Le jaguar moyen - article ; n°1 ; vol.29, pg 71-91
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Description

Communications - Année 1978 - Volume 29 - Numéro 1 - Pages 71-91
21 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1978
Nombre de lectures 15
Langue Français
Poids de l'ouvrage 3 Mo

Extrait

Mark A. Gœtzke-Ricault
Le jaguar moyen
In: Communications, 29, 1978. pp. 71-91.
Citer ce document / Cite this document :
Gœtzke-Ricault Mark A. Le jaguar moyen. In: Communications, 29, 1978. pp. 71-91.
doi : 10.3406/comm.1978.1434
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/comm_0588-8018_1978_num_29_1_1434Mark A. Goetzke-Ricault
Le jaguar moyen
Espace et sens dans
l'iconographie de Chavin
Nature hath no outline, but Imagination William Blake. has.
A. Riegl * estimait que le pas le plus important réalisé dans le développement
de l'art était la tentative, au paléolithique, de représenter des animaux sur une
surface bidimensionnelle au moyen d'un contour (Umriss), ligne idéale substituée
à la forme tridimensionnelle de l'objet d'expérience. Mais encore faut-il se demand
er pourquoi. Nous savons déjà que la pratique dite artistique s'inscrit pleinement
selon* des dans le domaine culturel, effectuant une transformation de la nature
règles qui sont étrangères à celle-ci. Shi Tao (Ryckmans 1974 : 125), qui semble
déjà avoir abordé la question, écrivait au début du xvme siècle : « Dans la plus
haute Antiquité il n'y avait pas de règles; la Suprême Simplicité ne s'était pas
encore divisée. Dès que la Suprême Simplicité se divise, la règle s'établit. Sur
quoi se fonde la règle? La règle se fonde sur l'Unique Trait de Pinceau. » La ligne
donc, régulière et démarcative, produite par l'homme, constitue cognitivement
et re-produit le monde et ses objets comme tels (réglés et démarqués). L'image
divise le monde, crée en quelque sorte l'objet (du moins en ce qu'il est intelligible
pour l'homme) et exerce un pouvoir sur lui; par le fait de sa simple production,
elle acquiert aussitôt un caractère opaque. Les seuls objets qui peuvent être ainsi
constitués directement sont ceux qui ont été déjà culturellement récupérés.
Comme dit Boas (1927 : 11) : « La nature ne semble pas présenter des idéaux for
mels — c'est-à-dire des types fixes qui sont imités — , sauf quand un objet naturel
est utilisé dans la vie quotidienne, quand il est manipulé et peut-être modifié
par des processus techniques. »
Ces formulations recouvrent plusieurs problèmes : pour réaliser ce passage
entre l'objet et l'image (qui n'est jamais simple «substitution»), 1. Quels critères
de choix des qualités de l'objet sont pertinents 2? 2. Quelles conventions icono
graphiques peuvent être instituées pour re-présenter ces qualités distinctives?
et 3. Quel ensemble de règles peut être formulé pour garantir la fidélité homolo-
gique de la transformation? Pourtant, le principe qui leur esUommun est la codi
fication de la différence.
Mais au fond, qu'est-ce que la différence? Au niveau du continu, là où toutes
les différences sont possibles, elle est d'abord du sens en puissance. Codifiée
1. Cité par Boas 1927 : 16.
2. Cette sélection n'est pas nécessairement consciente et n'est jamais arbitraire,
par le simple fait qu'elle ne se fait pas dans un vide. Elle est déjà contrainte par d'autres
systèmes cognitifs, des conditions historiques, et par les rapports que l'homme entretient
avec l'objet.
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comme telle, elle revient à ponctuer le continu, problème de limite, là où tout ce
qui est est différencié de ce qui n'est pas. Cela ne serait autre qu'une définition
de la fonction linéaire (l'Unique Trait du Pinceau), coupure binaire de la négation
qui relève de la communication digitale. Chaque distinction faite en écarte une
infinité d'autres, et la constitution de l'information (organisation ou, selon
Bateson, « the difference which makes a difference ») se traduit par une destruction
sélective du sens 1. Or l'acte de distinguer opère comme contrainte sur les états
successifs du système 2, ordonnant ainsi la production d'un trait et la construction
subséquente de l'espace.
