Les prostituées du XIXe siècle et le vaste effort du néant - article ; n°1 ; vol.44, pg 259-275
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Description

Communications - Année 1986 - Volume 44 - Numéro 1 - Pages 259-275
17 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1986
Nombre de lectures 16
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Alain Corbin
Les prostituées du XIXe siècle et le "vaste effort du néant"
In: Communications, 44, 1986. pp. 259-275.
Citer ce document / Cite this document :
Corbin Alain. Les prostituées du XIXe siècle et le "vaste effort du néant". In: Communications, 44, 1986. pp. 259-275.
doi : 10.3406/comm.1986.1662
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/comm_0588-8018_1986_num_44_1_1662Alain Corbin
Les prostituées du XIXe siècle
et le « vaste effort du néant x
Depuis l'Antiquité, le milieu prostitutionnel aurait assuré la trans
mission de recettes contraceptives, d'autant plus fascinantes que nim
bées de flou. Voilà l'un des topoi de l'histoire sexologique; mystér
ieuses injections, amulettes magiques, herbes abortives, éponges
vaginales, évoquées çà et là par des témoins désinvoltes, tel Mathurin
Régnier en 1609 2, suffisent en général à convaincre les historiens de
la pérennité de ces occultes pratiques. De Jean-Louis Flandrin à Angus
Mac Laren et Peter Gay 3, ceux-ci se disent persuadés tout à la fois
de la permanence et de l'efficacité du contrôle que les spécialistes du
coït vénal exercent sur la fécondité des prostituées. Venue l'heure de
la contraception de masse, le peuple, après les aristocrates, n'aurait
eu qu'à puiser dans cette antique et inquiétante pharmacopée pro
fessionnelle. Filles publiques et mères maquerelles auraient insidieu
sement diffusé un art de faire l'amour sans risque.
Le XIXe siècle serait-il le temps fort de la diffusion des pratiques
contraceptives parce qu'il constitue l'âge d'or de la vénalité sexuelle?
Telle est la question qu'obligent à poser ceux qui décrètent ainsi
l'ampleur de la transmission clandestine des « funestes secrets ». ,
I. Parcimonie des pratiques contraceptives.
Que peut-on savoir des méthodes contraceptives utilisées par les
professionnelles de l'amour au XIXe siècle? Est-il possible de dresser
la liste des pratiques et d'en mesurer l'éventuelle diffusion? Telles
sont les deux questions auxquelles je voudrais tout d'abord m'efforcer
de répondre.
L'historien, en ce domaine, se heurte à une volonté d'ignorer que
la pudeur ne saurait suffire à expliquer. Le discours sur la prostitution
est masculin. Les filles publiques ne rédigent pas leurs mémoires, ne
crient pas leur malheur, encore moins leur plaisir; il faut, pour cela,
attendre l'entre-deux-guerres. La putain ignore l'écriture de soi dont
259 Corbin Alain
se délectent les auteurs de journaux ou de correspondances intimes.
Seuls, quelques clients gênés, quelques policiers bavards et d'innomb
rables médecins désireux d'amender la société nous décrivent par
le menu la « prostitution publique ». Le premier de ces témoignages,
celui du client, fournit peu de données sur ce qui nous préoccupe ici.
Impatient de son plaisir, puis pressé de s'enfuir, le mâle abandonne
à la femme le mystère d'ablutions dans lesquelles il ne voit qu'un
délicat prélude aux ébats attendus. Les manœuvres contraceptives
n'entrent pas dans le champ de sa relation. Léo Taxil nous le dit 4 : -
dans les bordels de luxe, en attendant que la femme achève la toilette
de son sexe, le monsieur fume, plus ou moins tranquillement, une
opportune cigarette. Le policier, quant à lui, se préoccupe de l'hygiène
publique : il a pour rôle d'assurer l'ordre dans la rue comme dans
les maisons et de contraindre la fille à passer la visite sanitaire; la
toilette intime n'est pas de son ressort. Il ne pourrait d'ailleurs en
témoigner sans jeter le soupçon sur son intégrité.
