Le rapport à l apprendre dans le monde confucéen
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1Le rapport à l’apprendre dans le monde confucéen

Par OUYANG Yuzhi

Etant considéré comme le premier éducateur en Chine, Confucius a consacré la plupart
de sa vie à l’enseignement, bien qu’il ait eu également la plus grande des ambitions pour la
politique. Sa pratique tout comme sa réflexion sur l'éducation ont exercé une influence
considérable sur le développement de l'éducation, aussi bien en Chine qu'ailleurs dans le
monde. Dans sa pensée éducative, l’apprendre était évoqué très fréquemment. Qu’est-ce que
l’apprendre ? Comment apprend-on ? Quelle est la valeur de l’apprendre ? D’une certaine
façon, Confucius a fondé sa pensée éducative sur les réponses à ces questions. Dans
Entretiens de Confucius, qui est considéré comme le premier Classique du confucianisme, il y
a 500 paroles de Confucius entre lui et ses disciples, dont 66 discours concernant le sujet
d’apprendre. « L’apprendre », c’est le sujet de la toute première phrase des Entretiens :
«Apprendre une règle de vie pour l’appliquer au bon moment, n’est-ce pas source de grand
2plaisir ? ». L’apprendre est un des trois « pôles » qui se dégagent comme essentiels dans
l’articulation de l’enseignement de Confucius. Je vais explorer le rapport à l’apprendre dans le
monde confucéen suivant trois aspects.

1 Je voudrais utiliser ici le terme «rapport à l’apprendre » et non celui de « rapport au savoir » que j’utilise
par ailleurs dans ma ...

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Le rapport à l’apprendre 1 dans le monde confucéen
 Par OUYANG Yuzhi  Etant considéré comme le premier éducateur en Chine, Confucius a consacré la plupart de sa vie à l’enseignement, bien qu’il ait eu également la plus grande des ambitions pour la politique. Sa pratique tout comme sa réflexion sur l'éducation ont exercé une influence considérable sur le développement de l'éducation, aussi bien en Chine qu'ailleurs dans le monde. Dans sa pensée éducative, l’apprendre était évoqué très fréquemment. Qu’est-ce que l’apprendre ? Comment apprend-on ? Quelle est la valeur de l’apprendre ? D’une certaine façon, Confucius a fondé sa pensée éducative sur les réponses à ces questions. Dans Entretiens de Confucius , qui est considéré comme le premier Classique du confucianisme, il y a 500 paroles de Confucius entre lui et ses disciples, dont 66 discours concernant le sujet d’apprendre. « L’apprendre », c’est le sujet de la toute première phrase des Entretiens : «Apprendre une règle de vie pour l’appliquer au bon moment, n’est-ce pas source de grand plaisir ? ». L’apprendre est un des trois « pôles » 2 qui se dégagent comme essentiels dans l’articulation de l’enseignement de Confucius. Je vais explorer le rapport à l’apprendre dans le monde confucéen suivant trois aspects.
