Philosophie et théologie chez les djadids - article ; n°1 ; vol.37, pg 53-63
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Cahiers du monde russe : Russie, Empire russe, Union soviétique, États indépendants - Année 1996 - Volume 37 - Numéro 1 - Pages 53-63
Thierry Zarcone, Philosophy and theology according to the Jadids: the speculation on independent reasoning (ijtihàd).
The return to direct interpretation of the fundamental texts of Islam, and the break-away from the commentators' traditional imitation as initiated in the tenth century were chief arguments in the general purpose of last century's great Bukharan reformers and, then, the Tatar ones, who were confronted with both pace-gaining colonialism and the want of renewal among Muslim societies. Prior to Jamâl ad-Din al-Afghani and his student Muhammad Abduh, the Tatar ulema of Kazan, Abd an-Naşîr al-Qûrsâwî, was the one who reopened the doors to ijtihâd (effort of personal inteiprctation) under the inspiration of Taymiyah and the Wahhabists. His disciples in the Tatar world and at Bukhara pursued in the same line and set up the practice of ijtihâd as one of the basic tenets of Muslim reformism. It was then in the Ottoman area that the Reform, under the guidance of al-Afghani, his Egyptian student Muhammad Abduh, and the latter 's own disciple, Rashid Rizâ, had its main flourishing center wherefrom it could permeate the Tatar area, namely through the medium of Mûsâ Jârallah Bîgî, a student of cAbduh's in Cairo, and 'Abdallah Bûbî, the disciple and translator of Rashid Rizâ. Nevertheless, in spite of the priority all of those reformists attached to the practice of ijtihâd, al-Afghânî and cAbduh differed from their predecessors in their straight break-away from taqlid (imitation of the commentators) and their concern with the question of the accordance of the commands of the Qur'ân with the requirements of reason. It is worth comparing, at a century's distance, the respective arguments of Qûrsâwî (see M. Kemper's article) and Bîgî, who, as soon as 1911, was held to be a Muslim Luther about such a meaningful issue — for Muslims living in European Russia and Siberia — as the evening prayer in boreal regions.
Thierry Zarcone, Philosophie et théologie chez les djadids : la question du raisonnement indépendant (igtihâd).
Le retour à l'interprétation directe des textes premiers de l'islam et l'abandon de la tradition d'imitation des commentateurs instituée au Xe siècle figuraient au centre du projet des grands réformateurs boukhares puis tatars du siècle dernier, confrontés aux avancées du colonialisme européen et à l'urgence d'un renouveau des sociétés musulmanes. Avant Camâl ad- Dîn al-Afqânî et son élève Muhammad Abduh, c'est l'ouléma tatar de Kazan Abd an-Naşîr al-Qûrsâwî qui « rouvrit les portes de Vigtihâd » (effort d'interprétation personnelle), inspiré par la pensée d'Ibn Taymiyya et par le wahhabisme. Ses disciples, dans le monde tatar et à Boukhara, développèrent sa réflexion et firent de la pratique de Vigtihâd l 'une des règles fondamentales du réformisme musulman. C'est dans le monde ottoman que se déplaça ensuite le principal foyer de la réforme, développée par al-Afqânî, son disciple égyptien Muhammad cAbduh et l'élève de ce dernier Râad Rizâ, et diffusée en Tatarie notamment par l'intermédiaire de Mûsà Gârallâh Bîgî, qui fut au Caire l'élève de cAbduh, et cAbdaIlâh Bûbî, disciple et traducteur de Râsîd Rizâ. Toutefois, si l'on observe une grande continuité entre tous ces auteurs sur le primat du retour à Vigtihâd, al-Afqânî et Abduh se distinguèrent de leur prédécesseur tatar Qûrsâwî par une rupture complète avec le taqlid (imitation des commentateurs) et un plus grand souci de faire cadrer les commandements du Coran avec les exigences de la raison. Il est à ce sujet intéressant de comparer, à près d'un siècle de distance, les considérations respectives de Qûrsâwî (article de M. Kemper) et de Bîgî, présenté comme un Luther musulman dès 1911, sur un problème aussi significatif, pour les musulmans de Russie d'Europe et de Sibérie, que la prière du soir dans les régions boréales.
