Le cahier de doléances des enfants (avril 1789) - article ; n°1 ; vol.278, pg 476-486
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Description

Annales historiques de la Révolution française - Année 1989 - Volume 278 - Numéro 1 - Pages 476-486
11 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1989
Nombre de lectures 51
Langue Français

Extrait

Claire Gaspard
Le cahier de doléances des enfants (avril 1789)
In: Annales historiques de la Révolution française. N°278, 1989. pp. 476-486.
Citer ce document / Cite this document :
Gaspard Claire. Le cahier de doléances des enfants (avril 1789). In: Annales historiques de la Révolution française. N°278,
1989. pp. 476-486.
doi : 10.3406/ahrf.1989.1284
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/ahrf_0003-4436_1989_num_278_1_1284CAHIER DE DOLÉANCES DES ENFANTS LE
(Avril 1789)
Ceci n'est pas un conte. Il existe bien, à la Bibliothèque histo
rique de la ville de Paris, portant la cote 8884, une plaquette intitulée
« Doléances des Bambins de France à présenter aux États Généraux ».
L'imprimé est sans lieu ni date, mais la préface de l'auteur situe la
rédaction en avril 1789. Quant au lieu supposé, « à Bambino », il
nous renvoie au pays imaginaire.
Jeu d'utopiste ou simple plaisanterie ? L'anonymat du rédacteur
(qui signe B***) promet une facétie; en effet, il commence par
comparer le cahier de doléances des enfants à celui des demoiselles,
avec ou sans ceinture ponceau, et se fait un plaisir d'expliquer cette
distinction. Mais c'est une fausse piste : il y a là plus qu'une contre
façon humoristique des Cahiers de Doléances.
L'auteur, qui se présente lui-même comme « un jeune bambin
d'une trentaine d'années », sait par expérience que le jeu est une
activité fort sérieuse. Alors qu'imaginer derrière ce B*** ? Le citoyen
Bambin pourrait bien cacher un pédagogue comme Bulard, ou Des
forges, ou Rouy l'Aîné, ou un autre de cette génération qui a produit
les almanachs, les abécédaires, les catéchismes républicains de l'an II.
Impossible, bien sûr, d'éclaicir totalement le mystère, mais c'est
certainement un homme comme ceux-là : un éducateur qui aime les
enfants et les idées nouvelles.
Il n'est guère de page dans son texte où l'on ne sente l'influence
de Rousseau. Il fait plus que prôner, il exige l'allaitement maternel ;
il proscrit les fessées ; il critique les théâtres ; il n'admet plus qu'on
apprenne sans comprendre, en particulier des prières en latin. B***
n'a pas lu seulement l'Emile mais aussi les Confessions, la Lettre à
d'Alembert... il a dû dévorer toute l'œuvre du philosophe. Mais plus
de vingt ans ont passé depuis la publication de l'Emile, et cela se
sent : sur certains points l'élève va plus loin que le maître, et dans
certaines remarques concrètes on sent que monte l'esprit de la
Révolution. CAHIER DE DOLÉANCES DES ENFANTS 477 LE
Arrêtons-nous, sans rire, sur la solennité de ce bout de phrase :
« l'Ordre respectable, et très peu respecté, de Messieurs les Bambins
de l'un et l'autre sexe ». Qu'est-ce qu'un Ordre ? « Qu'est-ce que le
Tiers État ? » La comparaison est poussée assez loin, avec une
réflexion sur les inégalités consacrées par la coutume et sur l'oppres
sion. B***, secrétaire et défenseur des enfants, s'assigne pour tâche
de « toucher les cœurs endurcis sur les maux de l'Ordre » ; un
discours parallèle montait des Cahiers de Doléances du Tiers vers
le roi et les privilégiés. Les enfants exigent du respect et de la dignité.
Il faut les protéger contre la brutalité et contre l'hypocrisie des
adultes. B*** évoque le scandale des enfants écrasés par des carrosses
lancés au galop dans les rues de Paris — et l'on reconnaît l'image
qui, dans la littérature populaire et au cinéma, symbolise ce que
l'Ancien Régime avait d'insupportable. Enfin, pour achever la ressem
blance entre le Tiers État et les enfants, analysons ce regard singulier
qu'ils portent sur les « grands » : les « petits » en savent plus qu'on
ne pense et ont beaucoup à dire. La critique, ici, des adultes qui
