Mon village russe il y a quarante ans - article ; n°3 ; vol.7, pg 293-310
19 pages
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Description

Cahiers du monde russe et soviétique - Année 1966 - Volume 7 - Numéro 3 - Pages 293-310
18 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1966
Nombre de lectures 26
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Pierre Pascal
Mon village russe il y a quarante ans
In: Cahiers du monde russe et soviétique. Vol. 7 N°3. Juillet-Septembre 1966. pp. 293-310.
Citer ce document / Cite this document :
Pascal Pierre. Mon village russe il y a quarante ans. In: Cahiers du monde russe et soviétique. Vol. 7 N°3. Juillet-Septembre
1966. pp. 293-310.
doi : 10.3406/cmr.1966.1669
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/cmr_0008-0160_1966_num_7_3_1669VILLAGE RUSSE IL Y A QUARANTE ANS MON
franchissant allait hommes aima. Je Il dédie les avidement russes connut ces les pages de portes et toutes à les la au de respecta. conditions. diplomate rencontre l'ambassade, Il qui, des les
Le village où j'ai passé une partie de l'été en 1926, 1927, 1928 était
situé dans la province de Nijni-Novgorod, district de Semëno v. C'est
l'Outre- Volga (Zavolz'e), région basse et boisée, de faible peuplement,
où fleurit la vieille-foi ; Mel'nikov-Pecerskij l'a décrite en 1875 dans
son vaste roman V lesah (Dans les bois), que Sylvie Luneau a si exce
llemment traduit. J'étais invité par un ancien instituteur, père d'une
étudiante de Moscou mariée à un camarade français.
Mon village (derevnja) s'appelle Blohino. Il fait partie d'une ci
rconscription (rajón) qui, autour du bourg (selo) de Belkino, en compte
trois autres : Nikitkino, Nečaevo, Trutnevo. Blohino éveille l'idée de
« puces » (bloha) et Trutnevo celle de « bourdons » ou au sens figuré de
« fainéants » (truten ) : ces noms leur avaient été donnés par des se
igneurs facétieux ; Belkino parle seulement ď « écureuils ».
De Blohino vers l'ouest, à 40 km on gagne la ville, Nijni-Novgorod,
qui est aussi la plus proche station de chemin de fer. On suit d'abord
des chemins rudimentaires ; on s'engage à Ostankino, le chef-lieu de
canton, sur la route dite carrossable qui vient de Saint-Macaire ; on
a ensuite à passer, sur un pont de bois et sur des fascines (gať ), la rivière
Vatoma et les grands marais de Rožnovo ; plus tard, près de Nijni,
on enfonce dans des sablières ; enfin on arrive au faubourg de Bor, où
il faut prendre le bac pour traverser la Volga.
C'est un trajet que font à pied les jeunes garçons ou les femmes qui
vont au marché vendre le produit de leur cueillette dans la forêt,
baies ou champignons, muguet à l'occasion : ils partent le soir, une
hotte d'écorce de bouleau sur le dos, arrivent de bon matin, et rentrent PIERRE PASCAL 294
tard dans la soirée avec une charge de farine ou des tourtes de pain noir.
On marche la nuit pour ne pas perdre une journée. Bien entendu, il
ne circule pas, même sur la route, de voiture publique. J'ai toujours
fait à pied ces 40 km. Les charretiers aussi, qui transportent des mar
chandises et qui prennent à l'occasion des passagers, partent le soir
et font route au pas, car il suffit d'arriver à la Volga pour le premier
bac : le voyage prend entre 8 et 12 heures. La traversée du fleuve est
longue : j'ai eu le temps, dans la cabine, d'écouter le récit d'une héroïque
chasse à l'ours.
A l'est et au nord, Blohino est le bout du monde. A la sortie du
village commence la forêt qui s'étend jusqu'à Vjatka et au-delà, coupée
seulement par des rivières et leurs affluents. La première, à 25 km à l'est,
est le Kerženec. Il serpente du nord au sud, peu profond, déplaçant
par endroits son lit chaque année, charriant aux hautes eaux des arbres
centenaires, entre deux murailles de noirs conifères. Korolenko a conté
dans Lieux déserts, comment il Га descendu en barque en l'année 1890.
Sur son cours supérieur il a abrité jadis plusieurs ermitages de vieux-
croyants. On dit qu'un officier de Napoléon, ayant adhéré à la vieille-
foi, vécut dans un de ces skity. Aujourd'hui une famille de Blohino,
trois frères, se transporte chaque année sur le Kerženec pour y pêcher.
