Michel Simon à l écran - article ; n°1 ; vol.60, pg 109-130
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Michel Simon à l'écran - article ; n°1 ; vol.60, pg 109-130

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Description

Communications - Année 1995 - Volume 60 - Numéro 1 - Pages 109-130
22 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1995
Nombre de lectures 26
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Myriam Tsikounas
Michel Simon à l'écran
In: Communications, 60, 1995. pp. 109-130.
Citer ce document / Cite this document :
Tsikounas Myriam. Michel Simon à l'écran. In: Communications, 60, 1995. pp. 109-130.
doi : 10.3406/comm.1995.1913
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/comm_0588-8018_1995_num_60_1_1913Myriam Tsikounas
Comment faire carrière
avec une « gueule d'empeigne » ?
Michel Simon à l'écran (1924-1949)
Selon ses amis et ses biographes, « Michel Simon souffrait de ce qu'il
croyait être sa laideur et haïssait la beauté des autres1 ». Pour les cri
tiques qui ont commenté ses performances théâtrales et cinématogra
phiques, la star possédait à la fois un époustouflant talent et une « gueule
d'empeigne », « monstrueuse alliance d'Oscar Wilde et de Quasi
modo » 2. A en croire ses partenaires et ses compagnes, qui véhiculent
à son propos les histoires les plus extravagantes, l'artiste était affligé
d'une hideur non seulement physique mais morale.
Mais en quoi consiste véritablement la laideur du comédien et com
ment en joue-t-il ? Par quels moyens spécifiquement filmiques les réa
lisateurs qui l'emploient parviennent-ils à exprimer et à accentuer cette
disgrâce ? Pour tenter de répondre à ces deux interrogations j'ai observé
attentivement l'ensemble des rôles que Michel Simon a tenus à l'écran
entre 1924 et 19493. Je n'ai pas examiné la production ultérieure car,
après La Beauté du diable, la carrière de l'acteur s'infléchit. -Il reste
deux ans sans tourner puis, affirmant ne plus supporter l'image de
« vilain coco » qu'il s'est forgée, accepte uniquement des interpréta
tions situées certes dans le prolongement des précédentes, mais beau
coup plus fades4.
I. LE JEU DU COMEDIEN
Pourquoi trouvons-nous Michel Simon affreux et comment expliquer
que cet homme, malgré son apparence ingrate, se soit maintenu dura
blement en haut de l'affiche ?
109 Myriam Tsikounas
1. Michel Simon se compose une « drôle de théière ».
D'évidence, ainsi que l'affirment ses proches, Michel Simon a la
« gueule de travers5 ». Sa figure, sans régularité, n'a pas les proportions
justes : son front est court et concave ; son menton, ouvert par une fos
sette et « forgé à coups de marteau6», est exceptionnellement long et
proéminent. Ses traits semblent instables et ses chairs flasques sont ravi
nées par des sillons profonds. Vue de profil, sa tête est étonnamment
plate, comme si, d'un coup de poing, le relief du visage, pétri dans de
la pâte à modeler, s'était renversé à l'intérieur d'un crâne creux.
Or, devant les caméras, le comédien, loin de chercher à masquer ses
imperfections, tire au maximum parti de sa trogne. Dans chaque œuvre,
il s'apparente à un « moulin à grimaces7 ». Il étire son immense menton
pour manger le cou, il le contracte afin de se donner une mine renfro
gnée. Il avance sa mâchoire inférieure de façon à laisser pendre sa lèvre.
Il passe continuellement sa langue à l'intérieur de ses joues pour les
gonfler « en deux ballons de chair entre lesquels s'enfouit le losange de
la bouche8». Il exploite aussi l'extraordinaire mobilité de ses yeux : il
les roule dès qu'il veut signifier la bêtise ou l'hypocrisie, il les écarquille
pour s'étonner; il bascule en arrière le globe oculaire lorsqu'il souhaite
manifester la perte de conscience. Dans ses premiers films, l'artiste sou
ligne également ses défauts par un maquillage outrancier. Au lieu de
faire oublier sa bouche tordue, incapable de contenir deux grosses inci
sives inégales, il la farde exagérément. Il applique sa poudre de riz en
couche épaisse pour accuser ses rides et la lividité de sa face, posée sur
un col blanc sale. Souvent enfin dl surdimensionne son visage par un
toupet cranté. A l'inverse, il annule son front en l'entourant d'une bande
