 23
Langue Français
Poids de l'ouvrage 2 Mo

Extrait

Monsieur Isaiah Sir Berlin
La théorie politique existe-t-elle ?
In: Revue française de science politique, 11e année, n°2, 1961. pp. 309-337.
Citer ce document / Cite this document :
Berlin Isaiah Sir. La théorie politique existe-t-elle ?. In: Revue française de science politique, 11e année, n°2, 1961. pp. 309-
337.
doi : 10.3406/rfsp.1961.392622
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rfsp_0035-2950_1961_num_11_2_392622La Théorie Politique Existe-t-elle ?
SIR ISAIAH BERLIN
("^ e sujet — la théorie politique — existe-t-il encore ? Cette
■ question posée avec une fréquence suspecte dans les pays
de langue anglaise met en cause les lettres de créance du
sujet elles-mêmes : elle suggère que la philosophie politique, quoi
qu'elle ait été dans le passé — et peu nombreux sont ceux qui refu
seraient de lui reconnaître une histoire riche et pleine d'événe
ments — est aujourd'hui morte ou mourante. Qu'est-ce qui peut
donner naissance à une telle supposition ? Le principal symptôme
qui semble étayer cette opinion est le fait qu'aucune oeuvre déci
sive de philosophie politique n'ait paru au XXe siècle1. Mais ce
n'est guère là une donnée suffisante. Il n'y a que deux bonnes ra
isons pouvant attester la chute d'une discipline : l'une consiste en
ce que ses présuppositions centrales, empiriques, métaphysiques ou
logiques ne sont plus acceptées parce que, au cours du dévelop
pement intellectuel général, elles ont dépéri, ou ont été directe
ment discréditées ou réfutées par la discussion. La seconde consiste
en ce que d'autres disciplines en sont venues à accomplir la tâche
primitivement entreprise par l'étude plus ancienne. Les disciplines
nouvelles peuvent avoir leurs propres limites, mais elles existent,
elles fonctionnent et elles ont ou hérité ou usurpé les fonctions
1. Par une œuvre décisive dans le domaine des idées générales, j'entends
une œuvre ayant converti des idées qui étaient auparavant des paradoxes en
platitudes ou vice-versa. Cela ne me semble constituer rien de plus (mais aussi
rien de moins) qu'un critère adéquat à cet égard.
309
20 Science et Théorie de la Politique
de celles qui les ont précédées ; il n'y a plus de place pour l'an
cêtre dont elles descendent. C'est ce qui est arrivé à l'astrologie,
à l'alchimie, à la phrénologie (les positivistes, anciens et nouveaux,
ajouteraient la théologie et la métaphysique). Les postulats sur
lesquels elles étaient fondées ont été détruits par la discussion
rationnelle ou se sont effondrés pour d'autres raisons. C'est pour
quoi elles ne sont considérées aujourd'hui que comme des exemples
d'illusion systématique. Cette forme de parricide est ce qui const
itue, en fait, l'histoire des sciences de la nature dans leurs rap
ports avec la philosophie, et a donc une portée directe pour la
question qui nous occupe. Car il existe, en gros, au moins deux
types de problèmes auxquels les hommes ont réussi à obtenir des
réponses claires. Les premiers ont été formulés de manière telle
qu'ils peuvent (au moins en principe, sinon toujours en pratique)
être résolus par l'observation, et par inference à partir de données
observées. Ce sont eux qui déterminent les domaines des sciences
de la nature et du sens commun ordinaire. Que je pose des ques
tions simples telles que : « Y a-t-il du fromage dans le buffet ? »
ou : « Quelles sortes d'oiseaux trouve-t-on en Patagonie ?» ou :
« Quelle est l'intention de tel individu ? » ou des questions plus
compliquées sur la structure de la matière ou sur le comportement
des classes sociales ou des marchés internationaux, je sais que
la réponse, pour être acceptée par moi comme correcte, doit repo
ser sur l'observation par quelqu'un de ce qui existe ou arrive dans
l'univers spatio-temporel. Toutes les généralisations, les hypothèses,
les modèles qu'utilisent les sciences les plus compliquées ne peuvent,
en dernière analyse, être établis ou discrédités que par les données
