De la superstition et de ses remèdes
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De la superstition et de ses remèdesEmmanuel Kanttraduction J. Tissot — Index des pagesIV[1]DE LA SUPERSTITIONET DE SES REMÈDES1790―――――[2]Vous me demandez d’où peut venir le penchant à une superstition aujourd’hui croissante, et quel remède on pourrait apporter à cemal ? Cette question n’est pas moins difficile à résoudre pour les médecins des âmes que le catarrhe (influenza), qui fit, il y aquelques années, très rapidement son tour du monde, et qu’on appelait à Vienne le catarrhe russe. Il attaqua sans remise un grandnombre de personnes, et cessa de lui-même subitement. Ce fut heureux pour nos médecins du corps, qui ressemblent fort auxpremiers en ce point, qu’ils décrivent mieux les maladies qu’ils n’en voient l’origine ou ne peuvent y apporter remède. Heureux lesmalades si ceux qui les traitent ne prescrivent que la diète et de l’eau froide, laissant le reste à faire à la bonne nature.Je crois que la manie de la lecture généralement répandue n’est pas simplement le véhicule de cette maladie, mais qu’elle enproduit aussi la matière pestilentielle (miasma). La situation la plus aisée, en même temps la plus avantageuse, est celle où, sansprétendre à la supériorité, l’on veut au moins être égal en lumière à ceux qui sont dans la nécessité de diriger leurs efforts sur la voieépineuse de l’étude fondamentale, et où l’on se contente d’enlever pour ainsi dire la crème des sciences dans des tables dematières et d’en faire des extraits sommaires, mais en ...

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Extrait

De la superstition et de ses remèdes
Emmanuel Kant
traduction J. Tissot — Index des pages
IV
[1] DE LA SUPERSTITION ET DE SES REMÈDES
1790
―――――
[2] Vous me demandezd’où peut venir le penchant à une superstition aujourd’hui croissante, et quel remède on pourrait apporter à ce mal ? Cette question n’est pas moins difficile à résoudre pour les médecins des âmes que le catarrhe (influenza), qui fit, il y a quelques années, très rapidement son tour du monde, et qu’on appelait à Vienne le catarrhe russe. Il attaqua sans remise un grand nombre de personnes, et cessa de lui-même subitement. Ce fut heureux pour nos médecins du corps, qui ressemblent fort aux premiers en ce point, qu’ils décrivent mieux les maladies qu’ils n’en voient l’origine ou ne peuvent y apporter remède. Heureux les malades si ceux qui les traitent ne prescrivent que la diète et de l’eau froide, laissant le reste à faire à la bonne nature.
Je crois que lamanie de la lecturerépandue n’est pas simplement le véhicule de cette maladie, mais qu’elle en généralement produit aussi la matière pestilentielle (miasma). La situation la plus aisée, en même temps la plus avantageuse, est celle où, sans prétendre à la supériorité, l’on veut au moins être égal en lumière à ceux qui sont dans la nécessité de diriger leurs efforts sur la voie épineuse de l’étude fondamentale, et où l’on se contente d’enlever pour ainsi dire la crème des sciences dans des tables de matières et d’en faire des extraits sommaires, mais en voulant rendre imperceptible l’inégalité entre une ignorance féconde en paroles et une science fondamentale, inégalité qui ne tarde pas à frapper les regards. C’est ce qui arrive surtout quand on donne des choses inintelligibles, dont on ne peut concevoir qu’une vague possibilité, comme des faits, et qu’on demande ensuite au naturaliste philosophe d’expliquer comment il entend l’accomplissement de tel ou tel songe, de tel pressentiment, de cette prévision astronomique ou de la conversion du plomb en or, etc. Car alors, si le fait est imaginé (ce qu’on ne permet pas d’examiner), l’un n’est pas moins ignorant que l’autre. Il était difficile d’apprendre et de savoir tout ce que sait le naturaliste ; on cherche donc à faire disparaître l’inégalité d’une manière plus facile, en plaçant les choses sur la voie où, de part et d’autre, on ne sait et on ne voit égalementrien, dont par conséquent il est libre de juger de toute manière, sans que l’adversaire puisse faire mieux. — Tel est le point de départ de la maladie, qui gagne ensuite la généralité du public.
Je ne vois d’autre remède a ce mal que de ramener l’enseignement indéfiniment variédes écoles à l’enseignement fondamental d’un plus petit nombre de choses, et sinon d’extirper la passion de la lecture, de le diriger plutôt vers un but, afin que le lecteur bien élevé ne se plaise qu’à ce qui lui procure une connaissance positive et nette, et qu’il ait de l’éloignement pour tout le reste. — Un médecin allemand (M.Grimm) s’attache, dans sesRemarques d’un voyageur, etc., à lapolymathiefrançaise, comme il la nomme ; mais elle est loin d’être aussi dépourvue de goût qu’elle l’est chez un allemand qui en fait communément un lourd système dont il ne peut ensuite se dégager facilement, tandis qu’uneMesmeriadeen France est tout de suite une affaire de mode, et disparait bientôt après complètement.
Le talent ordinaire de donner à son ignorance un aspect scientifique consiste en ce que le superstitieux dise : Comprenez-vous la véritable cause de la force magnétique, ou connaissez-vous la matière qui, dans les phénomènes électriques, produit de si étonnants effets ? — Alors il croit, avec juste raison, pouvoir parler aussi pertinemment, en ce qui regarde les effets très possibles d’une chose qu’à son sens le plus grand naturaliste ne connaît pas mieux que lui, quant à la propriété interne. Mais le naturaliste ne s’occupe que des effets qu’il peut toujours mettre sous les yeux au moyen de l’expérimentation, puisqu’il tient l’objet entièrement sous sa puissance, tandis que le superstitieux recueille des effets qui peuvent n’avoir d’autre origine que l’imagination, soit de la personne qui observe, soit de celle qui est observée, et qui dès lors ne sont susceptibles d’aucune expérimentation véritable.
Il n’y a donc rien de plus à faire contre ce désordre que de laisser magnétiser et désorganiser le magnétiseur animal, tant qu’il lui plaît, et que la crédulité d’autrui le trouve bon, mais en recommandant à la police qu’on n’approche pas en cela de trop près la moralité, et de suivre, quant au reste, la seule pratique du physicien, celle de l’expérimentation et de l’observation, qui font connaître les propriétés de l’objet des sens extérieurs. Une longue réfutation en pareille matière répugne à la dignité de la raison et n’aboutit à
rien ; un silence dédaigneux est ce qu’il y a de plus mérité par cette espèce d’égarement, d’autant plus que de pareils phénomènes moraux n’ont qu’une courte durée, et font bientôt place à d’autres folies.
Notes 1. ↑Le motsuperstition, dans notre langue, ne traduit pas exactement leSchwœrmereiallemand, dont la signification est plus large ; ce mot signifie tout à la fois l’enthousiasme, lasuperstition, lefanatisme, lacrédulité, en un mot toute espèce de faiblesse d’esprit qui permet l’égarement dans le domaine du merveilleux. — T. 2. ↑Réponse à Borowski, lorsqu’il écrivait sonCagliostroet le dépeignait comme un des plus curieux aventuriers de notre siècle, et qu’il ajoutait en même temps des observations générales sur le trouble superstitieux de cette époque. Kant donna son jugement sur le fait pendant la composition de cet ouvrage, et il a été imprimé dans ses deux éditions. — Sch.
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