Nos sociétés biuniques - article ; n°1 ; vol.22, pg 135-150
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Description

Communications - Année 1974 - Volume 22 - Numéro 1 - Pages 135-150
16 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1974
Nombre de lectures 15
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Serge Moscovici
Nos sociétés biuniques
In: Communications, 22, 1974. pp. 135-150.
Citer ce document / Cite this document :
Moscovici Serge. Nos sociétés biuniques. In: Communications, 22, 1974. pp. 135-150.
doi : 10.3406/comm.1974.1344
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/comm_0588-8018_1974_num_22_1_1344Serge Moscovici
Nos sociétés biuniques
Le temps d'une réflexion prolongée sur les articles qui précèdent ne m'étant pas
laissé, je me contenterai d'un survol pour clore leur cycle. Leurs auteurs conscients
de faire un premier pas sur un terrain miné et mouvant se sont plu à multiplier
les provocations et à essayer plusieurs chemins, en espérant que d'autres suivront
leur exemple, une fois l'initiative prise. Il y a des divergences certes. Mais à regar
der de près une perspective commune se dégage à propos de (a) l'hominisation,
(b) la généralité du phénomène social, (c) le passage des sociétés animales aux socié
tés humaines. Mais venons-en aux détails de cette communauté et de ses diver
gences.
I. UNE CERTITUDE : LA NOUVELLE ÉPISTÉMÈ
1. Hominisation par défaut et hominisation par excès :
Qu'est-ce qui nous distingue des autres espèces?
Nous savons qu'il y a eu une nature avant nous, nous connaissons une nature
avec nous et nous sommes certains qu'il y aura une nature après nous. L'expé
rience intime, l'évidence nous en persuadent également : un passé donné avec la
naissance, une vie que nous ne voulons pas lâcher, une mort, enfin, qui est dans
l'ordre des choses. Quel que soit le détachement avec lequel nous considérons
l'expérience et l'évidence en question, quelle que soit la forme que revêt notre
effort pour les comprendre — mythe, religion, science — nous nous sentons tou
jours directement concernés : il s'agit bien de l'origine, de l'individualité, de la
nécessité de chacun d'entre nous, de nos proches, du groupe auquel nous appar
tenons. C'est pourquoi le problème de l'hominisation, du devenir et de la défini
tion de l'humain, suscite tant de passion et de curiosité. Les mots qui le décrivent
peuvent paraître abstraits, les faits lointains. Mais les réponses qu'on lui donne
sont à tel point déterminantes pour nous qu'il mérite qu'on s'y arrête un peu.
Les faits sont clairs. Les espèces animales présentent entre elles des similitudes
et des différences : le genre humain, en particulier, ne se confond avec aucun
autre. L'homme n'est ni un lion ni un tigre ni un chimpanzé, nous sommes tous
d'accord là-dessus, même si personne n'a pris une balance pour pouvoir décider
si ce qui les unit pèse moins lourd que ce qui les sépare. La diversité des grou
pements humains ne fait pas non plus de doute : la confrontation des traits
anatomiques, des caractères sociaux, des milieux naturels nous en convainc.
135 Serge Moscovici
Les buts poursuivis sont également clairs : distinguer entre ce qui est l'homme
et ce qui n'est pas l'homme, d'abord; déterminer et codifier les relations entre
les hommes et les autres créatures, ensuite; au-delà, en généralisant, fournir
une justification de la séparation des groupements humains; bref, nous dire
pourquoi nous sommes et surtout nous devons être différents, où commence le
règne des hommes et où finit celui des bêtes.