                                                        1  Je voudrais utiliser ici le terme «rapport à l’apprendre » et non celui de « rapport au savoir » que j’utilise par ailleurs dans ma recherche de thèse; les raisons en sont, premièrement, il n’existe pas en Chine de terme équivalent à « rapport au savoir » et que, deuxièmement, le rapport au savoir constituait une liaison impliquant le savoir. De ce fait, la notion du rapport au savoir, comme nous l’entendons en France, est si limitée que je ne peux pas l’employer pour présenter la pensée des sagesses de l’histoire chinoise, sachant que cette dernière se réfère plus à la connaissance qu’au savoir. 2  Trois « pôles » : l’apprendre, la qualité humaine ( ren ) et l’esprit rituel ( li ). Anne Cheng, Histoire de la pensée chinoise , 1997, P.64
1. Le rapport à la valeur d’apprendre
1.1. « L’homme de bien vit dans l’étude pour se parfaire dans la Voie » 3
« L’homme de bien vit dans l’étude pour se parfaire dans la Voie » : cette phrase, apparemment simple, représente le noyau du rapport à la valeur d’apprendre chez les confucianistes. On peut dire qu’elle reflète d’une certaine manière les fondamentaux de la pensée confucéenne. Selon Zhang Zai (1020-1077), le grand lettré confucéen du XIe siècle, « apprendre, c’est apprendre à faire de soi un être humain » 4 . «Un être humain », non seulement pour le confucianisme mais aussi pour les néo-confucianistes, c’est un homme de bien (junzi ) . Confucius a consacré toute sa vie à enseigner comment être cet homme de bien et c’est sur ce dernier qu’il s’est appuyé pour construire une société idéale. Comment devient-on homme de bien ? Confucius dit : « L’homme de bien, tout en élargissant sans cesse ses connaissances, est capable de les ordonner par le rituel et ne saurait trahir la Voie. » ( Entretiens de Confucius,  chap.6.25). L’apprendre, la qualité humaine et l’esprit rituel, ces trois « pôles », sont considérés comme essentiels aussi bien dans l’articulation de son enseignement que dans la constitution de l’homme de bien, comme l’a remarqué Anne Cheng. On doit cependant reconnaître que la qualité humaine et l’esprit rituel ne sont pas des données ; ils se construisent et se tissent également par l’apprendre et par les pratiques. Comme un des disciples importants de Confucius, Zi Xia (508- ? av.J.-C.), le dit : « Élargir ses connaissances sans perdre de vue son but, interroger toujours plus pour mieux se connaître, voilà qui tient déjà du ren » ( Entretiens de Confucius, chap.19-6). Donc, Confucius insistait pour que lon apprenne les six Arts – les rites, la musique, le tir, léquitation, lécriture et les chiffres – et les mette en pratique dans la vie afin dêtre un homme de bien. Sinon, « sans l’amour de l’étude, toute déformation est possible : l’amour du ren devient platitude, l’amour du savoir, superficialité, l’amour de l’honnêteté, préjudice, l’amour de la droiture, intolérance, l’amour de la bravoure, insoumission, enfin l’amour de la rigueur devient fanatisme. » ( Entretiens de Confucius, chap.17-8)
                                                        3  En chinois : . En pinyin : junzi xue yi zhi qi dao, Entretiens de Confucius, 19.7 4  Je reprends ici la citation de Anne Cheng, dans son ouvrage intitulé Histoire de la pensée chinoise , P. 67
Si on dit qu’être homme de bien est le premier aspect de la valeur d’apprendre dans le confucianisme, ce n’est cependant qu’un point de départ. Autrement dit, l’appendre n’est pas une fin pour l’homme de bien, mais cela lui permet de se parfaire dans la Voie (dao ) . Pour mieux comprendre ce rapport de la valeur d’apprendre, on doit commencer d’abord par s’interroger sur ce qu’est la Voie dans le monde confucéen. Les premières phrases de l’ Invariable Milieu (Zhong yong 中庸 ), un des livres des « Quatre Livres » 5 , nous l’explique clairement : « Ce que le Ciel destine (tianming 天命 ) à l’homme, c’est ce qui s’appelle la nature humaine (Xing ) ; suivre la nature humaine, c’est la Voie ; cultiver la Voie, c’est l’éducation ». Il faut souligner tout de suite que le Ciel, en langue chinoise, n’indique pas seulement ce que l’on peut voir au dessus de nos têtes. « Le Maître dit : Le Ciel lui-même parle-t-il jamais ? Les quatre saisons se succèdent, les cent créatures prolifèrent : qu’est-il besoin au Ciel de parler ? » ( Entretiens de Confucius, chap.17-19). Evidemment, le Ciel est aussi perçu comme la force suprême gouvernant l’univers. Quand le mot « Ciel » associe le « destin » (ming, ), cela signifie que ce qui est nécessaire et imprévu dans la composition de la vie d’un être humain, indépendamment de sa volonté, est décrété par le Ciel. « A cinquante ans, je connaissais les décrets du Ciel » ( Entretiens de Confucius, chap.2-4), disait-il le Maître. « L’homme de bien doit respecter trois choses : les Décrets du Ciel, les hommes éminents et les paroles d’un Sage ». ( Entretiens de Confucius, chap.16-8). Le Décret du Ciel est inéluctable, mais, pour Confucius, on peut le reconnaître et il doit être respecté. « Ce que le Ciel destine à l’homme, c’est ce qui s’appelle la nature humaine » ; c’est-à-dire que la nature humaine est originellement issue du Ciel. « Le Maître dit : Par leur nature, les hommes sont proches ; c’est à la pratique qu’ils divergent. » Entretiens de Confucius, 17.2). Pour Confucius, la nature humaine, décrétée par le Ciel, est pareille pour tout le monde. Mais Confucius n’a pas précisé si elle est bonne ou mauvaise, bienveillante ou malveillante. « La nature humaine, d’après Confucius, est relative à la pratique, remarquait Zhang Dainian ( 张岱年 1909-2004), un des plus célèbres philosophes chinois contemporains. Confucius a parlé de la nature humaine sans indiquer si elle est bienveillante ou malveillante,
                                                        5  Les quatre canons confucéens réputés : Entretiens de Confucius (Lun yu 论语 ), Mencius (Mengzi  孟子 ), Grande Etude (Da Xue 大学 ), Invariable Milieu (Zhong yong 中庸 ).
