Le droit et l image : sur un cas d essorillage - article ; n°9 ; vol.4, pg 103-117
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Description

Médiévales - Année 1985 - Volume 4 - Numéro 9 - Pages 103-117
15 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1985
Nombre de lectures 29
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Marie-Laure Le Bail
Le droit et l'image : sur un cas d'essorillage
In: Médiévales, N°9, 1985. pp. 103-117.
Citer ce document / Cite this document :
Le Bail Marie-Laure. Le droit et l'image : sur un cas d'essorillage. In: Médiévales, N°9, 1985. pp. 103-117.
doi : 10.3406/medi.1985.1006
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/medi_0751-2708_1985_num_4_9_1006Marie-Laure LE BAIL
LE DROIT ET LIMAGE :
SUR UN CAS D'ESSORILLAGE
Bien que n'ayant jusqu'à présent suscité que peu d'intérêt auprès des
historiens du droit, l'iconographie des chartes de coutumes méridionales
constitue un champ d'étude prévilégié pour l'anthropologie historique.
Par les symboles qu'elle met en jeu dans la représentation du supplice,
par les significations que l'on peut en extraire en termes de confessions
involontaires, témoin des réalités juridiques « matérielles » mais aussi
du regard porté sur elles, elle apparaît parfois plus révélatrice que le
discours écrit.
L'image que nous avons choisie d'analyser illustre l'un de ces châti
ments qu'au XIX* siècle les humanistes qualifièrent unanimement de
barbare : l'essorillage. L'essorillage sanctionne le plus souvent au Moyen
Age le vol de faible importance. Il est attesté dans les coutumes de
l'Agenais (1), à Marmande (milieu XIV siècle), à Gontaud (début XIV*
siècle), à Montréal (milieu XIIIe siècle), à Mézin (début XIV* siècle :
vol entre 20 et 60 sous), dans les Coutumes du Quercy, à Cajarc où en
1316 un vagabond n'ayant plus d'oreilles avoue que l'une d'elles a été
coupée à la suite d'un vol de 8 deniers à Cahors et l'autre pour le vol
d'une serpe dans les Charentes (2), mais aussi dans le nord de la
France, dans le bailliage de Senlis au début du XV* siècle (3). Il semble
donc que cette pratique ait été largement répandue dans la majeure
partie du pays et durant l'ensemble de la période qui nous intéresse
(XIII*-XV« siècles).
L'image est extraite du corpus de miniatures qui enlumine l'un des
manuscrits des Coutumes de Toulouse, le manuscrit latin 9 187 de la
Bibliothèque nationale. Ce manuscrit, rédigé sur parchemin à la fin
du XIII* siècle, mesure 427 mm de hauteur sur 270 mm de large et
compte 47 feuillets écrits d'un seul jet par une même main en grosse
écriture dite méridionale. L'image a été exécutée dans l'un des espaces
initialement prévus pour la transcription du commentaire des coutumes
1. Paul OURLIAC et Monique GILLES, Les Coutumes de l'Agenais,
tome 1, Montpellier, 1976, 501 p. ; tome 2, Paris, Picard, 1981, 398 p.
2. L. D'ALAUZIER, « Causerie sur les Coutumes de Cahors. Les pénal
ités », Bull. Soc. Lot., LXXVII, 1956, p. 26-31.
3. B. GUENEE, Tribunaux et gens de justice dans le bailliage de Sentis
à ta fin du Moyen Age (vers 1380 -vers 1550), Strasbourg, 1963, 587 p. 104
et laissés libres en raison de la trop grande brièveté de ce dernier.
L'ensemble de la représentation, situé dans le prolongement vertical
des deux colonnes d'écriture (composées chacune de 33 à 35 lignes),
couvre en largeur la quasi totalité de la marge inférieure du feuil
let 28 verso sur une hauteur variant de 60 à 90 mm. Comparable aux
17 vignettes qui l'accompagnent, qui toutes représentent des scènes de la
vie judiciaire toulousaine ayant trait au droit pénal, l'image, vraisembla
blement contemporaine de la confection du manuscrit (1296), ne présente
aucun rapport avec le texte qui l'entoure et paraît se justifier d'elle-
même comme complément indispensable d'un texte peut-être jugé
lacunaire.