La divergence s'insinue à cet endroit. Dans une première perspective, le
problème de l'hominisation est ainsi formulé : que sommes-nous devenus dans
la nature? La méthode qui conduit à la réponse se propose d'elle-même :
comparer les caractères de l'homme au sein des diverses sociétés qui peuplent
la planète, dans l'espoir d'en extraire le dénominateur commun qui représente
l'aspect essentiel de l'homme. Conjointement, s'assurer que cet aspect, présent
chez nous, est absent de l'ensemble des autres espèces, qu'aucune ne le possède
à un degré quelconque. L'aspect ou le trait — langage, volume du cerveau,
marche debout, raison, technique, âme, prohibition de l'inceste... la liste est
longue — constitue un élément distinctif : il établit une différence essentielle
entre l'humain et le non-humain. D'où la suite des définitions connues : l'homme
est un animal raisonnable, langagier, social, cérébral, technique, marié, etc. su
ivant le trait que l'on tient pour distinctif. On en tire généralement une consé
quence importante : c'est qu'entre l'homme et l'animal il y a une différence
d'essence.
Non seulement ils sont extérieurs l'un à l'autre, mais la distance qui les sépare,
originelle, irréductible, est nécessairement infranchissable. Du point de vue
logique, le règne humain et le règne animal sont chacun la négation de l'autre
par rapport à cette différence. Si l'homme est langagier, l'animal est non lan
gagier; si l'homme est rationnel, l'animal est irrationnel; si l'homme est social,
l'animal est non social, etc. Le trait choisi détermine et assure l'unicité de notre
espèce, aucune autre créature ne pouvant prétendre le posséder; et si l'une
d'entre elles le possède, alors il cesse de jouer son rôle de réponse à la question :
« A quoi reconnaît-on l'homme? » et il faut en chercher un autre.
Remarquons aussi qu'en choisissant un trait de cet ordre, on affirme une sorte
de droit de monopole : seul l'homme a le monopole de la raison, de la cérébra-
lité, de la règle, etc. Ce trait n'appartient qu'à lui, de façon exclusive. Diffé
rence d'essence, unicité de situation, d'une faculté biologique :
voilà ce qui suffit à une espèce, voire à un groupe de cette espèce, pour se confé
rer un rang à part. Et en faire un animal à part, en définitive. Son rapport avec
les autres animaux s'établit donc sur la base d'un manque primordial : les espèces
non humaines sont marquées par une absence de langage, de technique, de règle,
etc. Ce sont des animaux « privatifs », des animaux « sans », dépourvus du trait
dont notre espèce détient l'exclusivité. Par ailleurs, la propension à repérer
aux origines, autre part, et même chez nous, des lacunes, des incomplétudes,
est devenue un scheme général de pensée. C'est elle qui transforme tout déve
loppement ultérieur en développement destiné à combler ce manque primordial,
talonné par la crainte qu'il puisse reparaître.
Toutefois, en ce qui concerne l'hominisation, une particularité s'y ajoute.
Si le bilan des déterminations biologiques, naturelles, présente un manque qui
a rendu possible l'apparition de l'homme, alors celui-ci n'est pas inscrit dans le
« plan de la nature », dans l'ordre du monde immédiatement naturel, au même
titre que le reste des créatures vivantes : il lui échappe. La différence constitue
ainsi un lieu de manque, et le manque en lui-même dessine une différence qui
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représente une supériorité de l'homme sur l'animal, et, a fortiori, sur le végétal
et le minéral. Et, sur ce modèle, une supériorité d'un homme sur l'autre (manque
de propriété, manque de religion), d'une société sur l'autre (manque de techni
que, manque de classes sociales), de l'homme sur la femme de pénis), etc.
Dans chaque relation, à chaque occasion, dans chaque évolution, ce qui fait
la- différence fait aussi la supériorité; le reste est secondaire. Une fois le trait
différentiel fixé, on reconstruit le devenir à partir des espèces voisines, les anthro
poïdes surtout; on démontre à quel point elles sont dépourvues de ce trait et
combien elles ressembleraient à l'espèce humaine si elles en avaient la jouissance.
Pour reprendre une expression populaire : il ne leur manque que la parole — ou
la raison, ou l'âme, et ainsi de suite.
Afin de serrer la question de plus près, notamment par l'étude des vestiges
préhistoriques, on décrit les premières ébauches de la faculté envisagée, en
couronnant le tout par la forme achevée de Yhomo sapiens. A cet endroit, le
parcours animal est supposé terminé; la nature et l'évolution s'arrêtent, elles

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