mais il estimait que la nature humaine de chacun est similaire. La divergence vient de la pratique. » 6 C’est Mencius qui a développé la dimension prescriptive de la nature humaine en désignant l’avènement de l’être éthique. Plus précisément, la nature humaine n’est pas seulement donnée par le Décret du Ciel, mais elle contient aussi de la moralité en « germe », qui reste à développer par les hommes eux-mêmes.
Mencius dit : « Tout homme a un cœur qui réagit à l’intolérable. … Supposez que des gens voient soudain un enfant sur le point de tomber dans un puits ; ils auront tous une réaction d’effroi et d’empathie qui ne sera motivée ni par le désir d’être en bons termes avec les parents, ni par le souci d’une bonne réputation auprès des voisins et amis, ni par l’aversion pour les hurlements de l’enfant. Il apparaît ainsi que, sans un cœur qui compatit à autrui, on n’est pas humain ; sans un cœur qui éprouve la honte, on n’est pas humain ; sans un cœur empreint de modestie et de déférence, on n’est pas humain ; sans un cœur qui distingue le vrai du faux, on n’est pas humain. Un cœur qui compatit est le germe du sens de l’humain ; un cœur qui éprouve la honte est le germe du sens du juste ; un cœur empreint de modestie et de déférence est le germe du sens rituel ; un cœur qui distingue le vrai du faux est le germe du discernement. L’homme possède en lui ces quatre germes, de la même façon qu’il possède quatre membres . Posséder ces quatre germes et se dire incapable (de les développer), c’est se faire tort à soi-même ; s’en dire incapable au prince, c’est faire tort à son prince.   7 ( Mencius , chap.2–A)
Dès lors, cette vision de la nature humaine – les hommes sont bons à leur naissance en possédant «quatre germes » – est inscrite dans la pensée confucéenne et a eu un impact profond sur les Chinois pendant les deux mille années suivantes. Les deux premières phrases du « Classique de trois mots » 8 , manuel d’enseignement élémentaire datant de l’époque des Song, est justement une combinaison de deux paroles de Mencius et de Confucius.
                                                        6  Zhang Dainian, L’histoire de la philosophie chinoise , Edition de Zhongguo Shehui Kexue, 1982, Pékin, P. 183 7  Traduit par Anne Cheng, Histoire de la pensée chinoise , P. 171-172 8  En chinois, 三字经 , en pinyin, san zi jing, attribué à Wang Yinglin ( 王应麟 1223-1296) ou Ou Shizi ( 区适子 1234-1324) sous la dynastie des Song, est composé en vers de trois caractères chinois pour faciliter la mémorisation. Même si ce livre ne fait pas partie des cinq Classiques confucéens, en tant qu’un des trois manuels fondamentaux d’enseignement élémentaire, son impact est pourtant incontestable.
