Le paradigme du passage - article ; n°1 ; vol.70, pg 5-31
28 pages
Français

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris

Le paradigme du passage - article ; n°1 ; vol.70, pg 5-31

-

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus
28 pages
Français
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus

Description

Communications - Année 2000 - Volume 70 - Numéro 1 - Pages 5-31
27 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 2000
Nombre de lectures 18
Langue Français
Poids de l'ouvrage 2 Mo

Extrait

Martin de la Soudière
Le paradigme du passage
In: Communications, 70, 2000. pp. 5-31.
Citer ce document / Cite this document :
de la Soudière Martin. Le paradigme du passage. In: Communications, 70, 2000. pp. 5-31.
doi : 10.3406/comm.2000.2060
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/comm_0588-8018_2000_num_70_1_2060Martin de la Soudière
Le paradigme du passage
Ce le maître que la l'appelle chenille appelle le papillon. la mort,
Proverbe oriental
Comme toujours quand on tient une notion — et le mot qui la dit —, elle
se dote vite pour le chercheur du don d'ubiquité, et grande est la tentation
de ne voir le monde qu'à travers elle. Celle de passage n'échappe pas à
la règle. D'abord donc - et faute de quoi tout ne serait que passage... -,
en cerner soigneusement les contours, l'isoler en quelque sorte, en parti
culier de sa voisine, le changement, ce pont aux ânes de toute sociologie.
Les mots pour le dire.
Tiré de « pas », passus en latin, « passage » désigne le déplacement,
l'acte de se déplacer. Une marche vers ailleurs (à côté, là-bas, plus loin,
plus haut...), une enjambée, un cheminement, un processus de trans
formation en train de s'opérer, et non déjà effectué ; en même temps
que le lieu où s'effectue ce processus, sa trace ou son support, que ce
soit au sens morphologique, spatial, géographique ou bien métaphorique.
« Seuil » vient de l'italien soglio : le soulier, puis par extension le pied,
le fondement, le mouvement, l'entrée, le commencement, nous disent
les dictionnaires ; autre étymologie : solea, « sandale » en latin, puis
« plancher » en bas latin. En ce second sens, c'est là où s'inscrit, et
s'écrit, le changement, ce qui le donne à voir et à penser. Le roman de
Michel Butor, La Modification, où c'est un voyage qui favorise et déclen
che le retournement de la décision du héros, pourrait être considéré
comme un paradigme, en ce qu'il contient les deux acceptions de l'idée
de passage. Martin de la Soudière
« Passage » ? Moment souvent fugitif, « inscrit dans le passé aussitôt
qu'accompli » (Schapira, 1987), constaté après coup et reconstruit, que
l'on ne peut que vainement essayer de ralentir ou de retenir (rappelons-
nous la flèche de Zenon d'Elée). Ainsi en est-il de qui veut repérer le
premier signe du passage du nord de la France à la zone méditerra
néenne, son premier frémissement, le premier olivier... (dans la même
veine, pensons à l'excitation de l'enfant au passage exact de toute
frontière, ou encore à l'émotion qui peut nous saisir à la vue d'un
panneau routier indiquant une « ligne de partage des eaux »). Ainsi de
l'adieu à l'ami (e) sur le quai de la gare, qui s'en va par le train et qu'il
faut bien quitter irrémédiablement à un instant t, après les embrassades
et leurs prolongations, derniers mots échangés, ultime baiser, le mouchoir
qu'on agite...
Un rapide parcours lexicographique s'impose d'entrée, qui aidera à
constater la polysémie du mot et les métaphores qu'il nourrit :
Passage à l'acte, forcer le passage, se frayer un passage, franchir le
pas, être en passe de.
Céder le passage, passer la main, passer son tour.
Passer un examen, un examen de passage, passer dans la classe supér
ieure.
Passer: la parole, un objet (« Passe-moi le sel »), le ballon, un coup de
fil, un fax ; le temps, son temps à ; faire passer à quelqu'un un message,
une frontière ; le feu (i.e. supprimer, comme on dit d'un guérisseur) ;
passage de témoin.
Passer enforce ou en douceur.
Passage délicat (au cours d'une escalade par exemple), difficile ; obligé ;
à vide ; secret.
De passage (« Je ne fais que passer »), au passage.
Passage d'un livre ; passage en peinture (usage que l'on fait des nuances
