Le « royaume invisible » dans le Journal de Julien Green - article ; n°3 ; vol.80, pg 601-614
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Le « royaume invisible » dans le Journal de Julien Green - article ; n°3 ; vol.80, pg 601-614

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Annales de Bretagne - Année 1973 - Volume 80 - Numéro 3 - Pages 601-614
14 pages

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Publié le 01 janvier 1973
Nombre de lectures 50
Langue Français

Extrait

Jean Lebrec
Le « royaume invisible » dans le Journal de Julien Green
In: Annales de Bretagne. Tome 80, numéro 3-4, 1973. pp. 601-614.
Citer ce document / Cite this document :
Lebrec Jean. Le « royaume invisible » dans le Journal de Julien Green. In: Annales de Bretagne. Tome 80, numéro 3-4, 1973.
pp. 601-614.
doi : 10.3406/abpo.1973.2704
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/abpo_0003-391X_1973_num_80_3_2704Jean LEBREC
LE « ROYAUME INVISIBLE »
DANS LE JOURNAL
DE JULIEN GREEN
Dans un article que sa Littérature à l'emporte-pièce
n'a pas encore recueilli, mais que nous retrouverons proba
blement dans une septième série, M. Jacques Vier nous rap
pelle que Julien Green « pressentit très tôt, derrière la splen
deur de la terre, le perpétuel débat d'une divine tragédie » :
« Le sentiment de sa propre aventure entre les antagonismes
éternels lui a mis la plume à la main, et le halètement de la
Bête, en quête quotidienne de la proie à dévorer, lui a fait
maintes fois écrire, sous des voiles plus ou moins transparents,
les épisodes de sa propre rédemption. »
Étrange univers romanesque, en effet, où au début le
personnage apparaît comme quelqu'un chez qui la volonté
est inutile, parce qu'elle se trouve incapable d'agir sur le réel.
Le héros se sent un inadapté, sans grâce, sans amis, sans
ambition, dans une impression de temps figé telle que l'avenir
semble ne pas devoir exister. Ce sentiment de ne pouvoir,
comme un prisonnier, conduire sa vie selon ses intentions,
exprime une difficulté à se situer dans le temps pour y déployer
sa propre histoire personnelle : une difficulté d'être, qui pour- — — 602
rait bien constituer un mythe obsédant chez l'auteur, une
structure fondamentale de sa pensée.
Or, comme l'a montré Jacques Petit (1), le passage
de « l'autre » dans un tel destin apparaît comme l'irruption
d'une providence dans la logique de la fatalité, — une sorte
d'image de la grâce chrétienne. Ce passage dans l'absence
totale de signification d'une vie, survient pour l'ébranler
et lui dire mystérieusement qu'il doit bien y avoir une signif
ication inconnue, que toute la vie du personnage se trouve
dans ses mains et que seul le sens lui échappe. Il y aurait une
autre manière de comprendre la vie, un autre aspect de la
même réalité, une autre façon de lier entre eux les événements.
Le passage de l'étranger ne se manifeste pas non plus de
deux façons, avec des porteurs de mauvaises nouvelles et des
messagers du pays perdu : l'étranger est en même temps l'un
et l'autre, car tout peut ébranler les êtres. Ainsi, la visite à
Mont-Cinère du Révérend Sedgwick donne à Émily Fletcher
la force de tenter une libération. Le besoin obsessionnel
qu'Adrienne Mesurât se crée de songer au docteur Maure-
court commence à donner un sens à sa vie. Moïra pourrait
bien libérer Joseph Day de ce qui étouffe en lui, dans une
explosion heureuse de violence. L'étrange Max de Chaque
homme dans sa nuit, ange ou démon qu'importe, conduit
subtilement Wilfred Ingram à la limite où s'offre enfin la
possibilité de se dégager de la prison intérieure, de l'incommuni
cabilité, de la peur. Dans L'Autre, pour Karin, jeune
danoise repliée sur son silence, c'est le français Roger qui
l'apprivoise, esquisse une libération, lui révèle sa nature sen
suelle dans les moments de leur bref bonheur. Autre mythe
obsédant peut-être dans l'univers de Green que ce passage
de « l'autre » dans une vie toujours plus ou moins bloquée
par l'impossible communication, que cette occasion à elle
offerte d'ouvrir les portes de sa prison.
Dans certains romans, le héros greenien se fixe toute-
(1) Jacques PETIT, Julien Green, Desclée de Brouwer, p. 31-38. — — 603