Les hommes à la naissance, naturellement, sont bons. ( Ren zhi chu, xing ben shan, 人之初 , 性本善 ) Les hommes sont tous semblables par leur nature ; c’est par la pratique qu’ils divergent. (Xing xiang jin, xi xiang yuan, 性相近 , 习相远 )
Certes, sur la question de savoir si la nature humaine est bonne ou mauvaise, on est loin de trouver une unanimité dans le monde confucéen. De la même époque de Mencius, Gaozi a discuté avec Mencius en estimant que « la nature humaine est comme une eau qui tourbillonne. [ …] La nature humaine ne fait pas de distinction entre ce qui est bon et ce qui ne l’est pas, de la même façon que l’eau ne distingue pas entre l’est et l’ouest. » ( Mencius , VI–A) ; un autre grand maître confucéen, Xunzi ( ? – 238 av. J.-C.), a même pris le contre-pied de Mencius en considérant que « la nature de l’homme est mauvaise : ce qu’il y a de bon en elle est fabriqué. » ( Xunzi , chap.23). Néanmoins, ces deux derniers points de vue n’ont jamais gagné une place prépondérants dans la pensé confucéenne.
Mencius dit : « Celui qui épuise le potentiel de son cœur / esprit connaît sa nature. Or, connaître sa nature, c’est connaître le Ciel. Préserver parfaitement son esprit et nourrir sa nature, c’est la manière de servir le Ciel. Il est alors indifférent de mourir jeune ou vieux ; la discipline de soi permet d’attendre sereinement la mort, et c’est ainsi que l’on maîtrise son destin.» ( Mencius , VII–A) Les «quatre germes » – le germe du sens de l’humain (ren ), le germe du sens du juste (yi ), le germe du sens rituel (li ), le germe du discernement ( zhi ) – sont ce que le Ciel à décrété pour l’homme, et représentent ce qu’on appelle la nature humaine. Ils sont déjà là, tout prêts à être développés par l’esprit de chacun. Si on épuise le potentiel de son esprit, on connaît sa nature. Si on connaît cette nature qui est décrétée par le Ciel, c’est alors qu’on connaît le Ciel. Quand on connaît le Ciel, on atteint alors l’état où « le Ciel et l’homme ne font qu’un ». Comme le déclarait Mencius : « Les dix mille êtres sont présents dans leur totalité en moi. » ( Mencius , Jinxin premier). On peut mieux comprendre cette interaction dynamique entre le Ciel, la nature humaine et la Voie en s’aidant du schéma récapitulatif fourni ci-dessous :
Quatre germes
 
 Ren    Juste   Rite  Discernement   
 
Ciel et homme ne font qu’un
Figure 1 : Schéma d’interaction dynamique entre le Ciel, la nature humaine et la Voie
 
Après une telle étude sur le rapport entre le Décret du Ciel et l’homme, il convient alors de revenir à la question que nous avons posée au début –qu’est-ce que la Voie ? – pour répondre : « Suivre la nature humaine, c’est la voie ». Cela veut dire, une fois que l’on connaît sa nature humaine – en épuisant le potentiel de notre esprit – et qu’on se laisse guider par cette nature humaine, qu’on constitue alors la Voie. Ici, la Voie est le cours dans lequel on accomplit ce que le Ciel nous décrète. C’est pourquoi l’homme de bien se parfait dans la Voie. C’est dans la Voie que l’homme de bien se parfait lui-même.
 
En résumé, l’homme doit bien apprendre pour connaître sa nature humaine et ce afin de se parfaire dans la Voie. Il est évident que le rapport à la valeur d’apprendre dans le monde confucéen est tout d’abord figé sur le « savoir-être », si l’on se permet ici d’utiliser un terme moderne dans le domaine éducatif.
