Le mythe de Faust et le concept kierkegaardien de démoniaque - article ; n°33 ; vol.77, pg 24-50
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Revue Philosophique de Louvain - Année 1979 - Volume 77 - Numéro 33 - Pages 24-50
The figure of Faust has been for Kierkegaard an essential matter of his thought, both in the Posthumous Papers (Papirer) and in several pseudonymous works. Faust is a very complex individual; the esthetic life and the religious existence are connected in his person. He is the most typical expression of the demoniacal. Consequently, the reflexion concerning the myth of Faust is the means to understand the kierkegaardian thought about freedom and evil and, indirectly, to determine the specific characters of the faith.
La figure de Faust a constitué pour Kierkegaard un thème essentiel de sa pensée, aussi bien dans ses Papiers Posthumes (Papirer) que dans plusieurs ouvrages pseudonymes. Faust est un personnage très complexe en qui s'articulent la vie esthétique et l'existence religieuse. Il est l'expression la plus typique du démoniaque. De ce fait, son antagoniste exact, c'est Abraham. La réflexion sur le mythe de Faust est ainsi le moyen de comprendre la pensée kierkegaardienne à propos de la liberté et du mal et de déterminer, indirectement, la spécificité de la foi.
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Publié le 01 janvier 1979
Nombre de lectures 144
Langue Français
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Extrait

André Clair
Le mythe de Faust et le concept kierkegaardien de démoniaque
In: Revue Philosophique de Louvain. Quatrième série, Tome 77, N°33, 1979. pp. 24-50.
Abstract
The figure of Faust has been for Kierkegaard an essential matter of his thought, both in the Posthumous Papers (Papirer) and in
several pseudonymous works. Faust is a very complex individual; the esthetic life and the religious existence are connected in his
person. He is the most typical expression of the demoniacal. Consequently, the reflexion concerning the myth of Faust is the
means to understand the kierkegaardian thought about freedom and evil and, indirectly, to determine the specific characters of
the faith.
Résumé
La figure de Faust a constitué pour Kierkegaard un thème essentiel de sa pensée, aussi bien dans ses Papiers Posthumes
(Papirer) que dans plusieurs ouvrages pseudonymes. Faust est un personnage très complexe en qui s'articulent la vie esthétique
et l'existence religieuse. Il est l'expression la plus typique du démoniaque. De ce fait, son antagoniste exact, c'est Abraham. La
réflexion sur le mythe de Faust est ainsi le moyen de comprendre la pensée kierkegaardienne à propos de la liberté et du mal et
de déterminer, indirectement, la spécificité de la foi.
Citer ce document / Cite this document :
Clair André. Le mythe de Faust et le concept kierkegaardien de démoniaque. In: Revue Philosophique de Louvain. Quatrième
série, Tome 77, N°33, 1979. pp. 24-50.
doi : 10.3406/phlou.1979.6031
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/phlou_0035-3841_1979_num_77_33_6031Le mythe de Faust
et le concept kierkegaardien de démoniaque
Dans ses écrits pseudonymes, Kierkegaard s'est rapporté à deux
reprises au mythe de Faust, d'abord dans la première partie de Ou
Bien- Ou Bien, puis dans la troisième de Crainte et Tremblement. Ce
sont ses premiers ouvrages (avec La Répétition). Le thème de Faust
est ainsi un lieu d'entrée dans l'œuvre : non pas le seul, ni même le
plus décisif (pour s'en tenir à un point de vue proche, Don Juan a
une signification prioritaire), mais capital pourtant du fait qu'en lui
se nouent des questions que le thème de Don Juan ne pouvait
comporter qu'à l'état implicite, en tant qu'il signifie la vie la plus
immédiate. Or Faust est une figure beaucoup plus complexe; référé
à la sphère esthétique, de même que Don Juan, il est non seulement
une expression moins pure de l'esthétique, mais aussi plus indirecte,
plus tendue, plus torturée. Il représente une forme de démoniaque
dans le christianisme. Et lorsque Kierkegaard traitera pour lui-même
le thème du démoniaque, plus spécialement dans Le Concept d'Angoisse
et La Maladie à la Mort, sans d'ailleurs se référer longuement à Faust,
il laissera assez comprendre que Faust n'est pas une figure parmi
d'autres du démoniaque, mais bien la figure la plus haute et la plus
sublime.
Étonnant et bien curieux personnage que ce Faust, et par là même
déjà kierkegaardien. Plus que d'autres figures (et même peut-être que
toutes les autres de l'œuvre), il est conjointement sympathique et
antipathique. Avec les expressions paradigmatiques de Don Juan, de
Socrate et du Christ, nous avons les types purs d'une sphère d'existence.
En cela, Socrate et même Don Juan comportent une forme de pureté
indépassable en son ordre ; ils sont des sommets et des figures achevées.
En revanche, Faust est rebelle à l'unité, résistant à la simplicité. Sa
nature est d'être complexe. Déjà l'opposition répétitive de Kierkegaard
au démoniaque s'accompagne d'un attrait constant et même avoué.
« Je te faisais part l'autre jour d'une idée pour un Faust, et maintenant mythe de Faust chez Kierkegaard 25 Le
seulement je sens que c'était moi-même que je décrivais»1. Ce double
rapport ou cette attitude de répulsion fascinante conviennent parfait
ement à la nature du démoniaque. Certes, Faust est un repoussoir du
christianisme ; mais précisément, ce repoussoir, loin d'être extirpé, n'est
posé qu'en rapport avec ce qui le refoule.
I
Kierkegaard et son rapport à la figure légendaire de Faust
Bien avant ses premiers ouvrages, Kierkegaard avait porté grand
intérêt à Faust. Son Journal des années 1835-37 en est témoin.
Plusieurs réflexions s'y rapportent. Mais d'abord on trouve un abon
dant dossier d'extraits d'ouvrages, des catalogues d'œuvres, des notes
de lecture et des indications préparatoires. La documentation est plus
vaste que pour Don Juan; dans le groupe C du livre I des Papirer,
elle occupe une grande partie de la rubrique intitulée «Aesthetica»2.
C'est considérable. Si l'on ne relève pas de référence à La Tragique
Histoire du Docteur Faust de Marlowe, on remarque l'attention portée
au premier ouvrage consacré à cette légende : le Volksbuch de Spies
(1587) 3. Les nombreuses versions de la aux xviii6 et xixe siècles
sont notées. En particulier, Kierkegaard s'est intéressé aux œuvres de
Lessing (1785), Klinger (1791), Schreiber (1792), Grabbe (1829),
Harring (1831), Lenau (1836) et, bien entendu, Goethe. En se consti
tuant et se développant, la figure de Faust s'est modifiée, de sorte
qu'il n'y a pas une figure unique; et c'est là un point essentiel. Alors
que Don Juan s'identifiait à la musique de Mozart qui, à elle seule,
exprimait le mythe entier, Faust déborde de beaucoup la tragédie de
Goethe, elle-même déjà multiple. La multiplicité et la diversité sont
des caractères constitutifs du mythe aussi bien que de la personne de
Faust et du démoniaque qu'il exprime. Il peut toujours y avoir une
réinvention de Faust ; ou plutôt, Faust ne revient qu'en étant réinventé.
Il est toujours nouveau. Et c'est bien une telle fécondité qu'atteste
l'histoire de cette figure. Elle ne peut recevoir une forme absolue.
1 Pap I A 33, pp. 147-8. Journal (trad. Ferlov et Gateau, édit. Gallimard), t. I,
p. 92. Pour les textes traduits des Papirer, nous citerons cette traduction, en la
modifiant le cas échéant.
2 Pap IC 46-115, pp. 213-298; cf. aussi Bind XII, pp. 206-260.
U.C.L.
INSTITUT SUPERIEUR Bibliothèque DE PHILOSOPHi.
Collège D. Mercier
Place du Cardinal Mercier. 14 26 André Clair
Kierkegaard lui-même réinvente Faust, et son interprétation se range
parmi les autres expressions de la légende. Il produit un Faust nouveau,
tandis que (du moins le dit-il) il ne pouvait se faire que le serviteur
de Mozart, le chantre de son Don Juan. Cette mobilité de Faust
s'exprime d'abord dans les formes culturelles où le mythe s'est constitué.
Faust est avant tout un mythe esthétique, que presque tous les arts
ont traité; après la légende rapportée par le Livre Populaire, le théâtre
et le roman l'ont, jusqu'à nos jours, repris et réinventé. Mais aussi,
de manière diverse et persistante, cette figure a fécondé bien d'autres
arts : avant tout la musique certes (Berlioz, Schumann, Liszt, Gounod),
mais également la peinture (Delacroix et ses lithographies) et, plus
récemment, le cinéma (par exemple La Beauté du Diable de R. Clair).
Ainsi, comme personnage idéalisé et comme symbole culturel, le mythe
ne comporte pas de point final. Mobile et se métamorphosant, Faust,
à la recherche de l'absolu, est bien une incarnation culturelle majeure
et peut-être suprême de la modernité, dont il est d'ailleurs contemporain.
Lorsque Kierkegaard se rapporte à Faust dans Ou Bien-Ou Bien,
c'est en le saisissant conjointement avec Don Juan. Il vaut la peine
d'insister sur le lien entre ces deux figures mythiques; ce sont deux
frères. En ce sens d'ailleurs, Kierkegaard n'innove nullement; entre
eux, le lien était déjà bien établi. Ainsi, par exemple, Grabbe avait
présenté une tragédie romantique, Don Juan et Faust, à laquelle
l'esthéticien se réfère élogieusement 4. Mais ces deux héros ne sont
pas du tout semblables; plutôt, ils se repoussent l'un l'autre. Certes,
ils constituent, en compagnie du Juif Errant, les trois grandes expres
sions de la vie en dehors du christianisme (cfr. Pap I A 1 50). Mais
précisément, ils ne la représentent pas de la même manière. Et tout
d'abord, ils diffèrent à la fois historiquement

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