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Université Panthéon Assas (Paris 2)Droit- économie- sciences sociales   
  POUR UNE SOCIOLOGIE JURIDIQUE DU SOMMEIL Les droits et les devoirs du dormeur   
   Master 2 recherche en droit Mention sociologie du droit    Présenté et soutenu par Mélanie Métivier     Directeur de recherchesMonsieur Andrieux      Septembre 2007
     
 
 
 
Avertissement
L'Université n'entend donner aucune approbationni improbation aux opinions émises dans ce mémoire. Elles doivent êtreconsidérées comme propres à leur auteur. 
 
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    Je remercie chaudement toutes les personnes qui ont contribué à l'élaboration de cemémoire : Avant tout le directeur de mes recherches, Monsieur Andrieux, dont l'enthousiasmecommunicatif allié à une attention soutenue et continue ont permis l'écriture de ce travail. Je remercie également les autres professeurs du DEA de sociologie du droit, particulièrementMessieurs Heurtin et Mekki pour leurs conseils avisés. Je remercie enfin toutes les personnes interrogées dans le cadre de ce mémoire : Raoni, Kévin,Jean-Paul, Claudie, Nicolas, Baptiste, Antoine, Macha, Dominique, Thierry, Frédéric, Paul,Thomas, Gisèle, Lou, Florence l'hypersomniaque narcoleptique et Marie-Clairel'insomniaque… Autant de visages connus ou inconnus qui ont éclairé et humanisé messemblants de réflexion. Un grand merci également aux Docteurs Bary et Lubin, et auPrésident du Comité des victimes du bruit, Monsieur Ottavian.
 
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« Ce soir, quand tu partiras, quand tu rentreras chez toi,Quand t’en auras fini avec toutes tes manies si t’as des manies (…),Quand t’en auras fini avec ton chat si t’as un chat,Quand t’en auras fini avec ta femme si t’as une femme (…),Quand t’en auras fini avec tes mômes, avec tout,Quand tu plongeras dans cette mort figurée qu’est le sommeil,N’oublie pas, tu nais tout seul, tu meurs tout seul, entre les deux dates, il y a des faitsdivers (…),Quand t’as éteint ta lampe, t’es vraiment seul, hein…Allez, viens, on partira là-bas, dans un pays absolument méconnu, il est connuactuellement par moi… 
  C’est par ces mots que Léo Ferré, lors d’un concert, a conclu l’Invitation au VoyagedeCharles Baudelaire1. Le poète perçoit le sommeil comme une liberté absolue, qui débarrassel’homme de toutes les contraintes sociales, dont le droit. De ce point de vue, l’homme qui dortsemble débarrassé du droit. Le sommeil n’aurait donc aucun rapport avec la norme juridique.Cet extrait illustre parfaitement la conception de la majorité des gens, pour qui le sommeil estun refuge, une fuite de la vie en société. Le sommeil est associé à la nuit, que les artistes préfèrent au jour en raison de larêverie qu’elle permet. Ici, le« soir  annonce la nuit et suppose de rentrer chez soi. Le travailou les loisirs doivent s’effectuer la journée. Le jour, le droit et la morale imposent des normesqu’il faut respecter. Le jour entrave la liberté de l’homme qui doit se débarrasser de ses« manies , imposées par l’ordre social diurne. La liberté, vue comme un droit nocturne, estun apprentissage de longue haleine qui implique de se débarrasser de ses mauvaises habitudes.L’homme éveillé est soumis à de nombreuses contraintes, notamment des obligationsfamiliales. En revanche, le sommeil doit s’accomplir chez soi, la nuit, en dehors du droit. LéoFerré n’est pas seul à le penser, Jean Carbonnier écrit :« La nuit n’est pour le droit qu’ videunqu’il abandonne, ou un inconnu qu’il redoute 2.
                                         1 G. Job,Léo Ferré au théâtre des Champs-Elysées les 6 et 7 avril 1984, Paris, DVD produitpar La mémoire et la mer, 2003.2 J. Carbonnier, « Nocturne , dansFlexible Droit. Pour une sociologie du droit sans rigueur,Paris, LGDJ, dixième édition, p. 62.
 