1.2. « Tu estimes avoir assez étudié ? Engages-toi dans une fonction » 9
S’il est vrai que Confucius s’est mis toute sa vie en quête de la personnalité parfaite – l’homme de bien à travers l’apprendre –, c’est parce qu’il vise un grand rêve : construire une société idéale, une « Grande unité » gouvernée par l’homme de bien. Pour lui, les individus qui s’emploient à améliorer leur morale induisent une conséquence positive pour la société : l’homme instruit peut représenter un exemple de bonne conduite pour tous les autres, et établir ainsi des mœurs décentes et un bon ordre social s’il s’engage dans la politique. En conséquence, l’homme de bien devrait « s’engager dans une fonction après avoir assez étudié». Confucius non seulement poursuivait un tel but dans la politique, mais encourageait aussi ses disciples à devenir fonctionnaire ; certains de ses disciples, par exemple Zi Lu, Zi Gong, Ran You, Zi You, Zi Xia, etc., se sont engagés ainsi l’un après l’autre dans une telle fonction. Suivant en cela le point de vue du son maître Confucius, Zeng Zi établit un lien logique entre l’individu et la société :
La Voie de la Grande Étude consiste à faire resplendir la lumière de la vertu, à être proche du peuple comme de sa propre famille à et ne s’arrêter que dans le bien suprême. Savoir où s’arrêter permet d’être fixé ; une fois fixé, l’esprit peut connaître le repos ; le repos conduit à la paix, la paix à la réflexion, et la réflexion permet d’atteindre le but. Toute chose a une racine et des branches, tout événement un début et une fin. Qui sait ce qui vient avant et ce qui vient après, celui-là est proche de la Voie.
Dans l’antiquité, pour faire resplendir la lumière de la vertu par tout l’univers, on commençait par ordonner son propre pays. Pour ordonner son propre pays, on commençait par régler sa propre maison. Pour régler sa propre maison, on commençait par se perfectionner soi-même. Pour se perfectionner soi-même, on commençait par rendre droit son
                                                        9  En chinois : 学而优则仕 , en pinyin : Xue er you ze shi Entretiens de Confucius, chap. 19.13  
cœur. Pour rendre droit son cœur, on commençait par rendre authentique son intention. Pour rendre authentique son intention, on commençait par développer sa connaissance ; et on développait sa connaissance en examinant les choses. C’est en examinant les choses que la connaissance atteint sa plus grande extension. Une fois étendue la connaissance, l’intention devient authentique ; une fois l’intention authentique, le cœur devient droit. C’est en rendant droit le cœur que l’on se perfectionne soi-même. C’est en se perfectionnant soi-même qu on règle sa maison ; c’est en réglant sa maison q ’ d pays ; et c’est lorsque les u on or onne son pays sont ordonnés que la Grande Paix s’accomplit par tout l’univers.  10   
Si chaque individu se perfectionne lui-même à travers l’apprendre (au sens large), la Grande Paix pourra alors s’accomplir dans tout l’univers. La valeur de l’apprendre dans le monde confucéen ne se limite pas à la perfection de soi. Si l’homme de bien apprend, c’est aussi pour accomplir une société ordonnée. De ce fait, les lettrés confucéens, dans l’histoire, ont généralement un esprit universel et une préoccupation marquée pour leur nation et les peuples avec qui ils partagent la société. Sous la dynastie des Song, le grand lettré confucéen déclarait l’objectif de l’apprendre : « Préparer l’esprit pour l’univers, établir la Voie de la moralité pour le peuple, poursuivre les enseignements des sages du passé, et préparer le terrain pour une paix durable dans le monde. 11 » Les phrases telles que « chaque homme ordinaire devrait se sentir responsable du succès de notre monde et de ses échecs 12 » ou « être le premier à se préoccuper de l’avenir du monde et le dernier à réclamer sa part de bonheur 13 » ont influencé les Chinois de génération à génération.
                                                        10 La G de Étude (daxue 大学 ), texte attribué à Zengzi (env. 505-436 av. J.-C.), un des disciples principaux  ran de Confucius. D’abord intégré dans le Livre des rites (Liji 礼记 ), ce petit texte a connu un regain d’intérêt sous la dynastie des Song. Le grand lettré confucéen l’a extrait et l’a considéré comme un des livres des « Quatre Livres » confucéens. Je reprends ici la traduction d’Anne Cheng, Histoire de la pensée chinoise , P. 72-73. 11  En chinois : 为天地立心 , 为生民立道 , 为往圣继绝学 , 为万事开太平 . En pinyin : wei tiandi li xin, wei shengmin li dao, wei wangsheng ji juexue, wei wanshi kai taiping, écrit par Zhang Zai (1020-1077), grand lettré confucéen sous la dynastie des Song. 12  En chinois : 天下兴亡 , 匹夫有责 , en pinyin : tianxia xingwang, pifu youze. Ecrit par Gu Yanwu (1613-1682), célèbre érudit du début de la dynastie des Qing. 13  En chinois : 先天下之忧而忧 , , en pinyin : xian tianxia zi you er you, hou tianxia zi le er le. Ecrit par Fan Zhongyan (989-1052), éducateur chinois renommé, auteur et haut-fonctionnaire sous la dynastie de Song du Nord. La citation provient de son célèbre poème « En grimpant la tour Yueyang ».
