Pour qui écrivez-vous ? A propos de « Pour une théorie de la production littéraire » de Pierre Macherey - article ; n°1 ; vol.7, pg 76-86
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Description

Langue française - Année 1970 - Volume 7 - Numéro 1 - Pages 76-86
11 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1970
Nombre de lectures 24
Langue Français

Extrait

Annie Delaveau
Françoise Kerleroux
Pour qui écrivez-vous ? A propos de « Pour une théorie de la
production littéraire » de Pierre Macherey
In: Langue française. N°7, 1970. pp. 76-86.
Citer ce document / Cite this document :
Delaveau Annie, Kerleroux Françoise. Pour qui écrivez-vous ? A propos de « Pour une théorie de la production littéraire » de
Pierre Macherey. In: Langue française. N°7, 1970. pp. 76-86.
doi : 10.3406/lfr.1970.5508
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/lfr_0023-8368_1970_num_7_1_5508Annie Delaveau et Françoise Kerleroux, Paris-Nanterre.
POUR QUI ÉCRIVEZ- VOUS ? *
A PROPOS DE « POUR UNE THÉORIE
DE LA PRODUCTION LITTÉRAIRE »
DE PIERRE MACHEREY
Un silence intéressant.
Lorsque nous nous sommes proposé de rendre compte, avec le recul
dû au temps passé, du livre de P. Macherey : Pour une théorie de la product
ion littéraire, paru chez Maspéro en 1966, il y avait une question à quoi
nous désirions vivement pouvoir répondre à l'issue de ce travail, et c'était :
pourquoi ce livre a-t-il eu si peu de retentissement? Pourquoi en a-t-on
si peu parlé? Pourquoi nos collègues « littéraires » s'en servent-ils, appa
remment, si peu? Pourquoi, par exemple, à un colloque qui réunissait des
critiques, des écrivains et des universitaires sous l'égide de la revue, La
Nouvelle Critique, son nom a-t-il tout juste été prononcé x? Pourquoi
J.-Y. Pouilloux dans Lire les « Essais » de Montaigne, peut-il en renvoyant
aux analyses de Macherey, dire qu'elles sont « volontairement mécon
nues » et « font l'objet d'une véritable et signifiante conspiration du
silence 2 »?
A ces questions, nous sommes maintenant capables d'apporter des
débuts de réponses. Les gens-qui-s'occupent-de-littérature soit n'ont pas
lu le livre du tout, parce que précisément ils récusent implicitement le
projet même du livre, qui est théorique et ils se dénoncent du même coup
* Nous empruntons ce titre à Georges Politzer, Écrits 1, La Philosophie et les
mythes, Paris, Éditions sociales, 1970. Politzer reprend lui-même par ce titre l'intitulé
de la question posée à des écrivains au cours d'une enquête lancée par Commune (organe
de l'Association des Écrivains et Artistes révolutionnaires) en 1933 : « La question
de Commune sous-entend les classes et la lutte de classes. Pour cette raison, sa posi
tion est une attaque, non contre l'écrivain à qui elle est posée, mais contre la bour
geoisie qui ne veut pas que la question soit posée », p. 59.
1. Linguistique et Littérature, Colloque de Gluny, 1968, numéro spécial de la Nouv
elle Critique, p. 113 : intervention de Noe Jitrik, Structure et Signification de fictions
de J.-L. Borges.
2. Maspero, Paris, 1969, p. 12, note 4.
76 les pratiquants de ce que Macherey appelle l'illusion « empirique ». comme
Nous aurons à y revenir. On peut dire brutalement que ces « littéraires »
estiment n'avoir que faire des analyses d'un philosophe. Soit, ils ont
lu le livre ou ont entrepris de le lire : et alors peut-être des gens de « bonne
volonté » ont-ils été découragés par la difficulté, difficulté réelle, accrue
parfois par certaines coquetteries de style, un certain caractère diffus de
l'exposé.
Plus sûrement, les lecteurs ont été rebutés par la dénonciation qui
s'y trouve de leurs pratiques critiques effectives, dénoncées comme
« empirique » ou « normative » ou « interprétative ». Enfin, les deux der
nières parties du livre, « Quelques critiques » et « Quelques œuvres », ont
été aussi impuissantes à capter la bienveillance des lecteurs : sans doute
parce que Jules Verne n'est pas un grand auteur, n'est jamais mis à aucun
« programme », parce que Borges est un écrivain étranger, parce que Lénine
n'est pas un critique, mais un dirigeant révolutionnaire, seul Balzac...