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Une fois rentré chez lui, l’homme a encore des devoirs. Le droit et la morale s’imposent nonseulement au dehors, mais aussi au-dedans, autrement dit chez soi, au sein de sa famille. Ilfaut en« finir  avec toutes les obligations diurnes avant de plonger dans le sommeil : nourrirson chat (interdiction des mauvais traitements faits aux animaux : articles R 654-1, 521-1 etsuivants du Code pénal), accomplir le devoir conjugal (obligation de communauté de vie desépoux : article 215 alinéa 1 du Code civil), endormir ses enfants (exercice de l’autoritéparentale : articles 203, 371-1 et suivants du Code civil). Léo Ferré ne prescrit pas d’entraverces normes diurnes ; au contraire, il propose de les respecter scrupuleusement, une par une,avant de dormir. Ces règles sont un mal avec lequel« il faut finir , pour pouvoir accéder aunon droit du sommeil.Ces obligations familiales, auxquelles le chanteur fait référence, comportent non seulementune dimension juridique, mais aussi une dimension morale. Le sommeil serait non seulementun état de non droit, mais aussi un état d’amoralité. En effet, il est bon de caresser son chat, dedonner du plaisir à sa femme, de raconter une histoire à ses enfants avant d’aller dormir. Lesommeil libère l’homme de ses obligations civiles et de ses obligations morales. Si le chatmiaule, si l’enfant pleure, si la femme est insatisfaite, le dormeur n’en n’est pas responsable etn’a pas à s’en préoccuper. Mais peut-être a-t-il mal nourri son chat, peut-être ne s’est-il pasassez occupé de sa femme, peut-être a-t-il lu la mauvaise histoire à l’enfant…il seraitresponsable, mais d’abord cette responsabilité ne revêtirait qu’un caractère moral, et cetteresponsabilité trouverait sa cause dans un événement antérieur à l’état de sommeil.Le sommeil en lui-même ne semble pas pouvoir constituer une faute au sens juridique. Mais ilpeut constituer une faute morale lorsque tout le monde ne dort pas dans la maison, et pourraitdevenir une faute juridique lorsque par exemple, la femme est prise d’une grave crised’angoisse et que le mari ne se réveille pas. S’il avait trop bu d’alcool, ou pris des somnifèrestrop puissants, le dormeur n’entendra pas la détresse éventuelle de ses proches. Dans cettehypothèse, il pourra être considéré comme coupable au moins de négligence, mais à nouveaula cause du préjudice éventuel se situe dans un événement antérieur à l’état de sommeil.La solitude vient une fois la« lampe éteinte . L'homme peut alors répondre à l'invitation auvoyage. Avec le noir de la nuit, l’homme« plonge dans cette mort figurée qu’est le sommeil .Le droit est censé se retirer d’un lieu où il ne voit rien. La contradiction est évidente : si lesommeil est une « mort , comment peut-on être emmené en voyage, même sur l’invitation deLéo Ferré ? Mais cette contradiction n’est qu’apparente : le sommeil n’est qu’une figurationde la mort, et non la mort elle-même. Le dormeur, par le sommeil, atteint la liberté, incarnéedans l’anarchie chère à Léo Ferré. L’anarchie ou« la négation de toute autorité d’où qu’elle
 
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vienne , selon les termes du chanteur, et donc la négation du droit. Ainsi, un homme quin’aurait ni femme, ni enfant, ni chat serait-il libre de façon permanente… Car la liberté selonFerré, c’est la solitude du dormeur, et non la sociabilité de l’homme éveillé. Le dormeuratteindrait la solitude dans une liberté intime, personnelle et non sociale. Le sommeil aboliraittout lien social. C’est dans le non droit du sommeil que l’homme accède à la liberté, et ce parle biais de la solitude.Il est vrai qu’à priori, lorsqu’il est seul, l’être humain ne doit rien à personne. Et même,l’homme ne se doit rien, puisque l’automutilation et le suicide ne sont pas punis par la loi. Le rapprochement entre le sommeil et la mort rend bien compte de la passivité du dormeur,comparable à celle du mort. Or, les morts ne peuvent pas concrètement faire de mal et doncêtre punis par la norme juridique. Ils peuvent pourtant hanter la mémoire et le cœur desvivants, leur rendre la vie impossible… mais ce n’est pas le problème du droit, qui exige despreuves tangibles. D’autres normes entrent alors en scène, telles la religion et la morale. Ledormeur, aussi passif que le cadavre, ne peut pas non plus nuire à autrui. En effet, il ne sauraitêtre reproché à celui qui dort d’avoir de mauvaises pensées. Le droit objecterait qu’il manquel’élément matériel à la constitution d’une infraction, et l’élément moral lui-même pourrait êtrediscuté si l’on considère que le sommeil abolit la conscience et la volonté humaines. Le droitrefuse de se préoccuper de l’inconscient des êtres, de la mauvaise conscience quis’exprimerait par exemple dans un rêve. Le sommeil serait un état hors du droit, l’un des derniers îlots de liberté dans unesociété qui réglemente même les relations d’affection. Luc Gwiadzinski fait allusion à cetteconception du sommeil nocturne en remarquant que« dans la plupart des langues (…), lemot "nuit est composé du chiffre "huit" précédé de la négation (…). Pour comprendre cette"négation du "huit", nous aurions dû réaliser qu’une fois couché, le chiffre "huit" représentaitl’infini… 3. En étant nié, le 8 se couche et devient l’infini (). Mais d’une part, le cadavre a encore des droits, dont celui à la dignité. Le Code pénalinterdit de profaner une tombe. Dès lors, s’il n’y avait qu’une différence de degré entre lesommeil et la mort, comment le droit pourrait-il protéger le mort et ne pas protéger le
                                         3 Luc Gwiadzinski,La nuit, dernière frontière de la ville, Quetigny, L’aube, Monde en cours,2005, p 59 et 60. L’auteur donne pour exemple les mots anglais « night  et allemand« Nacht . 
 
