Les archives d hier à demain. Continuité et mutations - article ; n°2 ; vol.90, pg 549-561
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Mélanges de l'Ecole française de Rome. Moyen-Age, Temps modernes - Année 1978 - Volume 90 - Numéro 2 - Pages 549-561
Jean Favier, ~~Les archives d'hier à demain continuité et mutation~~, p. 549-561. Dans leur nature profonde, même si les progrès technologiques en ont bouleversé les apparences, les archives n'ont pas changé. Elles tiennent leur valeur du lien organique qui les unit à l'activité des hommes et des sociétés humaines. Le règne du multiple comme celui de l'éphémère et de l'instable ont cependant transformé les conditions du recours aux archives par l'historien. L'évolution propre de la curiosité et des méthodes historiques réagit à son tour sur les archives. L'infinitésimal devient signifiant dans le sériel et le témoignage involontaire valorise le document apparemment sans importance. L'archive devient matériau de l'Histoire avant de sortir de son usage administratif et le droit du citoyen au respect de sa vie privée entre en concurrence avec son droit à tout savoir de l'Histoire qui se fait.
13 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1978
Nombre de lectures 31
Langue Français

Extrait

Jean Favier
Les archives d'hier à demain. Continuité et mutations
In: Mélanges de l'Ecole française de Rome. Moyen-Age, Temps modernes T. 90, N°2. 1978. pp. 549-561.
Résumé
Jean Favier, Les archives d'hier à demain continuité et mutation, p. 549-561.
Dans leur nature profonde, même si les progrès technologiques en ont bouleversé les apparences, les archives n'ont pas
changé. Elles tiennent leur valeur du lien organique qui les unit à l'activité des hommes et des sociétés humaines. Le règne du
multiple comme celui de l'éphémère et de l'instable ont cependant transformé les conditions du recours aux archives par
l'historien. L'évolution propre de la curiosité et des méthodes historiques réagit à son tour sur les archives. L'infinitésimal devient
signifiant dans le sériel et le témoignage involontaire valorise le document apparemment sans importance. L'archive
matériau de l'Histoire avant de sortir de son usage administratif et le droit du citoyen au respect de sa vie privée entre en
concurrence avec son droit à tout savoir de l'Histoire qui se fait.
Citer ce document / Cite this document :
Favier Jean. Les archives d'hier à demain. Continuité et mutations. In: Mélanges de l'Ecole française de Rome. Moyen-Age,
Temps modernes T. 90, N°2. 1978. pp. 549-561.
doi : 10.3406/mefr.1978.2458
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/mefr_0223-5110_1978_num_90_2_2458JEAN FAVIER
LES ARCHIVES D'HIER À DEMAIN
CONTINUITÉ ET MUTATIONS
A celui qui, au soir d'une journée de travail, met un nouveau dossier au
fond d'un placard dans lequel s'aligne déjà ce qui reste d'écrit des affaires à
demi oubliées, à celui qui d'un ton fatigué dit à sa secrétaire «mettez moi
cela aux archives» pour signifier qu'on n'en parlera plus, et qui use indiff
éremment de deux locutions synonymes, affaire classée et affaire terminée, en
oubliant que le classement est un moyen plus qu'une fin, à celui-là, il peut
sembler que les archives trouvent leur continuité dans un long sommeil fait
d'une incertitude entre ce qu'on jette et ce qu'on garde parce que « on ne sait
jamais ».
Pour peu que ces archives soient celles d'un organe de l'Etat dont l'his
toire s'écrira un jour, ou celles d'un homme dont le rôle détermine peu ou
prou la vie politique, économique ou culturelle de son temps, la continuité
s'inscrit dans la volonté des hommes d'assurer leur propre place dans l'his
toire. On conserve des papiers parce qu'ils auront, un jour, «de l'intérêt».
Des archives sumériennes, faites de tablettes d'argile sèche où s'alignent
les signes cunéiformes, aux magnétothèques les plus modernes où se conser
vent les bandes et les disques qui sont les archives de l'informatique, le pro
cessus mental a finalement peu varié. L'impulsion électrique a pu remplacer
le roseau taillé, rien n'est vraiment changé quant aux raisons profondes pour
lesquelles les sociétés humaines conservent, au-delà du temps de l'action, ce
qui n'a été qu'un instrument de cette action et qui tient de cette fonction
d'instrument sa raison d'être.
Et cependant, sans remonter jusqu'aux archivistes de Hammourabi, bien
des choses ont changé depuis qu'en 1309 Philippe le Bel définissait ainsi,
dans ses lettres patentes de nomination, la fonction de mon prédécesseur
Pierre d'Etampes :
« Voir, examiner, mettre en ordre et ranger dans les armoires les lettres,