de l'inspection ou de l'introspection.
Le second type de questions auxquelles nous pouvons espérer
obtenir des réponses claires est formel. Etant donné certaines pro
positions appelées axiomes, ainsi que des règles permettant d'en
déduire d'autres propositions, je peux procéder par simple calcul.
Les réponses à mes questions seront valides ou non strictement
selon que les règles - — que j'accepte sans discussion comme faisant
partie de la discipline en question — - sont ou non correctement
appliquées. De telles disciplines ne contiennent pas de propositions
fondées sur des observations de faits ; on n'attend donc pas d'elles
qu'elles procurent des informations sur l'univers, même si elles sont
utilisées pour en obtenir. Les mathématiques et la logique sont
naturellement les exemples les mieux connus de sciences formelles La Théorie Politique Existe-t-elle ?
de ce type, mais la science héraldique, les échecs et les théories
des jeux en général sont des applications similaires des méthodes
qui gouvernent de telles disciplines.
Ces deux méthodes de réponse peuvent, très sommairement,
être appelées empiriques et formelles. Elles ont au moins en com
mun les caractéristiques suivantes :
/. Même si nous ne connaissons pas la réponse à une question
donnée, nous savons quel est le genre de méthodes qui sont approp
riées à sa recherche ; nous savons quelles sortes de réponses
s'appliquent à ces questions, même si elles ne sont pas vraies. Si
on me demande comment fonctionne le système soviétique de droit
criminel ou pourquoi M. Kennedy a été élu président des Etats-
Unis, je peux être incapable de répondre à la question, mais je
sais à l'intérieur de quelle région les données nécessaires doivent
se trouver et comment, si un expert les connaissait, il les utiliserait
pour obtenir la réponse ; je dois être capable d'énoncer cela en
termes très généraux, ne serait-ce que pour montrer que j'ai comp
ris la question. De même si on me demande la preuve du théo
rème de Fermât, je peux ne pas être capable de la donner — mieux,
je peux savoir que personne n'a encore pu prouver ce théorème —
mais je sais également quelle est la sorte de démonstrations qui
seraient considérées comme des solutions à ce problème, encore
qu'elles puissent être incorrectes ou ne pas être décisives — et je
peux les distinguer d'assertions qui n'ont rien à voir avec le sujet.
En d'autres termes, dans tous ces cas, même si je ne sais pas la
réponse, je sais où la chercher, ou comment identifier une autorité
ou un expert qui sache comment s'y prendre pour la chercher.
2. Cela signifie en somme que là où les concepts sont fermes,
clairs et généralement acceptés et où les hommes (du moins la
majorité de ceux qui ont quelque chose à voir avec ces questions)
sont d'accord entre eux sur les méthodes de raisonnement, les
manières légitimes d'aboutir à des conclusions, etc., là et là seule
ment il est possible de construire une science, deductive ou induct
ive. Partout où ce n'est pas le cas, où les concepts sont vagues
ou trop discutés et où il n'y a pas accord sur les méthodes de dis
cussion et sur les qualités qui constituent un expert, partout où
nous trouvons des récriminations fréquentes sur ce qui peut ou ne
peut pas prétendre au titre de loi, d'hypothèse démontrée, de vérité
indiscutable, etc., — nous sommes, au mieux, dans le domaine
311 Science et Théorie de la Politique
d'une quasi-science : les principaux candidats à l'admission dans
le cercle enchanté qui n'ont pas réussi à passer les tests requis
sont les occupants de la région étendue, riche et centrale, mais
instable, vague et fantomatique des « idéologies ». L'un des tests
sommaires permettant de découvrir dans quelle région nous nous
trouvons est celui-ci : y a-t-il un ensemble de règles, accepté par
tous ou presque tous les experts concernant le sujet, et capable
d'être incorporé dans un manuel, qui soit applicable à une

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