systématiquement disent « blanc » et font « noir » rejoint la critique,
dans l'ensemble des Cahiers du Tiers, des incohérences d'une société
inique.
Mais revenons à nos enfants.
Rempli d'espoir à la veille des États Généraux, le citoyen B***,
pédagogue utopiste, s'essaie à construire l'homme et la femme de
demain. Tous, garçons et filles, sauront nager, et il n'est pas interdit
de l'entendre à la fois au propre et au figuré : car une éducation
réussie doit rendre les jeunes capables de se tirer d'affaire. Les
garçons n'apprendront plus à tirer l'épée : l'auteur rêve pour la
société future de mœurs plus douces, non sans une pointe d'anti-
militarisme (il a aussi lu Voltaire). Désormais, les parents permett
ront aux enfants de choisir librement leur état, leur destin. Cette
disposition, comme la suppression du droit d'aînesse, précède de peu
la future législation. Mais la plume de B*** est entraînée beaucoup
plus loin par ses pulsions égalitaires : il réclame, à titre d'exemple,
l'égalité pour les deux mains, facétie qu'on peut qualifier (le jeu de
mots s'impose) de « gauchiste ».
Ce texte sans prétention est étonamment jeune ; il n'a (presque)
pas une ride. Bien sûr, il s'en prend à une mode et à une porno
graphie qui ne sont pas exactement les nôtres. Mais la méthode
envisagée par le moraliste à rencontre de ceux qui contreviennent
gravement à l'honnêteté et à la décence évoque les sanctions symbol
iques en usage sur nos terrains de sport ; l'arbitre (B*** toujours)
sanctionne les échanges de mots ou de regards contraires aux règles,
non par un carton mais par une cocarde jaune. Rêver de règles du
jeu qui évacuent la violence des rapports humains, c'est pousser à 478 CLAIRE GASPARD
l'extrême la démarche utopique ; néanmoins, cette exigence de « lois
douces et humaines », en 1789, fut à l'origine de la Déclaration des
Droits de l'Homme.
Aujourd'hui, le progrès des Droits de l'Homme amène à spécifier
les Droits des Enfants.
Il y a deux cents ans, le Cahier de Doléances des Bambins
de France, plaisanterie certes, mais pénétrante, adoptait la forme
d'une loi.
Claire Gaspard.
DOLÉANCES DES BAMBINS DE FRANCE
à présenter aux États Généraux
A BAMBINO
DÉLIBÉRATION DES BAMBINS
dans leur Assemblée générale tenue à Bambino
le 10 avril 1789
Nous, l'espoir du siècle futur, le corps le plus essentiel et le
plus intéressant de l'État ; membres naissans de la société, tant de
l'un, que de l'autre sexe : nous, qui devons jouir un jour des heureux
effets de la révolution qu'un Roi bienfaisant et citoyen va opérer
dans ses États ; considérant que des esprits remplis de sagacité et
de vues saines pour le bien de tous, se sont amusés à porter
aux pieds de l'auguste Assemblée les doléances de plusieurs corps
[comme, par exemple, celles des demoiselles vraiment demois
elles (1) ; et puis encore, des demoiselles qui n'en ont que le nom (2),
à cause qu'elles font tous les jours ce qu'il faut pour ne l'être plus] ;
et tout cela pour faire briller au grand jour la profondeur de leur
jugement, et la beauté de leur style : avons résolu de nous ingérer
aussi de faire présenter aux illustres États une pétition pour obtenir
de leur sagesse une loi, en forme de règlement, qui assurera, pour
(1) Doléances des demoiselles, petit écrit d'une simplicité si simple qu'elle fait honneur
à son auteur.
(2)des filles-du-monde, dont l'auteur parle en amateur ; et n'a imaginé la
ceinture ponceau que pour s'éviter les méprises cuisantes dans lesquelles il est tombé. CAHIER DE DOLÉANCES DES ENFANTS 479 LE
l'avenir, à notre corps une considération plus étendue, et une édu
cation qui le mettra, par la suite, à même de rendre à l'État des
services plus essentiels que ne l'a fait le plus grand nombre de nos
prédécesseurs.
En conséquence, comme aucun de nous n'a pas encore les doigts
assez allongés pour tenir la plume, et que nous préférons, ou le sein
qui nous nourrit, ou un joli joujou ; nous avons, d'une voix unanime,
accordé notre confiance, et chargé

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