11 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1996
Nombre de lectures 40
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Thierry Zarcone
Philosophie et théologie chez les djadids
In: Cahiers du monde russe : Russie, Empire russe, Union soviétique, États indépendants. Vol. 37 N°1-2. pp. 53-63.
Citer ce document / Cite this document :
Zarcone Thierry. Philosophie et théologie chez les djadids. In: Cahiers du monde russe : Russie, Empire russe, Union
soviétique, États indépendants. Vol. 37 N°1-2. pp. 53-63.
doi : 10.3406/cmr.1996.2451
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/cmr_1252-6576_1996_num_37_1_2451Abstract
Thierry Zarcone, Philosophy and theology according to the Jadids: the speculation on independent
reasoning (ijtihàd).
The return to direct interpretation of the fundamental texts of Islam, and the break-away from the
commentators' traditional imitation as initiated in the tenth century were chief arguments in the general
purpose of last century's great Bukharan reformers and, then, the Tatar ones, who were confronted with
both pace-gaining colonialism and the want of renewal among Muslim societies. Prior to Jamâl ad-Din
al-Afghani and his student Muhammad Abduh, the Tatar ulema of Kazan, Abd an-Naşîr al-Qûrsâwî, was
the one who "reopened the doors to ijtihâd" (effort of personal inteiprctation) under the inspiration of
Taymiyah and the Wahhabists. His disciples in the Tatar world and at Bukhara pursued in the same line
and set up the practice of ijtihâd as one of the basic tenets of Muslim reformism. It was then in the
Ottoman area that the Reform, under the guidance of al-Afghani, his Egyptian student Muhammad
Abduh, and the latter 's own disciple, Rashid Rizâ, had its main flourishing center wherefrom it could
permeate the Tatar area, namely through the medium of Mûsâ Jârallah Bîgî, a student of cAbduh's in
Cairo, and 'Abdallah Bûbî, the disciple and translator of Rashid Rizâ. Nevertheless, in spite of the
priority all of those reformists attached to the practice of ijtihâd, al-Afghânî and cAbduh differed from
their predecessors in their straight break-away from taqlid (imitation of the commentators) and their
concern with the question of the accordance of the commands of the Qur'ân with the requirements of
reason. It is worth comparing, at a century's distance, the respective arguments of Qûrsâwî (see M.
Kemper's article) and Bîgî, who, as soon as 1911, was held to be a Muslim Luther about such a
meaningful issue — for Muslims living in European Russia and Siberia — as the evening prayer in
boreal regions.
Résumé
Thierry Zarcone, Philosophie et théologie chez les djadids : la question du raisonnement indépendant
(igtihâd).
Le retour à l'interprétation directe des textes premiers de l'islam et l'abandon de la tradition d'imitation
des commentateurs instituée au Xe siècle figuraient au centre du projet des grands réformateurs
boukhares puis tatars du siècle dernier, confrontés aux avancées du colonialisme européen et à
l'urgence d'un renouveau des sociétés musulmanes. Avant Camâl ad- Dîn al-Afqânî et son élève
Muhammad Abduh, c'est l'ouléma tatar de Kazan Abd an-Naşîr al-Qûrsâwî qui « rouvrit les portes de
Vigtihâd » (effort d'interprétation personnelle), inspiré par la pensée d'Ibn Taymiyya et par le
wahhabisme. Ses disciples, dans le monde tatar et à Boukhara, développèrent sa réflexion et firent de
la pratique de Vigtihâd l 'une des règles fondamentales du réformisme musulman. C'est dans le monde
ottoman que se déplaça ensuite le principal foyer de la réforme, développée par al-Afqânî, son disciple
égyptien Muhammad cAbduh et l'élève de ce dernier Râad Rizâ, et diffusée en Tatarie notamment par
l'intermédiaire de Mûsà Gârallâh Bîgî, qui fut au Caire l'élève de cAbduh, et cAbdaIlâh Bûbî, disciple et
traducteur de Râsîd Rizâ. Toutefois, si l'on observe une grande continuité entre tous ces auteurs sur le
primat du retour à Vigtihâd, al-Afqânî et Abduh se distinguèrent de leur prédécesseur tatar Qûrsâwî par
une rupture complète avec le taqlid (imitation des commentateurs) et un plus grand souci de faire
cadrer les commandements du Coran avec les exigences de la raison. Il est à ce sujet intéressant de
comparer, à près d'un siècle de distance, les considérations respectives de Qûrsâwî (article de M.
