Le témoignage, entre autobiographie et roman : la place de la fiction dans les récits de déportation - article ; n°1 ; vol.56, pg 33-49
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Description

Mots - Année 1998 - Volume 56 - Numéro 1 - Pages 33-49
LE TÉMOIGNAGE, ENTRE AUTOBIOGRAPHIE ET ROMAN: LA PLACE DE LA FICTION DANS LES RÉCITS DE DÉPORTATION Un roman peut-il être considéré comme un témoignage de la déportation, et si oui, à quelles conditions ? Quelle place occupe-t-il dans l'ensemble des récits relatifs à la déportation et dans la gamme des documents disponibles pour le chercheur ? Quelles sont ses formes littéraires et ses fonctions identitaires ? Ces questions sont traitées à partir de l'expérience du traitement d'un corpus de témoignages de survivantes effectuée sous la direction de Michael Pollak.
TESTIMONY: BETWEEN AUTOBIOGRAPHY AND FICTION. THE PLACE OF FICTION IN ACCOUNTS OF DEPORTATION Can a novel be considered as a testimony of deportation, and if it can, under what conditions ? What place does it occupy within the collection of accounts of deportation and within the range of documents available to researchers ? What are its literary forms and its function in the process of identification ? These questions are analysed in the light of the treatment of a corpus of survivors' testimonies, that was carried out under the direction of Michael Pollak.
17 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1998
Nombre de lectures 34
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Madame Nathalie Heinich
Le témoignage, entre autobiographie et roman : la place de la
fiction dans les récits de déportation
In: Mots, septembre 1998, N°56. pp. 33-49.
Resumen
TESTIMONY: BETWEEN AUTOBIOGRAPHY AND FICTION. THE PLACE OF FICTION IN ACCOUNTS OF DEPORTATION
Can a novel be considered as a testimony of deportation, and if it can, under what conditions ? What place does it occupy within
the collection of accounts of deportation and within the range of documents available to researchers ? What are its literary forms
and its function in the process of identification ? These questions are analysed in the light of the treatment of a corpus of
survivors' testimonies, that was carried out under the direction of Michael Pollak.
Résumé
LE TÉMOIGNAGE, ENTRE AUTOBIOGRAPHIE ET ROMAN: LA PLACE DE LA FICTION DANS LES RÉCITS DE
DÉPORTATION Un roman peut-il être considéré comme un témoignage de la déportation, et si oui, à quelles conditions ? Quelle
place occupe-t-il dans l'ensemble des récits relatifs à la déportation et dans la gamme des documents disponibles pour le
chercheur ? Quelles sont ses formes littéraires et ses fonctions identitaires ? Ces questions sont traitées à partir de l'expérience
du traitement d'un corpus de témoignages de survivantes effectuée sous la direction de Michael Pollak.
Citer ce document / Cite this document :
Heinich Nathalie. Le témoignage, entre autobiographie et roman : la place de la fiction dans les récits de déportation. In: Mots,
septembre 1998, N°56. pp. 33-49.
doi : 10.3406/mots.1998.2364
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/mots_0243-6450_1998_num_56_1_2364HEINICH0 Nathalie
Le témoignage,
entre autobiographie et roman :
la place de la fiction
dans les récits de déportation1
« Le lecteur qui a vécu Hiroshima, les chambres à gaz ď Auschw
itz, les camps de concentration, qui a été le témoin de la guerre,
verra dans toute fiction une offense », écrivait Varlam Chalamov
dans une lettre à Alexandre Soljénitsyne. C'est sans doute pourquoi
Jorge Semprun, ayant fait d'un camarade de Résistance français un
Juif allemand dans un de ses romans, en éprouvera après coup une
culpabilité qui l'amènera, cinquante ans plus tard, à effacer cette
fiction en rétablissant la vérité2.
L'ambivalence de la littérarité
Pourquoi cette suspicion à l'égard de la fiction dès lors qu'il est
question de cette expérience extrême qu'est la déportation —
suspicion qui se manifeste également à propos des mises en scène
filmiques de l'Holocauste, depuis le feuilleton télévisé du même
0 Groupe de sociologie politique et morale, EHESS, 105 bd. Raspail, 75006
PARIS.
1. Une première version de ce texte fut présentée, en hommage à la mémoire
de Michael Pollak, au congrès « Histoire et mémoire des crimes et génocides nazis »
(fondation Auschwitz, Bruxelles, novembre 1992) sous le titre « Récits de rescapées :
le roman comme témoignage ».
2. « Hans Freiberg, en revanche, est un personnage de fiction /.../ Mais c'est
Julien qui y était, en réalité /.../ Voilà la venté rétablie : la vérité totale de ce récit
qui était déjà véndique » (J. Semprun, L'Écriture ou la vie, Paris, Gallimard, 1994,
p. 46).