Toute la région est basse et parsemée de petits lacs et surtout de vastes
marais plus ou moins mangés par la végétation. Elle est jusqu'à la
Saint-Pierre, assure-t-on, mais en réalité bien plus tard, infestée à un
point inimaginable de moustiques.
Blohino est le dernier effort de la colonisation russe mordant sur
la forêt. Il daterait de la fin du xvine siècle. On peut découvrir à
2 ou 3 km à l'ouest les restes — une fosse, un puits, des arbres fruitiers
— d'une agglomération plus ancienne ; il y avait là une trentaine de
feux ; le seigneur d'alors en transféra quelques-uns à Orlovo, plus au
nord, quelques autres à Nikitkino, plus au sud, et 13 entre les deux,
sur le lieu de l'actuel Blohino. Il paraît que les colons étaient un ramass
is de gens sans aveu, déportés ou ayant fui d'eux-mêmes, pour divers
motifs, les atteintes de l'État : des soldats déserteurs entre autres.
Vers 1830, une bande d'une centaine de brigands battait le pays, et
les petits-enfants de son chef, Firs, « ataman du Kerženec », habitent
encore Belkino.
Blohino n'a de relations ordinaires qu'avec Belkino, dont il est
séparé cependant par 2 à 3 km et par un marais qu'il faut contourner.
A Belkino sont l'église, le soviet, l'école autrefois bâtie par le zemstvo,
la pompe à incendie. Pour trouver la poste et le télégraphe, il faut aller
jusqu'à Ostankino ; mais le buraliste fait deux fois par semaine une
tournée qui l'amène à Blohino. Un télégramme parti de Moscou le
7 août à 16 heures a été apporté le samedi 11. Avant 1917, il n'y avait
de tournée qu'une fois par semaine. MON VILLAGE RUSSE 295
Le village est constitué surtout par une rue longue d'environ un
demi-kilomètre (d'autre villages s'allongent sur 2 km et davantage).
D'un côté sont 18 maisons et de l'autre 19, et l'alignement est parfait.
La largeur de la rue est d'environ 16 m. Il existe, derrière, sur un
côté, une rue parallèle, où sont les maisons pauvres, avec quelques
hangars. Au total, 52 feux ou familles (dvor). Les maisons neuves,
celles des jeunes ménages séparés du chef de famille, sont aux extré
mités, surtout à celle qui touche la forêt : elles tirent l'œil par leur
teinte claire. Entre les maisons existe un espace libre, une ruelle
(proulok), destinée surtout à arrêter la propagation des incendies, et
pour la même raison on plante là parfois un ou deux arbres.
A l'entrée du village est un pieu portant dans une sorte de lanterne
des icônes. En trois points de la rue sont les puits, signalés par leur mât.
Ce mât soutient, couché en équilibre instable, un tronc d'arbre débar
rassé de ses branches, à une extrémité duquel le seau est suspendu par
une corde souple ; l'autre bout, qui n'est autre que le bloc compact
des racines encore alourdi souvent de pierres, forme contrepoids.
Ce dispositif, « la grue » (ïurav), permet de remonter le seau plein.
La rue est propre, on n'y voit point de fumier ni de ruisseaux de
purin : elle est seulement boueuse ou poussiéreuse en été, selon le
temps. Elle n'est en réalité que l'élargissement local d'un chemin qui
mène quelque part.
A l'écart, est l'étang (prud). Il a été obtenu il n'y a pas bien long
temps en dérivant l'eau d'un marais dans un creux de terrain inutilisé.
Le village dispose ainsi d'une piscine, d'une pêcherie (car on a peuplé
l'étang), d'un abreuvoir pour le bétail ; d'autre part, le marais en partie
asséché donnera un jour de l'herbe à faucher. Cet ouvrage a été exécuté
par la jeunesse en quelques journées de zèle.
Dans la journée, la rue est calme. A l'aube, sur les 4 heures en été, le
berger en second (podpasok) passe en faisant sonner sa cliquette, les
vaches mugissent, les brebis bêlent, les ménagères, premières levées,
mènent leurs bêtes jusqu'à la sortie du village, où se forme le troupeau.
Après quelque temps s'élèvent les fumées des fours que les femmes
ont chauffés. Un peu plus tard, on voit les longs bras des puits se lever
et s'abaisser : ce sont les filles qui sont allées à l'eau. Là on se rencontre,
on attend son tour, on papote. Puis les hommes iront au travail.
Ensuite, n'étaient les petits enfants, qui trottent pi

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