chartes et privilèges, afin de les conserver le mieux possible et qu'ils
soient le plus sûrement et le plus facilement utilisables lorsqu'il sera
nécessaire. Et faire tout ce qu'il faut pour les conserver sûrement et les
retrouver rapidement». 550 JEAN FAVIER
Bien des choses ont changé, même, depuis l'orientation précise de leur
fonction scientifique que donnèrent aux Archives de France les grands éru-
dits du siècle dernier, de la volonté de qui la maison que j'ai l'honneur de
diriger tient son visage séculaire.
Ce que je vous propose donc, c'est de suivre, en nous attachant à
l'archive autant qu'à ce qu'on attend d'elle, l'enchevêtrement d'une conti
nuité qui ne se renie pas et de mutations qui touchent de plus en plus à
l'essentiel.
L'archive tout d'abord. Sous quelque forme qu'elle prenne - l'écrit,
l'image, le son, la mémoire magnétique - elle conserve un caractère fonda
mental, qui est de se définir par le lien organique qui l'unit à l'activité de ges
tion dont elle procède. L'archive n'est pas le fruit d'une création volont
aire. Le document d'archives n'est pas rédigé pour lui-même, mais pour
documenter une décision, pour instrumenter une transmission, pour justi
fier une gestion. L'acte volontaire est dans la conservation — on jette ou on
garde - mais il n'est pas dans la naissance de l'archive. Celle-ci est ipso fatto.
On peut déchirer les lettres reçues, comme on peut ne pas les lire, mais
on ne peut faire qu'on ne les ait pas reçues. On peut brûler ses comptes,
mais on ne peut tenir une comptabilité sans comptes, de même qu'à l'inverse
on ne peut avoir de comptes si l'on n'en n'a pas tenus.
Lourde de conséquences devant les tribunaux comme devant le juge
ment de l'histoire, ce caractère suffit, depuis des millénaires, à différencier
l'archive de la collection, cette collection fût-elle faite de documents d'archi
ves. Si j'achète, chez un marchand d'autographes, une lettre de Bonaparte à
Cambacérès, cette lettre ne fera jamais, pour autant, partie de mes archi
ves. N'importe qui aurait pu l'acheter. Elle sera de ma collection jusqu'à ce
que je m'en défasse, ou que mes héritiers la vendent. Mais elle reste une
pièce des archives de Cambacérès, même si les hasards de l'histoire ont dis
persé ces archives.
Ce lien organique, qui conditionne tout l'usage que l'on peut faire d'un
fonds d'archives, et sur quoi se fonde toute la critique historique, il est le
même pour le chartrier du Moyen-Age, pour les dossiers privés de l'homme
de la rue ou de l'homme de gouvernement de notre temps, pour les archives
d'une société multinationale ou pour celle du boulanger du coin.
Il en résulte une absolue concomitance de l'archive et de l'activité. Pas
plus que dans la vie, le temps ne rebrousse son chemin dans les docu
ments. La continuité nait de l'automatisme. ARCHIVES D'HIER À DEMAIN 551 LES
Si la technologie contemporaine n'avait fait que changer la forme de
l'archive, nous serions encore dans la continuité millénaire. Passer de l'argile
sèche au papyrus, de la peau de mouton au papier de chiffon, du rouleau au
registre relié, voilà qui n'a pas moins changé les habitudes qu'une apparition,
lente et souvent timide, de la photographie, du film ou de la bande magnéti
que dans le voisinage des dossiers de papier.
En fait, la technique documentaire nous met, très brusquement et de
manière très sensible, en face d'une véritable remise en cause de caractères
qui semblaient fondamentaux et qui paraissaient procéder de l'origine même
des archives.
Le premier de ces bouleversement, c'est l'apparition, puis la normalisat
ion du multiple. Les archives du siècle dernier n'étaient formées que de piè
ces uniques. L'original était unique, mais la copie l'était aussi, car on ne pouv
ait concevoir deux copies absolument semblables. Unique, l'acte scellé ou
signé. Unique, le cartulaire où s'ordonnent les copies. Unique, le regis
tre. Unique, la copie authentique, que le Moyen Age appelait vidimus. Unique,
la minute du notaire. Unique, chacune des grosses.
La machine à écrire a commencé de changer cela, ou plutôt le papier
carbone qui permettait de multiplier les copies issues d'une même
frappe. Ces exemplaires apparaissaient déjà, voici un demi-siècle, à ce point
semblables que le langage administratif les a comptabilisés comme si chaque
copie procédait directement de l'original : «faites-moi trois doubles» dit
l'administrateur à sa secrétaire, sans bien mesurer à chaque fois qu'il est en
train de violer l'arithmétique la plus élémentaire. Chaque copie est un dou
ble de l'or

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