Mots, 56, septembre 98, p. 33 à 49 33 nom jusqu'à, plus récemment, La Liste de Schindlerl C'est que
toute fiction tend par nature à suspendre la question de la véracité
et, avec elle, de la position morale du lecteur ou du spectateur
face à ce qui lui est narré : comme l'écrit Gérard Genette, « l'énoncé
de " possible fiction "), n'est ou ni est vrai à ni la faux fois vrai (mais et seulement, faux : il est aurait au-delà dit Aristote, ou en
deçà du vrai et du faux, et le contrat paradoxal d'irresponsabilité
réciproque qu'il noue avec son récepteur est un parfait emblème
du fameux désintéressement esthétique » \
Or dès lors qu'une fiction réfère à un événement réel et, surtout,
aussi chargé ď affects que le sont le génocide nazi et l'expérience
de la déportation, le poids du réel est si grand qu'il rend forcément
problématique, sinon impossible, une telle suspension ; et ce d'autant
plus lorsque s'ajoute, comme c'est le cas depuis une quinzaine
d'années, le risque du négationisme, qui prend prétexte de la
difficulté à parvenir à une exactitude absolue dans l'établissement
des faits pour mettre en doute leur existence même2.
Mais ce n'est pas seulement la fiction qui, dans ces conditions,
est par définition problématique : c'est toute forme de transformation
du réel en littérature, autrement dit de « littérarité », selon les termes
de Genette, qu'il s'agisse de la forme fictionnelle ou de la forme
poétique3. C'est ainsi que Semprun se souvient avoir déclaré, lors
de sa captivité, que « raconter bien, ça veut dire : de façon à être
entendu. On n'y parviendra pas sans un peu d'artifice. Suffisamment
d'artifice pour que ça devienne de l'art !» ; mais il ajoute : « Cette
évidence ne semble pas convaincante, à entendre les protestations
qu'elle suscite. Sans doute ai-je poussé un peu trop loin le jeu de
mots » 4. Et déjà, dans Souvenirs de la maison des morts, Dost
oïevski décrivait à propos du bagne la difficulté ne serait-ce que
1. G. Genette, Fiction et diction, Paris, Le Seuil, 1991, p. 20. Pour une approche
sociologique de cette question, cf. Luc Boltanski, La souffrance à distance. Morale
humanitaire, médias et politique, Paris, Métaihé, 1993.
2. Pierre Vidal-Naquet, Les assassins de la mémoire. « Un Eichmann de papier »
et autres essais sur le réviswnisme, Paris, La Découverte, 1987.
3. G. Genette, p. 26.
4. J. Semprun, p. 134-135. Un universitaire approuve : les témoignages, les
documents des historiens permettront de savoir. Mais quant à comprendre « la vérité
essentielle de l'expérience », celle-ci « n'est pas transmissible », sinon « par l'écriture
littéraire» (p. 136). Semprun insiste, optant pour le choix de l'art: «Mais peut-on
raconter ? Le pourra-t-on ? /.../ Ne parviendront à cette substance, à cette densité
transparente que ceux qui sauront faire de leur témoignage un objet artistique, un
espace de création. Ou de recréation. Seul l'artifice d'un récit maîtrisé parviendra à
transmettre partiellement la venté du témoignage. Mais ceci n'a rien d'exceptionnel :
il en arrive ainsi de toutes les grandes expériences historiques » (p. 23).
34 de structurer un témoignage, dans la crainte qu'une description
intégrale ne devienne vite « fastidieuse » \
C'est donc toute forme de « littérarité » qui peut être considérée
comme une insulte à la souffrance réelle, en tant qu'elle instaure
une distance avec le réel, la transparence du compte rendu, l'usage
documentaire de renonciation : qu'il s'agisse de « fiction » ou de
« diction », si l'on considère avec Genette qu'« est littérature de
fiction celle qui s'impose essentiellement par le caractère imaginaire
de ses objets, littérature de diction celle qui s'impose essentiellement
par ses caractéristiques formelles»2. Car dans l'un et l'autre cas
existe, selon sa juste expression, un « trouble de la transparence du
discours : dans un cas (fiction), parce que son objet est plus ou
moins explicitement posé comme inexistant ; dans l'autre (diction),
pour peu que cet objet soit tenu pour moins important que les
propriétés intrinsèques de ce discours lui-même » 3.
Entre disqualification du témoignage et unique expression adéquate
du vécu, la forme littéraire — et en particulier la fiction — possède
un statut ambigu dès lors qu'il s'agit de rendre compte d'une
expérience extrême comme l'est celle de la déportation. Car de
deux choses l'une : ou bien elle apparait au lecteur comme suscept
ible d'entamer la crédibilité du récit, et le rôle du chercheur sera
alors d'en repérer les marques lorsque celles-ci ne sont pas explicites,
comme nous allons tout d'abord le montrer. Ou bien elle appa

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