Le genre vernaculaire ou la nostalgie de la tradition. À propos d Ivan Illich - article ; n°81 ; vol.89, pg 63-83
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Revue Philosophique de Louvain - Année 1991 - Volume 89 - Numéro 81 - Pages 63-83
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Publié le 01 janvier 1991
Nombre de lectures 64
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Sylvie Kwaschin
Le genre vernaculaire ou la nostalgie de la tradition. À propos
d'Ivan Illich
In: Revue Philosophique de Louvain. Quatrième série, Tome 89, N°81, 1991. pp. 63-83.
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Kwaschin Sylvie. Le genre vernaculaire ou la nostalgie de la tradition. À propos d'Ivan Illich. In: Revue Philosophique de
Louvain. Quatrième série, Tome 89, N°81, 1991. pp. 63-83.
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/phlou_0035-3841_1991_num_89_81_6671genre vernaculaire ou la nostalgie de la tradition Le
A propos d'Ivan Mich
La différence sexuelle, un implicite fondateur
La première réflexion à laquelle je fus conviée à propos du Genre
vernaculaire d'Ivan Illich concernait les liens entre sa critique du modèle
industriel de développement des sociétés modernes et son évaluation des
revendications et réflexions du «mouvement féministe»1. Le thème du
féminisme suscita et suscite encore une grande ambiguïté. Il n'est pas
outrancier d'affirmer que la différence homme/femme n'est pas pré
sentée comme une question de la philosophie et que l'on ne demande
pas au philosophe de spécifier son genre ou son sexe au moment de la
signature. Si la différence ontologique dessine de communs territoires
de pensée, de la sexuelle on parle peu en philosophie, sauf en
anthropologie, culturelle de préférence.
Je ne m'essaierai pas à construire cette question. D'autres, sans me
dédouaner de mon silence, s'y appliquent. La question de la différence
sexuelle ne peut s'aborder de front. Cette impossibilité tient à son
opacité même et à une relative inadéquation de la philosophie. Elle est
d'autant plus intraitable en quelques lignes : elle renvoie obligatoirement
à des affirmations idéologiques ou naturalisantes ou est renvoyée à une
prise de position subjective dépourvue de fondement2. Prendre acte de
la radicalité de cet impensé déplace le rapport qu'il est possible d'instau-
1 L'expression est imprécise et mériterait que l'on s'y attarde. Le «mouvement»
féministe se définit-il «de soi» par la position relative des individus au sein de la société et
des rapports de production, comme on a pu le dire du prolétariat? Se définit-il lui-même
en quelque plate-forme ou texte fondateur? Que signifie d'utiliser cette expression en 1960,
70, 80, 90? Ce n'est pas le lieu d'en discuter ici mais justifie le maintien des guillemets.
L'expression utilisée par Illich est maintenue uniquement dans un but d'économie. Mais il
n'est pas incident ou insignifiant qu'elle puisse fonctionner dans un pseudo «sens
commun» sans même être interrogée ... Pour une discussion quant au féminisme, voir
Kwaschin (1988).
2 Sur cette difficulté de thématiser la différence sexuelle et le rapport femme,
philosophie, féminisme, voir par exemple Michèle Le Doeuff, 1989. 64 Sylvie Kw as chin
rer au texte d'Illich. La lecture est contrainte par une zone d'ombre qui
apparaît à certains moments comme un gouffre qui aspire tout le texte
et laisse . . . sans rien à propos de quoi exercer la tâche du commentaire.
En effet, la réflexion d'Illich est tout entière bâtie sur une mise en
évidence de la perversité du concept et de la réalité de l'individu. En
situation de concurrence due à la structuration de la réalité en termes
de rareté, cet individu ne peut qu'être envieux. Or, rareté et individu,
tout comme marché et concurrence, ne peuvent s'établir que sur la
place laissée vide par le genre: la complémentarité traditionnelle du
masculin et du féminin est remplacée par la neutralité sexuée de
l'humain. C'est donc le mode de socialisation de la différence sexuelle
(genre ou sexe) qui conditionne l'analyse. Dès lors, à ne pas vouloir
porter le débat vers la signification de cette différence, on s'expose à ne
plus débattre du tout.