Velpeau (Le Dernier Tournant), en se coupant des franges (Adémaï au
Moyen Age, UAtalante, La Beauté du diable) ou en enfonçant son melon
au ras des yeux.
Pour s'« animaliser » encore davantage, Michel Simon n'hésite pas
non plus à hypertrophier son système pileux. Dans une majorité de films
il porte la barbe, irrégulièrement plantée et mal taillée, et se colle des
bacchantes ou des pattes postiches qui grignotent sa peau marbrée de
taches noires. Presque toujours sa toison, foncée et frisée, est en brous-
saille et ses épais sourcils dessinent des triangles. Lorsque, exception
nellement, les cheveux sont calamistrés, ils sont gras et se répandent en
mèches désordonnées sur le front. En outre, les rares fois où il n'est pas
trop velu, l'acteur trouve d'autres artifices pour déplaire : de part et
d'autre d'une raie au milieu il laisse tomber tristement, en V inversé,
deux grosses touffes mal peignées. Il se féminise en se coiffant comme
110 Michel Simon à l'écran
Jeanne d'Arc (Adémaï au Moyen Age) ou comme Colette, qu'il admire
(Feu Mathias Pascal). Il se compose la tête d'un méchant ou d'un affreux
célèbre : il emprunte la moustache en brosse de Hitler (Amants et
Voleurs, Les Disparus de Saint-Agil, Le Choc en retour, Lac aux dames,
Les Nouveaux Riches) et la barbiche d'Ivan IV (Cavalcade d'amour, Quai
des brumes). Il imite la « face effrayante et joyeuse » de Quasimodo, le
« son de sa voix si rauque et pourtant si doux » 9 (UAtalante, Les Amants
du pont Saint- Jean). Il se donne l'apparence de Raspoutine (Un ami
viendra ce soir) et du vilain moujik à barbe noire dont rêve le héros de
La Fille du capitaine (Non coupable, Panique).
2. Le comédien flétrit son corps d'athlète.
S'il a une « drôle de bobine », jusqu'aux années 50 10, Michel Simon
possède en revanche un corps superbe, et c'est uniquement par son jeu
qu'il parvient à faire oublier au public sa stature d'athlète. Lorsqu'il
incarne un clochard ou un aventurier, il se stigmatise. Il taillade sa chair
pour effacer sa flétrissure sur l'épaule (Vautrin). Il balafre son visage et
tatoue son tronc pour en changer les fonctions vitales : pour faire fumer
son nombril devenu bouche et transplanter son cœur — percé d'une
flèche — dans le dos (UAtalante).
Quand il ne se couvre pas de fausses cicatrices et de crasse, l'artiste
se vieillit facticement. Entre 1924 et 1949 il interprète à l'écran vingt-
deux patriarches. Mais pour se donner l'air d'un retraité il ne se contente
pas de se grimer et d'argenter sa tignasse ébouriffée, il multiplie les pro
cédés. Il répète sans cesse, d'une voix chevrotante, qu'il est une « vieille
bête » ou une « brute ». Il raconte continuellement sa jeunesse à ses par
tenaires, qu'il appelle « mon petit » ou « mon enfant ». Il feint aussi le
gâtisme par la gestuelle. Suivant les consignes de Stanislavski, il assi
mile les traits extérieurs, le rythme et la démarche de l'homme âgé. Il
se recroqueville, affaisse ses épaules et casse sa silhouette monument
ale par une fausse bosse à l'intérieur de sa veste. Il ralentit tous ses
réflexes et avance péniblement, les genoux plies pour simuler des
rhumatismes11. Or par cette composition, en devançant volontairement
le temps et ses outrages, en niant le hasard, Michel Simon provoque
YUnheimlich et transmue la laideur banale en horrible fascinant.
Qu'il se prête ou non au rôle d'un vieillard, l'acteur dérange égale
ment parce qu'il accomplit des actions connotant la chute. Simulant
souvent l'ivresse, il tangue, titube et trébuche. Il marche d'un pas mal
assuré et descend toutes les marches de l'escalier du même pied. Ne
tenant pas debout, il cherche constamment à s'accouder — à un comp-
111 Myriam Tsikounas
toir ou au rebord d'un balcon — et à s'adosser — contre un pilier ou une
cloison. Il s'appuie sur une canne et, pris de vertige, rase les murs.
Lorsqu'il est assis sur un tabouret ou sur un lit, son dos ne reste pas en
position verticale et il est obligé de nouer ses longs bras sous ses cuisses
pour ne pas partir à la renverse. Dans chaque film, à un moment donné,
il tourne le visage vers le ciel et tente de s'&

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