Restent les médecins, anciens carabins, et, comme tels, pour la
plupart, habitués des lupanars. Oublieux de ce temps regrettable, ils
évitent d'égrener leurs souvenirs graveleux; ce sont des praticiens
qui nous parlent. La médecine de ce temps, inspirée par la méthode
anatomo-clinique, se révèle habile à décrire l'état des organes, à
détecter, à observer et à transcrire les signes de la maladie; mais,
jusque vers le milieu du siècle, elle ignore les pratiques sexuelles qui
ne laissent pas de traces anatomiques. A lire le gros livre de Parent-
Duchâtelet, et ce n'est là que l'exemple accompli d'une foisonnante
littérature, nous connaissons l'état de l'anus, de la vulve ou de l'utérus
des prostituées parisiennes5; mais nous n'apprenons pratiquement
rien de leur toilette intime et des positions qu'elles adoptent durant
le coït. En quête de la trace du vice et de son cheminement dans les
organes, comme les spécialistes d'anatomo-pathologie le sont de celui
de la mort dans le cadavre, les médecins de ce temps ignorent le
souci du corps, la caresse, la gymnastique ou la hargne voluptueuse
qui ne marquent la chair d'aucune empreinte détectable.
De toute manière, bien qu'ils se révèlent habiles à éviter l'impu-
dicité de langage — ils disposent, pour cela, du latin -, ces médecins
craignent l'incitation à la débauche, voire l'accusation de simple
complaisance. Jusque sous le second Empire, onanisme mis à part,
ils se refusent à évoquer publiquement ce qui ressortit aux compor
tements privés; le docteur Londe constitue une exception, lui qui
demande, dès 1827, que l'on impose à la fille publique une minutieuse
hygiène intime6.:
Cela dit, les médecins fournissent nombre de renseignements à qui
veut bien tenir compte des impératifs qui gèrent leur regard. Sans
même poser le problème de la contraception, tous les spécialistes
260 prostituées du XIXe siècle et le « vaste effort du néant » Les
constatent la stérilité, ou plutôt l'« infécondité » des filles publiques ;
certains s'efforcent de la mesurer. Le plus perspicace et le plus savant
d'entre eux, Parent-Duchâtelet, considère toutefois que ses confrères
ont tendance à exagérer cette infériorité. La « méthode numérique »
à laquelle il s'astreint l'amène à conclure que le taux de fécondité
des prostituées — toutes, ou presque, en âge de concevoir — n'est pas
de 6 %o, comme le répètent ses amis, mais qu'il se situe entre 17 %o
et 21 %o 7. Aucune autre série de données ne nous permet de refaire
le calcul; la méthode utilisée par Parent me semble toutefois assez
solide, son application suffisamment scrupuleuse pour que nous lui
fassions confiance; du moins en ce qui concerne l'échantillon limité
qu'il a choisi d'étudier, c'est-à-dire l'effectif des filles soumises qui
exercent à Paris entre 1817 et 1832.
Le catalogue des causes de l'infécondité, telles qu'elles sont perçues
par les témoins, nous invite à la prudence. Un a priori risque en
effet de fausser le regard : la débauche, qui constitue le propre de
l'homme, puisque les animaux l'ignorent, apparaît, par principe,
antinomique de la procréation. Montesquieu rappelait naguère 8 que
l'incontinence viole les lois de la Nature; or, quand elle est violentée,
celle-ci ne saurait être féconde. Un préjugé philosophique impose
donc que les filles publiques se révèlent moins aptes à concevoir que
les femmes honnêtes. La théorie scientifique vient conforter ce pos
tulat. Durant la première moitié du siècle, avant que s'impose une
exacte description des mécanismes de l'ovulation, la croyance, héritée
de Galien, en la nécessaire participation voluptueuse de la femme à
l'acte de procréation demeure assez solidement ancrée. Elle propose
aux médecins pressés une facile explication de l'« infécondité » des
filles publiques. La prostituée, le plus souvent frigide, ne se trouve
pas dans des conditions psychologiques favorables à l'« imprégnat
ion », à moins qu'elle ne se donne à son « amant de cœur ». Ce qui
permet à Parent-Duchâtelet cette conclusion nuancée :
Tout semble prouver que les prostituées sont plus aptes à la fécon
dation qu'on ne l'a cru jusqu'ici ; qu'il faut, pour que cette concep
tion ait lieu, une réunion de circonstances, et, pour ainsi dire, le
concours de la volonté et du laisser-aller de la fille, v

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