mais c'est justement un monument classé : encore une fois, boucle bouclée,
qu'avons-nous besoin des discours d'un philosophe pour connaître Balzac
ou telle de ses œuvres?
Le cercle des illusions critiques.
Macherey a eu en effet le tort de mettre la critique, les critiques devant
un dilemme redoutable : ou bien la critique est de l'ordre de l'appréciation,
elle apparaît comme Г « école du goût », et on ne demandera pas de comptes
très sévères de leurs méthodes et de leurs concepts à ceux qui pratiquent
cette activité : ils ne doivent seulement pas se donner pour autres qu'ils ne
sont : l'expression professionnelle du public, l'opinion des consommateurs
de littérature. Ou bien la critique veut être un savoir : la science de la
production littéraire; alors une « connaissance rigoureuse doit par prin
cipe se garder de tout empirisme : ce sur quoi porte directement la recherche
rationnelle n'existe pas déjà, mais est produit par elle » (p. 13). En posant
de façon suffisamment radicale à la critique littéraire la question initiale
de son objet et de ses méthodes, Macherey ne pouvait que susciter la loi
du silence à son endroit, puisqu'il ramène toutes les pratiques critiques à
n'être que les illustrations d'illusions diverses, mais en définitive apparent
ées :
« La critique prétend traiter l'œuvre comme un produit de consom
mation : ainsi elle tombe aussitôt dans l'illusion empirique (qui est la
première en droit), puisqu'elle se demande seulement comment recevoir
un objet donné. Cependant, cette illusion ne vient pas seule : elle se
double aussitôt d'une illusion normative. La critique se propose alors de
modifier l'œuvre pour pouvoir mieux l'absorber. Elle ne la traite plus alors
exactement comme une donnée dans la mesure où elle la refuse dans sa
77 réalité de fait, pour n'y voir que la manifestation provisoire d'une intention
encore à effectuer.
Cependant, cette deuxième illusion n'est qu'une variété de la pré
cédente : l'illusion normative, c'est l'illusion empirique déplacée, située
en un autre lieu. En effet, elle transpose seulement les caractéristiques
empiriques de l'œuvre en les attribuant à un modèle, donnée ultime et
indépendante, présente en même temps que l'œuvre qui, sans cet accom
pagnement, serait sans consistance et proprement illisible, ne pourrait être
l'objet d'aucun jugement » (p. 30).
Macherey, dans la première partie de son analyse, met donc en évi
dence que les pratiques critiques qui, soit décrivent l'œuvre et ce faisant
la répètent, soit la jugent en la mesurant à un modèle idéal, qui n'est que
l'œuvre même portée en archétype, ont ce défaut fondamental de ne pas
sortir de l'œuvre elle-même, de ne pas constituer leur objet. C'est précis
ément ce sur quoi peut faire illusion ce qui est dénoncé comme troisième
forme de la critique, la critique interprétative, autrement dit la « nouvelle
critique ». Le mérite de cette critique est certes d'avoir voulu délimiter
son objet : elle le définit comme l'étude de la nécessité interne de l'œuvre
d'une part, d'autre part la caractérisation d'un usage propre du
langage qui donne à l'œuvre son caractère spécifique, différent des autres
usages, quotidien, scientifique. « Ainsi sont posés les principes d'une cr
itique immanente : en l'œuvre est retenu un sens qu'il faut libérer; l'œuvre
dans sa lettre est le masque éloquent et trompeur dont ce sens est paré :
connaître l'œuvre c'est remonter à ce sens essentiel et unique » (p. 94).
Le commentaire qui dira ce sens caché est donc contenu par l'œuvre : le
discours de l'œuvre et le discours commentaire de ce discours sont confon
dus encore d'une manière qui caractérise la méthode empiriste. « Ainsi il
faut sortir de l'œuvre, et l'expliquer, dire ce qu'elle ne dit pas et ne saurait
dire : de même le triangle reste définitivement muet sur la somme de ses
angles » (pp. 95-96).
Les conditions de la production littéraire.
C'est pour sortir de ce cercle des illusions critiques que Macherey pose
la question des conditions déterminées à partir de quoi est produite l'œuvre.
Ce f

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