Communications - Année 2007 - Volume 81 - Numéro 1 - Pages 201-213This paper proposes a socio-anthropological reflection of the interaction of human bodies with technical devices containing advanced automation. The specific field of research is airplane piloting. Exemples from civil and military aviation demonstrate that, despite their high level of automation, these machines remain sensitive to very delicate levels of corporeal engagement. Although automation appears to evict the human being, in fact it renders the human body necessary. Feeling a sensation, and then recognizing it, leads the human to give sense to his actions. This social process is largely corporeal. L’enjeu de cet article est de proposer une réflexion socio-anthropologique sur l’engagement du corps des êtres humains dans le fonctionnement de dispositifs techniques où le processus d’automatisation est largement avancé. Le terrain de la recherche est celui du pilotage des avions. On s’appuiera successivement sur des exemples pris dans l’aviation civile et militaire (escadrons de chasse) pour montrer que, malgré leur niveau aujourd’hui élevé d’automatisation, ces machines restent sensibles à des niveaux très fins d’engagement corporel. L’automatisation tend à évincer l’homme, elle rend pourtant dans le même temps sa présence irréductible. Éprouver une sensation, puis la reconnaître, conduit l’homme à donner du sens à son action; ce processus social est éminemment corporel. 13 pages Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.
L’irréductible engagement du corps. Le cas du pilotage des avions automatisés
Introduction.
On pourrait penser qu’une réflexion socio-anthropologique (c’est-à-dire sur l’homme et les hommes) n’a plus sa place dans un monde où l’automatisation prend le pas et que toute bataille est perdue d’avance (la sociologie et l’anthropologie seraient alors convoquées pour célébrer le bon vieux temps). Or un tel raisonnement oublie que ces situations ne sont que rarement des situations d’automatisation totale ; même s’il convient de penser la perspective d’autonomie dans le projet d’automa-tisation, l’homme est, pour l’instant, toujours là. Ce qui m’intéresse est de mieux comprendre la place qu’il occupe dans ces dispositifs mixtes, dits socio-techniques. Quelle définition de lui-même ces systèmes lui renvoient-ils ? Quelle marge de manœuvre parvient-il à se ménager ? De quelle manière est-il présent ? L’homme est présent intellectuellement, et l’accroissement des auto-matismes a renforcé cette dimension déjà largement illustrée dans les travaux sociologiques, mais il est aussi présent avec son corps. C’est cette dernière question que je voudrais tenter de discuter ici. La manière dont les hommes « savent se servir de leur corps » (Mauss définit l’homme comme celui qui pense avec ses doigts) est finalement peu abordée dans les études de sociologie de la technique. Les travaux sur l’usage ont certes fait quelques avancées dans ce sens (voir Kaufmann en particulier), mais ils dépassent trop rarement le cadre domestique. Et pourtant, à travers son corps, c’est de la place de l’homme dans les dispositifs socio-techniques qu’il s’agit. Quelle place notre société a-t-elle décidé d’accorder au corps des êtres humains qui, de façon quotidienne, sont aux prises avec les machines et des dispositifs techniques de plus en plus automatisés, lesquels ne savent pourtant pas se priver de la présence et des gestes des hommes pour fonctionner ? Pour tenter d’amorcer une réponse à cette question, je propose de partir d’une situation concrète, celle du pilotage des avions. Cette pratique est exemplaire pour au moins 201