Cependant, au fut et à mesure de l’avancement de l’histoire, en particulier avec l’établissement et le développement de l’examen impérial, la valeur d’apprendre s’est petit à petit orientée directement et simplement vers les responsabilités politiques. Si on apprend, c’est pour passer l’examen impérial ; si on passe l’examen impérial, c’est simplement pour obtenir l’accès aux fonctions d’administratives impériales. On dit parfois que la culture traditionnelle chinoise se caractérise par une certaine sorte de pragmatisme, et il faut bien convenir que le point de vue : «Tu estimes avoir assez étudié ? Engage-toi dans une fonction » fournit alors souvent la seule valeur de l’apprendre, valeur qu’un grand nombre d’intellectuels ont visée tout au long de leurs vies. «Tel a beau cultiver la terre, il connaîtra peut-être la faim ; tel autre passe des années en études, elles lui vaudront peut-être un bon salaire…. » ( Entretiens de Confucius, 15. 31). Si l’on suit le point de vue de ces écrits, une vision quasi instrumentale de l’apprendre se dégage effectivement.
1.3. « Etudier une règle de vie pour l’appliquer au bon moment, n’est-ce pas source de grand plaisir ? » 14 On apprend parce que l’on a besoin de s’instruire, afin de se perfectionner, mais aussi parce qu’il y a du plaisir dans l’apprentissage. « Etudier une règle de vie pour l’appliquer au bon moment, n’est-ce pas source de grand plaisir ? ». Pour Confucius, l’apprendre est comme un grand plaisir, c’est-à-dire que l’apprendre est en soi source de joie. Après une analyse méticuleuse et approfondie de l’éducation en Chine traditionnelle, Thomas H. C. Lee, professeur de l’University of New York et responsable d’une étude poussée sur l’Asie, a conclu que « presque tous [les intellectuels] trouvent que l’accomplissement de la perfection morale conduit à un état d’immense plaisir et de sublimation spirituelle. Donc, la joie d’apprendre réside dans le fait qu’apprendre apporte un bonheur absolu à la fin sinon tout le long du processus d’apprentissage. » 15   
                                                        14  En chinois : 学而时习之,不亦乐乎 , en pinyin : xue er shi xi zhi, bu yi le hu Entretiens de Confucius,  chap. 1-1. 15  Thomas H.C. Lee, Education in Traditional China, A History , Brill, Leiden, 2000. Je reprends ici la citation de Hu Yu, La méritocratie et l’éducation en Chine, revue Pratiques de Formation/Analyse  (université Paris8), consacrée à la Chine et à l'éducation, en septembre 2003
Par ailleurs, si l’apprendre nous apporte le plaisir, c’est aussi parce que, selon Confucius, « autrefois, on s’instruisait pour se parfaire soi-même ; aujourd’hui, c’est pour obtenir l’approbation des autres » ( Entretiens de Confucius, chap . 14-25) ». Le succès de l’apprendre nous apporte l’approbation des autres, qui flatte notre vanité, en quelque sorte.