Quelles possibilités pourrait malgré cela nous donner ce point de
départ choisi par Illich? La différence «mâle-femelle»3 et la question de
son mode de socialisation est par lui renvoyée à un autre moment de
l'histoire des sociétés occidentales, où elle n'est pas plus évidente
qu'aujourd'hui. Elle est tout autant institutionalisée, socialement cons
truite. A la limite peut-elle nous être à la fois moins accessible,
exigeant le travail d'interprétation que demande toujours le passé pour
faire tradition, mais aussi plus accessible, nous accordant le bénéfice de
la distance par rapport au non-dit de la différence vécue silencieusement
au quotidien.
Mais si l'on profite de cette distance pour se placer en observateur
extérieur, en anthropologue de ces mœurs étrangères, on n'analyse pas
le rapport homme-femme «en soi». On décrit et on interprète un
rapport politique, historiquement et géographiquement situé. On fait
œuvre d'anthropologie, de philosophie sociale, politique ou de socio
logie. On ne se réfère pas à la possibilité même de penser ce qu'il en est
de cette différence-là en dehors des structures sociales où elle se met en
œuvre4. Dès lors, on est, sauf à prétendre à la stricte description,
confronté à la question de l'évaluation de ce qui est souhaitable, sans
pouvoir fonder ou référer les jugements et les choix à une définition
naturelle ou ontologique des catégories du masculin et du féminin.
3 Le vocabulaire scientifique n'objective rien ici et ne fait qu'acter une impuissance
à dire. Il permet néanmoins, cette impuissance inscrite, de poursuivre le discours.
4 Travail dont on trouvera un exemple dans Derrida 1987, pp. 395 et ss. Le genre vernaculaire ou la nostalgie de la tradition 65
Autrement dit, ce que l'on peut rencontrer, c'est une confrontation
d'arguments relatifs à ce qui est socialement ou politiquement souhait
able, sans jamais pouvoir y faire intervenir légitimement une définition
des catégories utilisées qui ne soit pas elle-même résultat d'une confront
ation d'arguments précédente. La référence à un autre monde d'institu-
tionalisation de la différence homme-femme que celui à l'intérieur
duquel nous pensons peut alors avoir vertu de déplacement, de mise en
perspective de nos concepts courants et valeur heuristique. Telle est
bien la tâche qu'Illich dit s'assigner, «expliciter nos certitudes et en faire
la sociogenèse [en évitant] à tout prix que l'ombre de l'avenir ne vienne
peser sur la compréhension du passé et du présent» (Van Parijs, 1988,
P- 12).
Si l'on voulait dépasser cette inscription historique des concepts,
on ne pourrait se limiter à déplacer la question vers un horizon de
pensée traditionnel, aussi contingent que le présent. Il faudrait faire un
travail de mise en question différent. Il s'agit là d'un travail de longue
haleine: la philosophie contemporaine sait à quel point les essais de
sortie de l'historicité des concepts hérités sont aussi de perpétuelles
retombées dans le champ de la tradition et comment certaines sorties
radicales présentent le grand danger d'être irréfléchies.
Or, je pense que le texte d'Illich hésite entre philosophie politique
et ontologie, entre évaluation (qui ne peut éviter le jugement en terme
de «souhaitable» et non de «vérité») d'un mode d'organisation social
de la production et des rapports entre les gens et définition «en vérité»
des catégories du masculin et du féminin. Quelle position adopter par
rapport à ce pôle ontologique lorsqu'on n'y adhère pas et que l'on ne
veut pas déplacer la discussion vers cet implicite du texte?
Le Genre vernaculaire retrace le passage des économies de subsis
tance à une économie de marché ou comme passage d'un monde
«genre» à un monde «hors-genre», sexiste5. Une condition détermi
nante de ce passage est l'extension de la rareté comme mode de
perception de la réalité et régulatrice des rapports humains. De manière
générale, cela signifie le passage à un monde d'individus qui ne sont
plus stabilisés dans leur statut par un cadre de traditions et sont soumis
à une idéologie qui

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