La scène de l'essorillage n'occupe qu'une partie de l'espace pictural.
Elle est précédée de deux autres scènes : l'une représente le juge
prononçant la sentence et livrant le condamné au soldat et au bourreau,
l'autre représente le trompettiste annonçant le supplice.
Il s'agit d'une image narrative, divers groupes de personnages
disposés en séquences constituant un enchaînement logique et chrono
logique, dont la progression se décompose en trois scènes, trois
moments d'un tout dont la cohérence dépend de cette figuration
simultanée de la cause et des effets : la livraison du condamné au
bourreau, l'annonce du supplice, l'exécution.
Comme s'il s'était agi d'un jeu, jeu visuel rendu possible par l'arti
fice de l'image, le travail de l'auteur s'est exercé sur une certaine
manière de raconter, sur la mise en espace de matériaux picturaux
renvoyant sur le plan symbolique à l'idée d'un supplice, produit de
tout ce qui précède, inexorable, et privilégiant sur le plan formel une
lecture de l'image de gauche à droite, la limite gauche, nettement
surévaluée par une densité plus importante de personnages, fonction
nant comme point extrême, instaurateur de sens.
Inaugurant l'espace pictural, le juge apparaît comme personnage
essentiel, celui dont dépend l'action à venir. Représenté assis, dans
l'exercice de ses fonctions, il porte en lui les marques d'une nature
transcendante, la sagesse et la dignité caractéristiques des êtres qui
agissent bien. L'harmonie de son comportement, l'idée de stabilité
qui s'en dégage, témoignent de son respect de la mesure et de l'ordre.
L'impression de grandeur attachée au personnage se trouve renforcée
par la longueur de son vêtement qui tombe si bas que l'on ne distingue
que la pointe de ses pieds, contrastant avec la proéminence de ceux
des trois hommes qui l'entourent, vêtus de robes courtes atteignant à
peine le genou. La supériorité intrinsèque du juge est confirmée, d'un
point de vue purement formel, dans le contraste qu'instaurent les
positions des personnages, l'un assis, les autres debout, comme dans
celui qu'annulent les proportions quasiment identiques de tous les
protagonistes, la hauteur du juge assis rejoignant celle des trois 105
hommes figurés debout ; aux effets produits par l'écart des positions
se conjuguent ceux causés par la similitude des situations.
Les doigts pointés du juge, représenté la bouche fermée et les lèvres
serrées, montrent avec autorité, non pas une chose visible, ni un
objet existant, mais ce qui doit être. Le juge prescrit la norme,
prononce la « règle imperative », la « formule qui règle le sort », il dit
le droit (4). Il donne ici l'ordre à ses subordonnés d'accomplir une
action dont on connaît la nature parce qu'elle est déjà en voie de
réalisation. Le condamné s'est substitué au juge dans le rôle de person
nage essentiel. Sa position centrale dans cette partie de l'image le
désigne comme principal protagoniste, celui autour duquel va se déve
lopper l'action. Encadré d'un côté par le soldat, de l'autre par le
bourreau, sa condition de prisonnier ne fait aucun doute. Prisonnier
dans l'espace, il l'est aussi réellement ; son corps est l'objet d'une prise
de possession mise en évidence par la pression opérée par chacun des
gestes figurés : le geste du bourreau dont la main droite est posée
sur l'épaule du condamné, le geste du soldat dont le pied gauche
recouvre l'extrémité du pied droit du coupable. Les effets conjugués
de ces deux relations gestuelles confèrent au condamné, privé de sa
liberté d'agir et engagé dans une action dont il n'est pas le maître,
un statut d'objet manipulé.
Ce face à face des regards et des positions entre le juge et le groupe
des trois hommes (fig. 1) (5) donne à la scène une singulière auto
nomie. Construite « sur elle-même », pause plutôt que révolution dans
le mouvement général de la gauche vers la droite de l'image, elle
suggère un huis-clos dont l'ouverture sur l'extérieur naît dé la rupture
qu'instaure sur le plan formel la représentation « dos à dos » du
bourreau et du trompettiste. Celui-ci, dont la proximité avec la scène
précédente signifie peut-être le peu de temps qui sépare la sentence
de son exécution et donc l'immédiateté du châtiment, représenté de
profil, les jambes

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