2. Le rapport à l’objet d’apprendre
Dans le monde actuel où le savoir scientifique pénètre toutes les sphères de notre vie, apprendre, selon Charlot, c’est d’abord acquérir un savoir. Apprendre, au sens large, c’est aussi maîtriser un objet ou une activité, et entrer dans des formes relationnelles. Le savoir, le savoir-faire et le savoir-être sont alors les objets principaux à apprendre à l’heure actuelle. Nul doute que la Chine ancienne ne se différencie du monde contemporain. En tant que courant d’enseignement qui place l’humanité au centre de sa préoccupation, apprendre, pour le confucianisme, c’est avant tout apprendre le savoir-être. Ici, le savoir-être consiste à savoir comment être un homme de bien. Pour former les hommes de bien, Confucius enseigne quatre choses : « l’étude des textes anciens (wen ), le ren ( ), la loyauté envers ses supérieurs (zhong ) et la fidélité à sa parole (xin ). » ( Entretiens de Confucius, chap.7-24). Autrement dit, pour être un homme de bien, on doit apprendre les quatre choses que le Maître enseigne.
2.1. Les textes anciens
L’objectif que Confucius poursuit tout au long de sa vie est de rétablir les rites de Zhou afin d’ordonner à nouveau le monde dans lequel il se trouve et qui est en plein bouleversement. «Le Maître dit : Les rites établis par les fondateurs de notre dynaste Zhou s’inspiraient de ceux des deux dynasties précédentes, Xia et Shang. Quelle noblesse ! C’est à eux que j’adhère pleinement. » ( Entretiens de Confucius, chap.3-14). Pour Confucius, les rites de Zhou, ou la culture de Zhou au sens large, correspondent à ce que l’on doit apprendre en premier. Les six Classiques – Classique des Vers , Classique des Documents , Classique des Rites , Classique de la Musique , Livre des Mutations  et Annales de Printemps et Automne – dont les cinq premiers ont été révisés et le dernier écrit par Confucius lui-même étaient considérés comme les textes qu’on était obligé d’apprendre à l’époque de Confucius. Néanmoins, sous la dynastie des Han de l’Ouest, en raison de la disparition du Classique de la
Musique , les six Classiques ont été limités à cinq. Un peu plus tard, sous la dynastie des Han de l’Est, le Livre de la Piété Filiale (Xiaojing 孝经 ) et les Entretiens de Confucius ont rejoint les cinq Classiques. Sous la dynastie des Tang, les Annales de Printemps et Automne ont été séparées en trois ( Commentaire de Zuo , Commentaire de Gongyang , Commentaire de Guliang ) et le Classique des Rites a aussi été divisé en trois : Rites des Zhou, Rituels et Cérémonies et Mémoire sur les rites . Les six livres auxquels on ajoute la Classique des Vers , la Classique des Documents et le Livre des Mutations s’appellent collectivement les « neuf Classiques ». Sous la dynastie des Tang, avec l’ajout des Entretiens de Confucius , Classique de la piété filiale et Erya , ces neuf Classiques sont devenus les douze Classiques. Sous la dynastie des Song du Nord, ces douze sont devenus treize, après l’ajout de Mencius . C’est sous la dynastie des Song du Sud que le Canon confucéen a connu un grand changement. Zhu Xi a tiré deux chapitres du Classique des Rites pour en faire deux ouvrages indépendants, la Grande Etude  et l’ Invariable Milieu , originalement couplés avec les Entretiens de Confucius et le Mencius ; le tout constituait les « Quatre Livres ». Ceux-ci ont remplacé par la suite les cinq Classiques en tant que livres qu’on était obligé d’apprendre pour passer l’examen impérial. Nous récapitulons ci-dessous l’évolution de ce corpus :
 Dynastie des Han : cinq Classiques Classique des Vers , Classique des Documents , Classique des Rites , Livre des Mutations et Annales de Printemps et Automne   Dynastie des Tang : neuf Classiques Classique des Vers , Classique des Documents , Livre des Mutations, Commentaire de Zuo , Commentaire de Gongyang ,  Commentaire de Guliang , Rituels et Cérémonies, Rites des Zhou, Mémoire sur les rites  La fin de la dynastie des Tang : douze Classiques Neuf Cl assiques + Entretiens de Confucius , Classique de la piété filiale , Erya  Sous la dynastie des Song du Nord : treize Classiques Douze Classique + Mencius    Sous la dynastie des Song du Sud : quatre Livres Entretiens de Confucius, Mencius, Grande Etude, Invariable milieu   
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