Kemper) et de Bîgî, présenté comme un Luther musulman dès 1911, sur un problème aussi significatif,
pour les musulmans de Russie d'Europe et de Sibérie, que la prière du soir dans les régions boréales.THIERRY ZARCONE
PHILOSOPHIE ET THÉOLOGIE CHEZ LES DJADIDS
La question du raisonnement indépendant (igtihâd)
« On trouve la comparaison suivante dans le
Coran : — Ceux qui sont infidèles sont à l'image [du
bétail contre] lequel on hurle et qui entend seulement
cri et invective [confus] : sourds, muets, aveugles, ils
ne raisonnent point1 — C'est-à-dire que ces muqallid
sont comme des moutons avec leur berger. Si le berger
lance un cri ou un appel, les moutons s'en vont, et s'il un autre cri, les moutons arrivent. De la même
manière que ceux-là [les moutons] ne comprennent
rien à ces cris tout comme aux raisons de leur malheur
ou de leur infortune, les hommes qui se soumettent à
une foi sans arguments et à un droit malheureux ne
savent rien de leur bonheur et de leur infortune. Ce
verset nous montre très clairement que le taqlîd prati
qué sans raison est une œuvre impie. »
'Abdallah BûbP
Mon intention est de présenter, dans une langue qui, je l'espère, sera la plus
claire possible, Tune des principales innovations en matière de théologie et de phi
losophie développée par le réformisme musulman de Russie, en particulier par les
penseurs tatars. Il s'agit du recours à un « procédé de raisonnement et d'argumentat
ion indépendant » dans l'interprétation du Coran et de la sunna des prophètes pour
le règlement des affaires religieuses et juridiques de la communauté. Cette innovata été fermement critiquée, on n'en doute pas, par les juristes et les théologiens
traditionalistes dans la mesure où c'était faire un retour à une pratique ancienne du
droit islamique, condamnée depuis le Xe siècle. Ce que j'ai qualifié ici d'innovation
devrait donc être en fait interprété a contrario comme la réactualisation d'une
ancienne méthode intellectuelle.
Pour comprendre ce qui distingue l'usage de cette méthode d'argumenter dans
les temps anciens de ce qui en a été fait au xixc siècle, un bref rappel historique
s'impose. Le Coran, outre sa valeur religieuse, est surtout un texte juridique et,
comme tel, il fut et est toujours resté le texte de référence par excellence pour l 'admi-
Cahiers du Monde russe, XXXVII (1-2). janvier-juin 1996. pp. 53-64. 54 THIERRY ZARCONE
nistration de la communauté des croyants. Tout au long de la période de constitution
du droit islamique, c'est-à-dire du vue au Xe siècle, il était laissé, non pas aux seuls
docteurs, mais aussi à tout individu capable, la liberté de trouver une réponse à ses
problèmes juridiques dans les textes saints et donc d'exercer son jugement person
nel. Certes, sur les questions graves, les jugements des spécialistes l'emportaient sur
ceux du commun. C'est donc sur la base de l'opinion personnelle {igtihâd ar-ra'y)
de ces spécialistes qui furent aussi les premiers juristes musulmans, que les pre
mières règles du droit musulman furent élaborées. Néanmoins, le champ des déci
sions individuelles et l'exercice indépendant de la raison se rétrécissaient constam
ment au fur et à mesure qu'un consensus général se formait et que les grandes écoles
juridiques se constituaient. Si bien que les savants de toutes les écoles juridiques est
imèrent, au Xe siècle, que toutes les questions essentielles ayant été, une fois рощ-
toutes, discutées et réglées, nul ne pourrait plus, à l'avenir, être qualifié pour faire
usage de son jugement personnel sur toute espèce de problème auquel pourrait être
confrontée la communauté. La pratique de Y igtihâd était officiellement prohibée ou,
comme on le dit habituellement, cette période signait « la fermeture de la porte de
Yigtihâd », ce qui signifiait donc la fin de l'effort inventif, de la réflexion person
nell

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