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dormeur ? Dans la mesure où le cadavre est aussi vulnérable que le dormeur, il y aurait là uneincohérence à laquelle le droit essaie le plus souvent d’échapper : il doit protéger le dormeurautant que le cadavre. Le comateux et l’évanoui ressemblent aussi à des dormeurs ; le droit lesprotège, indéniablement. Pourquoi ne pas protéger le dormeur ?D’autre part, tous les sommeils ne s’accomplissent pas la nuit, une fois la lampe de chevetéteinte. La sieste et la grasse matinée se déroulent de jour, comme le sommeil des travailleursde nuit. La sieste par exemple est la plupart du temps interdite au travail et obligatoire àl’école maternelle. Le droit réglementerait donc le sommeil, en conférant au dormeur desdroits et en lui assujettissant des devoirs.Par ailleurs, l’homme peut ne pas arriver à dormir. En va-t-il de sa responsabilité ? L’hommepeine-t-il à trouver le sommeil parce qu’il a des soucis, parce qu’il a mauvaise conscience ? Ily a une distinction entre le sentiment du devoir accompli, la fatigue et la possibilité de dormir.Léo Ferré suppose qu’une fois ses obligations quotidiennes accomplies, l’homme a bonneconscience et donc s’endort sans difficulté. Il dort du« sommeil du juste , et à ce titre, nedoit pas être dérangé.Le sommeil emmène l’homme loin de ses obligations quotidiennes. Le droit ici évoqué estcivil, social, familial. Le chanteur s’adresse en effet au citoyen ordinaire, qui n’estgénéralement pas concerné par les dimensions extraordinaires du droit, son versant judiciaire,sa dimension d’élaboration des normes législatives ou exécutives. Ces dimensionsextraordinaires du droit ne sont peut-être pas absentes du sommeil. En effet, les sommeils dudétenu, du pensionnaire de maison de retraite ou du travailleur de nuit ne sont-ils pasréglementés ? Qu’en est-il du sommeil du juge ? Et de celui du député ?Par ailleurs, en plongeant dans le sommeil, l’homme peut empêcher ses proches de dormir. Leronfleur très sonore peut rendre la vie de sa conjointe impossible… jusqu’à pouvoir constituerune cause de divorce ! Le dormeur peut souffrir de somnambulisme et causer du tort à destiers. Le droit, au moins civil entrerait alors légitimement en scène en exigeant la réparationdu dommage subi par le tiers. L’intervention du droit pénal serait plus discutable eu égard àl’absence de l’élément moral, nécessaire à la constitution d’une infraction4. La question resteouverte en ce qui concerne les contraventions. Et à propos des crimes et des délits, reste àsavoir si l’action du dormeur révèle ses intentions conscientes, ou si le dormeur est aux prisesavec un autre soi dont il ne peut pas maîtriser les gestes.
                                         4 Article 121-3 du Code pénal :« il n’y a point de crime ou de délit sans intention de lecommettre .
 
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En outre, le poète associe l’éveil uniquement à la contrainte, en ne faisant référence qu’à desdevoirs envers les autres, à une vision réductrice du droit qui nie les droits qu’a l’Homme envertu des textes normatifs. Les devoirs de l’Homme sont martelés, les droits de l’Homme sontoubliés. Car en effet, pour« plonger dans cette mort figurée qu’est le sommeil , encore faut-il en avoir la possibilité. Si son voisin fait trop de bruit, l’homme doit être en mesure de luiopposer un droit à la tranquillité, un droit au sommeil ? Le sommeil libérateur peutdifficilement être absent du droit, étant donné que la liberté est un droit fondateur de laRépublique Française, inscrit en tête de sa devise.   Ainsi même la liberté la plus solitaire, la plus intime, une fonction naturelle de l’êtrehumain au même titre que manger ou boire subirait des interférences avec le domainejuridique. Le fait de dormir la nuit ou le jour entrerait d’une manière ou d’une autre en contactavec le droit, dans ses versants répressifs et protecteurs. Le dormeur aurait donc des droits etdes devoirs. Le dormeur n’étant pas un malade, il serait absurde de lui donner les droits de l'hommedans le coma, étant donné qu'il se réveille tous les matins et peut revendiquer ses droits parlui-même. Il faut rechercher les droits du dormeur « en tant que dormeur  (PARTIE 1).Le dormeur n’est pas non plus un mort, le droit au respect de la dignité du cadavre est doncinsuffisant à le protéger. Et puisqu’il n’est pas mort, le dormeur peut causer du tort ou devoirquelque chose à autrui comme n’importe quel être humain. Donc l'homme qui dort a desdevoirs, qu’il convient également d’identifier (PARTIE 2). Le dormeur a moins de droits que l’homme dans le coma et des devoirs que l’hommemort n’a pas.     
 
  
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