Il faut dire aussi qu'un trait est traître de nature. Dans sa genèse, représen
tation parfaite du continu même, il devient, une fois tracé et s'étant contraint,
représentation parfaite du discret. Si je dessine une chose, quelles que soient les
qualités que j'aurai pu relever comme pertinentes, le trait en est exclu. Autre
ment dit, ayant un sens au début, il s'achève en étant un marqueur d'ordre
purement informationnel. Si Riegl avait raison de dire que le trait est à la base de
l'art, c'est sans doute parce que le trait, comme l'art, joue sur sa propre ambiguïté.
Pour codifier 3 la différence comme relation, il trahit sa propre existence pour
en devenir une. Que l'objet soit réel ou symbolique, le trait est nécessairement
imaginaire, dans tous les sens du mot.
Chavin, site archéologique dans le bassin du Marafion posé sur le versant orien
tal de la Cordillera Blanca des Andes centrales, fut repéré peu de temps après
la conquête par les chroniqueurs espagnols et visité périodiquement par les voya
geurs des xviii6 et xixe siècles. Cependant, il désigne aussi une tradition cultur
elle, le premier « horizon style 4 » péruvien dont l'importance ne fut révélée que
récemment par Tello (1943 et 1960, ce dernier texte ayant été écrit entre 1919 et
1945), qui l'a véritablement décrit, reconnu comme « culture matrice » et situé
dans son contexte chronologique. Quoique les dates données par le carbone 14
soient encore discutées, leur interprétation la plus probable délimite le Early
Horizon (et donc Chavin) entre 1200 et 200 ans avant notre ère. Nous ignorons
les origines de Chavin aussi bien que les raisons qui ont provoqué son démantèle
ment. L'assertion de Lanning (1967 : 93, 101; aussi soutenue par Willey 1971 :
112) selon laquelle Cerro Sechin (sur la côte nord-centrale) fournirait un antécé
dent plausible pour le style de Chavin, déjà mise en question par Lathrap (1969;
1971 : 74-5), semble être infirmée par la sériation faite récemment par P. Roe
(1974 : 35-38; voir également la discussion dans Kan 1972 : 86-7). Lathrap sug
gère alternativement qu'on considère soit les hautes terres plus au nord, ou,
en suivant l'opinion de Tello lui-même, les pentes orientales des Andes et la forêt
tropicale. (Ne présentant ici que des bribes d'un travail encore en cours, nous ne
joindrons pas le corpus hétérogène des données qui permet de supposer l'existence
de contacts de longue date enire la forêt tropicale, les Andes, et la côte du Pérou,
1. Cf. Wilden 1972 : 168; Lévi-Strauss 1962 : ch. i; et Watzlawick, Beavin, et
Jackson 1967 : 66-67.
2. « Le premier pas seul est décisif » (Sebag 1964 : 7). Par système nous entendons
ici le circuit artiste-œuvre qui sont eux-mêmes en rapport continu.
3. Nous avons pris ce terme généralement comme synonyme du mot anglais mapping,
avec sa double implication de projection (passage) et contrainte.
4. Voir Rowe 1960 et 1962a pour une discussion de ces termes et leur portée dans
l'archéologie péruvienne.
72 Le jaguar moyen
et à travers cette interaction, l'émergence de Chavin. Le lecteur intéressé est
renvoyé aux écrits de Tello cités plus haut, ainsi que de Lathrap [1969, 1970,
1971, 1973a et 19736.]
Chavin est surtout connu pour ses sculptures monumentales en pierre qui, en
raison de leur complexité formelle et de leur richesse, représentent un des systèmes
iconographiques les plus impressionnants et réfractaires du Nouveau Monde.
Son interprétation est d'autant plus difficile que nous manquons de tout contexte
ethnographique, tâche comparée à juste titre par J. Rowe (1962& : 21) au déchif
frement d'une écriture inconnue. Les tentatives dans ce domaine ne manquent
pas. D'abord il faut signaler un ouvrage de Tello (1923), aussi remarquable que
mal connu, dans lequel il essaie d'établir des correspondances entre les diverses
mythologies de la forêt tropicale et du Pérou, et d'en faire dériver certaines fonc
tions constantes qui seraient ensuite applicables dans l'analyse iconographique.
Malgré son manque d'outils analytiques de base ayant pour conséquence des
conclusions trop superficielles, sa fantaisie occasionnelle dans l'identification et
l'interprétation des éléments, et sa supp

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