Limites de l analyse linguistique en poétique - article ; n°12 ; vol.3, pg 56-70
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Limites de l'analyse linguistique en poétique - article ; n°12 ; vol.3, pg 56-70

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Description

Langages - Année 1968 - Volume 3 - Numéro 12 - Pages 56-70
15 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1968
Nombre de lectures 95
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Nicolas Ruwet
Limites de l'analyse linguistique en poétique
In: Langages, 3e année, n°12, 1968. pp. 56-70.
Citer ce document / Cite this document :
Ruwet Nicolas. Limites de l'analyse linguistique en poétique. In: Langages, 3e année, n°12, 1968. pp. 56-70.
doi : 10.3406/lgge.1968.2353
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/lgge_0458-726X_1968_num_3_12_2353NICOLAS RUWET
Fonds National belge
de la Recherche Scientifique
LIMITES DE L'ANALYSE
LINGUISTIQUE EN POÉTIQUE
Je voudrais faire ici quelques remarques sur la nature et les limites
des apports de la linguistique aux études littéraires, en particulier à la
poétique, et parler de quelques-unes des difficultés que rencontrent les
études littéraires quand elles se basent sur des données d'ordre li
nguistique 1.
Deux observations pour commencer. Tout d'abord, quelles que soient
les limites de l'objet que l'on fixe à la théorie linguistique, il est clair
que cet obj et ne recouvrira j amais intégralement celui des études littéraires.
Pour prendre un exemple simple, les linguistes admettent (cf. Bar-Hillel,
Katz-Fodor) que tout ce qui relève de la « connaissance du monde »
qu'ont les sujets parlants — connaissance du monde qui ne se confond
pas avec l'objet de la sémantique — n'est pas de leur compétence.
Or, cette connaissance du monde joue évidemment un rôle capital dans
la littérature et, pour en rendre compte, les études littéraires devront
faire appel à des sciences distinctes de la linguistique, sociologie, psychol
ogie, etc.
En second lieu, il serait sans doute souhaitable de renoncer à baptiser
nos premiers essais d'étude rigoureuse de la poésie du nom de « poétique
structurale ». Ce terme, à mes yeux du moins, souligne trop la dépendance
de la poétique par rapport à la linguistique structurale. Or, non seulement
nous aVons intérêt à distinguer soigneusement l'objet de la poétique de
celui de la linguistique, mais, d'un autre côté, la linguistique structurale
ne représente qu'un moment — maintenant dépassé, depuis le déve
loppement de la grammaire generative (cf. Chomsky, 1965) — de
l'histoire de la linguistique, et il n'y aurait pas beaucoup de sens à lier
le destin des études littéraires à ce qui n'aura été qu'un stade transitoire
1. Ce texte est une version, légèrement modifiée, d'un exposé fait au Colloque
sur « Les langages critiques et les sciences de l'homme », tenu à l'Université Johns
Hopkins à Baltimore en octobre 1966. La seconde partie, l'analyse de La Géante de
Baudelaire, reprend pour l'essentiel une analyse inédite faite en 1963, à l'époque où
je poursuivais des recherches sur la poétique au Fonds National belge de la Recherche
Scientifique. 57
d'une discipline voisine. J'ajouterai qu'il existe encore, sur un plan
différent, un danger assez réel, qui consiste dans le développement d'une
« esthétique structuraliste » : j'appelle ainsi la tendance, contre laquelle
nous devons nous garder, à valoriser indûment, parmi tous les aspects
possibles de l'œuvre d'art, les quelques traits qu'il nous est déjà possible
de décrire avec une certaine rigueur, en termes inspirés des concepts de
la linguistique structurale.
Ces distinctions faites, il me semble que le statut de la linguistique,
par rapport à la poétique, et aux études littéraires en général, ne peut
être que celui d'une discipline auxiliaire, dont le rôle est assez analogue
à celui que joue la phonétique par rapport à la linguistique elle-même.
Autrement dit, la linguistique peut apporter à la poétique un certain
nombre de matériaux, mais elle est incapable, à elle seule, de déterminer
dans quelle mesure ces matériaux sont pertinents du point de vue poétique
ou esthétique. Si la linguistique a ainsi un rôle assez modeste, elle n'en
est pas moins indispensable, et chacun de ses progrès est toujours sus
ceptible d'apporter quelque chose à la poétique (même si les progrès de
la poétique ne sont pas tous nécessairement déterminés par ceux de la
linguistique); cela tient simplement au fait que la linguistique décrit,
avec de plus en plus de précision, les matériaux de la poétique. Un simple
progrès dans la description de ses peut en effet permettre à
la poétique de se poser de nouvelles questions, ou encore, ce qui est tout
aussi important, de s'apercevoir que certaines questions qu'elle se posait
n'étaient que de faux problèmes.
Je prendrai un exemple simple, qui a trait à la fameuse question
du rôle poétique des éléments sonores. Soit le vers célèbre de Racine :
Le jour n'est pas plus pur que le fond de mon cœur
On a beaucoup parlé de la vie seconde que ce vers mène, en dehors de
son contexte, dans la mémoire du public, et on a en général tenté d'expliquer
ce fait par sa structure phonique particulière. Par exemple, certains ont
constaté que ce vers se compose uniquement de monosyllabes, d'autres
ont remarqué les allitérations en /p/ (« pas plus pur »), etc. La linguistique
moderne n'est certainement pas capable, à elle seule, d'expliquer la
beauté de ce vers, ni de dire pourquoi il a pris cette espèce d'autonomie,
mais elle peut du moins, d'ores et déjà, décrire sa structure phonique
avec une grande précision, et, du même coup, discréditer certaines
hypothèses, ou en mettre d'autres en relief. Par exemple, l'hypothèse
« monosyllabique » est immédiatement exclue par la constatation — qui
s'appuie sur des considérations à la fois syntaxiques, morphologiques et
phonologiques, trop complexes pour que je les développe ici — que des
unités comme l'article le, la préposition de ou la conjonction que (sans
parler de la particule négative ne) n'ont qu'une autonomie très relative
en français, et ne peuvent pas être tenues pour des « mots » monosyll
abiques au même titre que des lexemes comme jour ou pur. 58
f ž u r r к œ r p y
— — vocalique + + + + + + +
— — — — consonantique + + -f + + + +
arrondi 0 0 0 0 0 0 0 + + + +
— — — — compact 0 0 0 + +
— — continu 0 0 0 0 + +

