Le pouvoir de la parole : Adam et les animaux dans la tapisserie de Gérone - article ; n°25 ; vol.12, pg 113-128
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Description

Médiévales - Année 1993 - Volume 12 - Numéro 25 - Pages 113-128
The Power of the Word : Adam and the Animals in the Tapestry of Gerona - A scene from the tapestry of Gerona (llth-12th century) depicts Adam naming the animals created by God. The author explores the significance of this scene and suggests three interpretations. The first pertains to the magic powers which were believed to be inherent in the Word, an ancient belief which was later adopted by Christian Theology and which, in the case of Gerona, may be connected with the Myth of Orpheus. But the scene may also be interpreted as an allegory of society where each animal represents a social group. Lastly, the power to bestow names attributed to Adam served to illustrate another, similar power, one which had a great influence in Gerona : that of the Gregorian Reform affecting the clerics.
16 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1993
Nombre de lectures 49
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Prof. Hilario Franco
Le pouvoir de la parole : Adam et les animaux dans la tapisserie
de Gérone
In: Médiévales, N°25, 1993. pp. 113-128.
Abstract
The Power of the Word : Adam and the Animals in the Tapestry of Gerona - A scene from the tapestry of Gerona (llth-12th
century) depicts Adam naming the animals created by God. The author explores the significance of this scene and suggests
three interpretations. The first pertains to the magic powers which were believed to be inherent in the Word, an ancient belief
which was later adopted by Christian Theology and which, in the case of Gerona, may be connected with the Myth of Orpheus.
But the scene may also be interpreted as an allegory of society where each animal represents a social group. Lastly, the power to
bestow names attributed to Adam served to illustrate another, similar power, one which had a great influence in Gerona : that of
the Gregorian Reform affecting the clerics.
Citer ce document / Cite this document :
Franco Hilario. Le pouvoir de la parole : Adam et les animaux dans la tapisserie de Gérone. In: Médiévales, N°25, 1993. pp.
113-128.
doi : 10.3406/medi.1993.1288
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/medi_0751-2708_1993_num_12_25_1288Médiévales 25, automne 1993, pp. 113-128
Hilario FRANCO Jr.
LE POUVOIR DE LA PAROLE :
ADAM ET LES ANIMAUX
DANS LA TAPISSERIE DE GÉRONE1
Mors et vitae in manu linguae
Proverbes 18.21
La courte période qui représente le séjour des « premiers parents »
au Paradis est restée la moins étudiée de toutes les phases de l'his
toire adamique dans les traditions judaïques ou chrétiennes, canoni
ques ou apocryphes. L'iconographie médiévale n'a pas non plus pro
duit beaucoup d'images sur ce thème. La plupart d'entre elles trai
tent du passage biblique où Adam donne un nom aux animaux2.
Parmi ces représentations, la plus intéressante est peut-être celle de
la tapisserie de Gérone, conservée au musée de la cathédrale de cette
ville (Fig. 1).
Cette tapisserie, une broderie en laine qui mesure actuellement
3,65 m sur 4,70 m, était à l'origine beaucoup plus grande. Elle a été
probablement fabriquée en Catalogne, entre XIe et XIIe siècle, pour être
utilisée comme baldaquin et disposée derrière l'autel pendant les gran
des cérémonies3. Sur les frises supérieure et latérales 21 petits car
rés représentent des allégories de l'Année, des quatre saisons, des
douze mois. Sur la frise inférieure, aujourd'hui presque totalement
disparue, était narrée l'Invention de la Sainte Croix. Aux coins du
grand carré central encadré par ces frises, sont représentés les quatre
vents de la terre.
Au milieu enfin sont dessinés deux cercles concentriques. Le plus
petit montre le Créateur avec la main droite levée en geste de béné-
1. Cet article a bénéficié des commentaires du professeur Jacques Le Goff, que
nous remercions vivement.
2. Gn 2, 19.
3. P. Palol, « Une broderie catalane d'époque romane : la genèse de Gérone »,
Cahiers archéologiques, t. 8, 1956, p. 190 et t. 9, 1957, p. 248-249 ; P. Palol, El tapis
de la creaciô de la catedral de Girona, Barcelone, 1986, p. 70-74 et 154. 114 HILARIO FRANCO JR.
Fig. 1. Tapisserie de Gérone : vue d'ensemble.
diction, tandis qu'avec la gauche il tient un livre ouvert où l'on peut
lire Sanctus Deus.
Le cercle le plus grand est divisé en huit scènes. Au-dessus de
la Divinité on peut voir l'esprit de Dieu représenté par une colombe.
D'un côté est représenté l'ange des ténèbres, et de l'autre l'ange de
la lumière. Pour compléter la moitié supérieure du cercle, il y a d'un
côté la création de la voûte céleste et de l'autre la séparation entre
le ciel et les eaux. La moitié inférieure du cercle est divisée en trois
scènes. Sur la partie la plus basse apparaît la plus grande scène de
la tapisserie, celle de la création des oiseaux et des êtres aquatiques.