quand l'on passe d'un ton à un autre sans laisser percevoir de discon
tinuité ou de rupture).
Passage : à niveau, protégé, pour piétons, clouté ; couvert, souterrain ;
d'un fleuve, d'un gué ; interdit ; chercher, trouver, se ménager un pas
sage ; passer une frontière, à l'ennemi.
Passage de la Ligne (l'Equateur).
Droit de passage.
Être dans une mauvaise — une bonne — passe ; atteindre une passe (un
col en montagne, cf. Passe-montagne ; dans les Pyrénées, un « port »,
cf. Passeport) ; lapasse analytique ; faire une passe (dans la prostitu
tion, cf. Hôtel ou Maison de passe) ; pratiquer une passe (déneigement
de l'une des voies de la chaussée d'une route enneigée) ; mot de passe ;
exemplaires de passe (dans l'édition).
Un pas de temps (utilisé en particulier en économie), de porte. paradigme du passage Le
Passer (par euphémisme, mourir : « régional ou familier », dit le
Robert) ; y passer ; défense de passer (« Ils ne passeront pas » — Pétain
à Verdun) ; laissez-passer ; en par là, par ses caprices ; ça ne
passe pas ; une couleur passée (qui a perdu sa couleur) ; ouf, c'est
passé ; c'est du passé ; ça s'est mal passé, ça va bien se passer.
Un pass (américain, aujourd'hui international : forfait pour le nombre
de trajets de son choix en autocar ou en train).
On sort un peu ahuri de cet inventaire. Est-il possible de penser ensemb
le ces lieux, occasions et situations de passage, de parvenir à leur trouver
un plus petit dénominateur commun ? Oh peut en faire le pari.
Dans un très beau texte, « Survenue de la contemplation », Henri
Michaux (1975) nous y invite qui, faisant taire en lui toute idée de « varia
tion » afin de privilégier le « continu », nous donne à voir, dans tous ses
états, la notion de passage : «... Si du temporel on retire son alimentation,
on verra revenir l'intemporel, son mode, sa densité, son excellence... Une
fois repoussées les variations (toute variation et idée de variation) et ce
qui nourrit les : les informations, les communications, la com
munication ; les conversations, les émulations, les irruptions, les échan
ges ; les envies, les désirs, les projets ; ce qui distrait, la démangeaison
des mouvements, des changements, des déplacements, tout ce qui donne
et prépare l'accès à autre chose, à une autre attitude, à un nouvel "à
venu-", sous toutes ses formes, l'interruption... » Nous y voilà. Et pour
éloigner toute idée ou envie de passage, toute tentation, il lui faut un
antidote, son contraire : du silence, davantage encore, de l'immobilité,
être « seul, sans paroles, demeurer sans nécessité, sans échange pour être
sans coupures, à l'abri de toute modification... Sans mouvement/ Sans
inclination à ne rien s'adjoindre / Sourd aux appels au changement par
une disposition autre, impropre aux inattendus, aux surprises, aux nou
veautés, aux faits divers du transitoire... jouissant du continu / s'emplis-
sant du continu / amassant du silence... ».
Clefs pour les passages.
1. De façon plus analytique, tout passage — et on tient là une de ses
premières qualités — peut se décomposer en phases, disposées à géométrie
variable, qui en quelque sorte montrent, comme au ralenti, le changement
au travail. Triomphantes dans la littérature ethnologique depuis Arnold
Van Gennep au début du siècle, ces phases, ces étapes sont au nombre
de trois : un avant (période de séparation, de deuil), un pendant (un
entre-deux, nous souffle le psychanalyste Daniel Sibony, phase liminale Martin de la Soudière
— de limes, en latin, « marge », « limite ») et un après (agrégation), chaque
stade pouvant être accompagné - et celui qui le franchit, comme soulagé -
par les fameux rites de passage (certains d'entre eux sont nommés avec
justesse et plus sobrement « marques » de passage, ou encore « rituali-
tés »). Cette trilogie forme d'ailleurs un invariant, un topos, puisqu'on la
rencontre aussi bien dans la mystique chrétienne (on en reparlera plus
loin) que dans le symbolisme quasi universel attaché à l'enchaînement
des saisons (séparation : avec la survenue de l'automne, savoir se dépren
dre de l'intensité de l'été ; restriction du champ d'action de sa propre
énergie : accepter l'hiver, le repos et la somnolence qui alors

  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents