Pierre-Irénée Jacob, pharmacien de la Grande Armée. Journal et itinéraire de dix années de campagne (suite et fin) - article ; n°191 ; vol.54, pg 249-264
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Pierre-Irénée Jacob, pharmacien de la Grande Armée. Journal et itinéraire de dix années de campagne (suite et fin) - article ; n°191 ; vol.54, pg 249-264

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Description

Revue d'histoire de la pharmacie - Année 1966 - Volume 54 - Numéro 191 - Pages 249-264
16 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1966
Nombre de lectures 8
Langue Français
Poids de l'ouvrage 3 Mo

Extrait

Pierre-Irénée Jacob
Pierre-Irénée Jacob, pharmacien de la Grande Armée. Journal
et itinéraire de dix années de campagne (suite et fin)
In: Revue d'histoire de la pharmacie, 54e année, N. 191, 1966. pp. 249-264.
Citer ce document / Cite this document :
Jacob Pierre-Irénée. Pierre-Irénée Jacob, pharmacien de la Grande Armée. Journal et itinéraire de dix années de campagne
(suite et fin). In: Revue d'histoire de la pharmacie, 54e année, N. 191, 1966. pp. 249-264.
doi : 10.3406/pharm.1966.10394
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/pharm_0035-2349_1966_num_54_191_10394Un document inédit
Pierre-Irénée Jacob
Pharmacien de la Grande Armée
S2S#::i".. \ (Suite et fin)
Parvenu au voisinage de la Bérêzina, Jacob doit renoncer à tenir son journal
au jour le jour :
A dater du 28 novembre, les privations ont été si grandes, le froid
si vif, les fatigues si excessives, qu'il m'a été impossible de continuer
mon journal. Je n'ai pu le remettre au courant qu'à Dantzig, sur des
notes prises pendant mes courts séjours à Vilna, à Kônigsberg et à
Elbing.
Les nègres marrons errant dans les montagnes, et les bêtes fauves
que poursuivent les chasseurs, sont loin d'être aussi misérables que
nous l'avons été durant cette partie de la retraite.
Vulpes forças habent et volucres coeli nidos, filius autem hominis
non habet ubi caput reclinet. Ev. sec. Math. VLTI, 20.
28 Je marchais avec MM. Duval, Dumestre, de Marsac, Mart
in, Erckelbout et Larive ; malgré la disette extrême dans laquelle se
trouvait l'armée, j'avais encore quelques vivres apportés de Stettin,
dont je faisais part à ceux de mes camarades qui avaient consommé
ou perdu leurs provisions. A minuit, M. de Marsac, que le froid 250 REVUE D'HISTOIRE de la pharmacie
tenait éveillé, me proposa d'aller voir en quel état était le pont que
nous désirions passer. Nous l'avons trouvé libre. Dumestre et moi,
nous nous décidâmes à l'instant à abandonner notre voiture, et à
charger nos effets sur des chevaux de bât, les seuls que l'on laissât
passer sur le pont. Néanmoins, comme j'avais vu M. Laubert la
veille à un bivouac fort rapproché du nôtre, je fus le trouver pour
lui faire part de la découverte que je venais de faire. Nous convîn
mes de partir ensemble et sur-le-champ il fit brûler sa voiture. A
deux heures nos chevaux étaient chargés, mais Benoit et Chaumont
qui voyageaient avec M. Laubert ne s'étant pas assez hâté, nous ne
pûmes arriver sur le chemin qui conduisait au pont que vers quatre
heures. Il n'était plus temps ; l'affluence était déjà immense, et un
instant après tous les bagages de l'armée étaient encombrés là
comme ils l'avaient été la veille.
Les plus avancés ne pouvaient passer parce que l'on raccommod
ait le pont. Peu à peu l'affluence devint telle que nous vîmes bien
qu'il nous serait impossible de passer sans être séparés par la foule.
Nous nous donnâmes rendez-vous à une maison que nous aperce
vions sur l'autre rive. Je me chargeai de mener le cheval qui portait
mes effets et ceux de M. Erckelbout ; notre domestique conduisait
celui qui était chargé de nos provisions de bouche. Il faisait un
temps affreux ; la neige tombait en si grande abondance qu'à peine
pouvait-on voir à six pas de soi. Erckelbout resta constamment près
de moi et m'aida à faire marcher mon cheval. Nous attendîmes pen
dant plus de deux heures avant que le pont fût réparé. J'étais à
pied, au milieu des chevaux, et dans le flux et le reflux de cette mult
itude comprimée. Mes pieds étaient à chaque instant sous ceux des
chevaux, heureusement déferrés pour la plupart. Je fis tous mes
efforts pour me tirer de la foule dans la crainte d'y être étouffé, cela
me fut impossible et un moment après je fus entraîné par elle loin
de l'endroit où je désirais aller. Plus on approchait du pont, plus la
presse était forte. Les blessés et les femmes poussaient des cris épou
vantables. On foulait au pied les chevaux qui s'étaient abattus et
que la foule avait écrasés. Il fallait passer sur ces corps palpitants
que souvent on ne voyait pas, et ceux qui avaient le malheur de
tomber étaient à l'instant même foulés, moulus sous les pieds des JOURNAL DE JACOB 251
hommes et des chevaux qui se pressaient dans cette direction. Je fus
arrêté devant un monceau de cadavres sur lequel il fallait inévit
ablement que je passasse au risque de l'augmenter. Je reçus une
ruade dans le côté gauche et fus renversé ; j'étais tombé déjà deux
fois, j'eus cependant encore la force de me relever en poussant vive
ment les gens qui m'entouraient. Je perdis dans une de mes chut
es, mon chapeau, mes gants et mon bonnet.
Les dangers qu'il fallait braver en franchissant les monceaux de
morts et de mourants commencèrent à m'effrayer ; mon cheval
s'étant abattu, je pris le parti de l'abandonner ; je pris ma valise et
mon sac de nuit, j'engageai Erckelbout à me suivre et je fis tous
mes efforts pour gagner la rivière où beaucoup de gens périssaient
et d'où il partait aussi des cris lamentables. Je préférai courir le ri
sque de me noyer à celui d'être horriblement écrasé. Pendant que je
mettais ce dessein à exécution, les Russes qui nous suivaient
commencèrent à jeter quelques boulets sur notre masse compacte,
ce qui ajouta considérablement à notre péril et à notre confusion.
Avant d'arriver au bord de la Bérézina, je fus encore obligé de
franchir plusieurs chevaux morts ou abattus. Enfin, je ne tardai pas
à me trouver dans l'eau jusqu'au dessus des genoux : c'en fut assez
pour me dégager de la foule et je côtoyai le fleuve le plus près de
ses bords qu'il me fut possible. Malheureusement la glace n'était pas
assez forte pour nous porter ; elle rompait sous nos pas et les
glaçons flottants nous incommodaient beaucoup. De cette manière,
je gagnai le dessous du pont, portant une partie de mes effets sur
mes épaules ; les ayant posés sur une des planches du pont, je
m'attachai aux pieux et grimpai aux pièces de charpente. Après
quelques efforts, je me trouvai enfin sur le pont, et bientôt sur
l'autre rive ; mais je perdis ma valise et ne pus sauver que mon sac
de nuit, moins lourd et moins embarrassant que le reste.
Arrivé au lieu du rendez-vous, j'y trouvai M. Laubert occupé à
regarder les manuvres des Russes et M. Dumestre dont j'avais été
séparé. Benoit et Chaumont vinrent ensuite. Erckelbout m'avait
constamment suivi. Nous attendîmes longtemps MM. de Marsac,
Duval, Martin et Delarive. Antoine, domestique de M. Duval, vint
me dire en pleurant qu'il avait perdu son maître, et que ses chevaux revue d'histoire de la pharmacie 252
et les miens avaient été écrasés. J'eus aussi à regretter la perte du
garçon qui me servait et celle des provisions de bouche que je
l'avais chargé de conduire. Je suis entré pour me chauffer dans
une petite maison de paysan ; un valet portant la livrée impériale est
venu me prévenir que cette maison était réservée à l'Empereur. Je
me suis remis en route sans pouvoir me sécher. Les glaçons attachés
à mes habits les tenaient tout raides. Nous avons fait environ
cinq lieues ce jour-là, et nous nous sommes établis dans une forêt de
sapins pour y bivouaquer. Nous ne pûmes parvenir à nous faire un
abri ; nous n'avions pas de paille et ce fut avec beaucoup de peine
que nous allumâmes un feu de bois vert sur la neige. Je soupai d'un
morceau de pain d'orge, qu'un soldat m'avait vendu, et d'une tran
che de buf que je fis rôtir sur la pointe de mon épée. Pendant
la nuit, nous fîmes cuire sous la cendre des galettes de farine d'orge,
pétrie avec de l'eau de neige. Le froid était très vif, il me fut
impossible de dormir. Je me suis levé deux fois pour aller, armé
d'une mauvaise hache, couper du bois dans la forêt. Un soldat
auquel nous avions permis de passer la nuit près de notre feu, fut
trouvé mort le lendemain matin. Il n'avait poussé aucune plainte,
n'avait accusé aucun besoin. Nous pensons qu'il est mort de froid et
de fatigue. Chaumont s'est fait

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