Cette scène est entourée de deux autres. Dans l'une d'elle Adam
nomme les animaux. Sur l'autre, symétrique, Eve naît du flanc
d'Adam endormi. Sur le bord de ce grand cercle une phrase résume
quelques versets de la Genèse4. Dans la scène qui ici nous intéresse,
située à droite de l'observateur, Adam est devant un groupe d'an
imaux, et il regarde le Créateur tandis qu'il exerce son pouvoir de nom
mer (Fig. 2).
4. « In principio Creavit Deus Celum et Terrant Mare et omnia Quoe in Elis Sunt
Et Vidit Deus Cuncta Que Fecerat Et Erant Valde Bona », d'après Gn 1, 1-2 ; 1(M2 ;
18 ; 20-21 ; 24-25 ; 31. LE POUVOIR DE LA PAROLE 115
Fig. 2. Tapisserie de Gérone ; détail : Adam nommant les animaux.
La puissance de la parole
II s'agit donc, à première vue, d'une représentation traditionnelle
du passage biblique. Mais comment était-elle interprétée par les quat
re mille habitants de la Gérone d'alors5 ? Notre tentative de réponse
doit considérer trois niveaux. Le premier concerne une donnée de très
longue durée, le pouvoir magique de la parole, croyance très ancienne
et répandue6. La Mésopotamie et l'Egypte anciennes, par exemple,
attribuaient la création du monde au pouvoir de la parole7. Dans ces
civilisations chacun gardait secret son vrai nom dont la connaissance
5. J. Pla Cargol, Gerona historica, Gérone-Madrid, 1940, p. 271.
6. Le pouvoir magique des mots est « une de ces associations d'idées si anciennes
et remontant si haut dans les annales de la race qu'elles font partie du patrimoine
héréditaire dont les individus eux-mêmes sont à peine conscients tant il s'intègre, pour
ainsi dire, à leur nature » : G. Berguer, « La puissance du nom. Ses origines psycho
logiques », Archives de Psychologie, t. 25, 1936, p. 313. Sur l'importance religieuse
du nom pour plusieurs sociétés, on peut voir F.M. Denny, « Names and naming »,
in M. Eliade (éd), The Encyclopedia of Religion, New York, 1987, vol. 10,
p. 300-307.
7. Poema babilonico de la Creadon, v. 7-8, trad. F.L. Peinado et M.G. Cordero,
Madrid, 1981, p. 92 ; M.H. Trindade Lopez, O homem egipcio e sua integraçâo no
cosmos, Lisbonne, 1989, p. 17-22 et 76-77. HILARIO FRANCO JR. 116
aurait donné à quelqu'un d'autre pouvoir de le soumettre8. Cela
était même arrivé au dieu Rê qui, contraint par les arts magiques
d'Isis, avait dû lui révéler son nom secret9. Parmi les Grecs, les
héros changeaient de nom quand un rite de passage les amenait à un
autre stade de la vie, par exemple Jason, Achille et Héraclès10.
Même pour la philosophie le nom était lié à l'essence des choses, d'où
l'importance de l'étymologie, révélatrice autant en ce qui concerne les
dieux que pour les astres ou les concepts moraux11.
Dans le judaïsme, « la mort et la vie sont au pouvoir de la lan
gue » 12, puisque l'univers a été créé par la parole divine. Plus
encore, le nom de Dieu était tellement fort qu'il était
imprononçable13. Tous les noms divins étaient aussi puissants :
« quiconque invoquera le nom du Seigneur sera sauvé » 14. Le chris
tianisme, inséré dans la même structure mentale, croyait aussi au pou
voir du mot, surtout celui de Dieu, qui est comme une « épée » 15,
et des noms divins, « qu'aucune bouche d'homme ne doit prononcer
s'il n'est pas en danger de vie » 16. L'Islam acceptait également ce
pouvoir magique, surtout le soufisme dont les adeptes considéraient
la parole d'Allah comme tellement sacrée qu'elle devait être répétée
même si l'homme ne la comprenait pas. Pour les Celtes, un des prin
cipaux héros de la cour d'Arthur était Gwrhyr Gwalstawt Ieithoedd,
littéralement « l'interprète des langues », celui qui connaissait tous les
idiomes existants17.
Héritière de toutes ces traditions, la société chrétienne occident
ale réservait, elle aussi, une place importante à la parole dans sa
vision du monde. La parole était considérée comme créatrice, mais
aussi destructrice, comme elle l'était pour les Égyptiens18, les Juifs19
et les Celtes20. Mal utilisée elle pouvait provoquer l'apparition du
diable sous une forme animale, comme les hérétiques d'Orléans en
8. G. Contenau, La vie quotidienne à Babyl

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