diffus 0 0 0 0 0 + +
grave 0 0 0 0 0 + + + +
— —
— — nasal 0 0 0 +
— tendu 0 0 0 0 0 0 0 + + +
FlG. 1.
Laissons de côté la structure syntaxique du vers, et ses rapports
(certainement pertinents) avec la structure phonologique et métrique.
Retenons seulement deux choses a) : la théorie linguistique (celle de
Chomsky et Halle, issue de Jakobson) distingue nettement les morphèmes
lexicaux (lexemes) des morphèmes grammaticaux; la description de la
structure phonologique des lexicaux fait l'objet d'une partie
spéciale de la grammaire; ceci nous autorise donc à considérer à part
les quatre unités jour, pur, fond, cœur; b) la théorie linguistique (cf.
Jakobson, 1962; Halle, 1959) décrit la structure phonologique des lexemes
sous la forme d'une matrice de traits distinctifs binaires. Voici, dans la 59
Figure 1, les matrices des quatre lexemes jour, pur, fond, cœur. Chaque
colonne correspond à un segment (à un phonème), chaque ligne à un
trait distinctif; la présence, dans une case, d'un plus ou d'un moins
indique que le segment correspondant à la colonne est spécifié positivement
ou négativement par rapport au trait correspondant à la ligne; la présence
d'un zéro signale que le segment n'est pas spécifié par rapport au trait
en question.
Si on examine la Figure 1, on est amené à faire un certain nombre de
constatations. Tout d'abord, les matrices des quatre lexemes ont un
certain nombre de traits communs : tous sont des monosyllabes, composés
d'une consonne suivie d'une Voyelle et, dans trois cas sur quatre, de la
liquide /r/; toutes les voyelles sont arrondies et non-compactes (cf.
l'absence de /i/, /e/, /a/), et aucune consonne n'est aiguë (non-grave;
cf. de /t/, /s/, etc.), ce qui contribue sans doute à donner au
vers une tonalité assombrie. Ensuite, sur ce fond commun, il y a une
variation systématique, qui concerne, dans les consonnes, les traits
compact-non-compact et continu /discontinu, et, dans les voyelles, les
traits grave /non-grave et diffus /non-diffus (cf. les cases encadrées); dans
chacune des deux catégories, consonantique

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