fois à nouveau dans le temps figé ; il se trouve repris par un
vertige dont il lui devient impossible de sortir. Émily ne
rencontrera pas sa libération à Mont-Cinère dans le mariage
avec un jeune voisin. Adrienne Mesurât, trop marquée par
le pli de son existence recluse, voit avorter sa tentative de
libération et se rejette dans une solitude plus profonde. Dans
d'autres romans, la nuit du héros s'estompe devant une aurore.
Il découvre enfin qu'il lui faut moins se libérer de certains
autour de lui que trouver en soi sa propre liberté, qu'il s'agit
de se dégager de certaine prison en soi pour pénétrer dans
l'authentique demeure intérieure. Wilfred intègre sa peur à sa
vie profonde, il s'efforce d'assumer cette foi religieuse qui
habite en lui malgré lui, il commence à prendre ses distances
à l'égard de la solution facile des plaisirs... Karin, après une
tentative scandaleuse et avortée de libération, se réconcilie,
grâce à un nouveau passage de l'autre dix ans après, avec la
joie de vivre, avec sa cité, avec la dimension religieuse de la
vie. Même, là, elle pressant en son cœur la présence de l'Amour
qui n'a pas de fin, elle devient « pour toujours prisonnière du
royaume invisible » (2) : minutes indicibles qui rejoignent
certaines pages du Journal même de Green.
Le mal de vivre, la difficulté d'être qu'éprouvent les
héros de ses romans furent d'abord, on s'en doutait, les
épreuves de Julien Green en personne. La prison intérieure,
l'ennui, l'incommunicabilité, la peur, les rêves obsessionnels
se sont rencontrés d'une autre façon mais aussi angoissante
dans la propre vie de l'auteur. Et, pour une part, il a bien
pu ne pratiquer l'acte d'écrire qu'afin de se libérer de cette
présence démoniaque, lui qui a tant répété que ses romans
lui étaient dictés par une nécessité intime. Son expérience
de romancier de l'invisible lui a permis en retour d'éclairer
en visionnaire le monde secret et parfois violent de ses années
de formation, dans ses trois ouvrages autobiographiques :
Partir avant le jour. — Mille chemins ouverts. — Terre loin-
(2) L'Autre, Pion, p. 360. — — 604
taine. Quand les enfances de Julien s'achèvent avec les trois
années d'université dans les États-Unis sudistes, le charme
des vastes demeures et des épais ombrages, l'envoûtement
d'un temps aboli et d'un certain Sud non résigné à mourir
ne permettent pas d'oublier la tragédie d'une jeune homme
qui se révolte contre la chair, laquelle voudrait le faire pri
sonnier d'un certain esclavage, et par là de la solitude, cet
enfer dont les romans tenteront justement de décrire les
cercles successifs. Les neuf tomes du Journal nous laissent
deviner que le combat s'est continué dans l'homme fait. A la
date du 20 janvier 1936, nous lisons : « En proie à ma vieille
ennemie, l'angoisse, j'ai erré dans des rues que je ne connaiss
ais pas, sous une pluie battante. Les réverbères reflétés dans
les profondeurs brillantes de l'asphalte, toutes les étoiles de
mon désespoir. » Même propos, douze ans plus tard : « Zurich.
De nouveau ce cauchemar de la neurasthénie. Déjà à Naples,
une fois, et à Stockholm. Près d'une heure sur un banc dans
un état très voisin du désespoir. J'ai connu cela aussi en 1925,
à Montfort-l'Amaury, et c'est de là qu'est sortie Adrienne
Mesurât. Je me demande comment font les autres » (3).
Comment, lui Julien Green a-t-il fait? Puisque le cri
d'espoir souvent poussé dans la nuit, la lueur annonciatrice
de l'aube, la chanson matinale de qui se réveille, — et que
seules les ultimes pages des deux romans nous livrent, —
se rencontrent toutefois si souvent au hasard des deux mille
pages du Journal. Green s'y présente comme un homme qui
sut reprendre pied sur terre et se construire une demeure
habitable. Cette « région de lumière », que voudraient attein
dre les personnages accablés des romans, c'est le royaume
du bonheur, le paradis de l'enfance retrouvé ou plutôt conquis,
— le premier n'ayant été vécu que pour nous donner la nos
talgie de l'autre. Cela que d'écrivain appelle souvent « les
pays lointains », « le pays perdu », « la jo

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