Pouvoir libérateur du vin et ivresse du texte - article ; n°22 ; vol.11, pg 163-172
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Description

Médiévales - Année 1992 - Volume 11 - Numéro 22 - Pages 163-172
10 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1992
Nombre de lectures 0
Langue Français

Extrait

Madame Esther Benaïm-
Ouaknine
Pouvoir libérateur du vin et ivresse du texte
In: Médiévales, N°22-23, 1992. pp. 163-172.
Citer ce document / Cite this document :
Benaïm-Ouaknine Esther. Pouvoir libérateur du vin et ivresse du texte. In: Médiévales, N°22-23, 1992. pp. 163-172.
doi : 10.3406/medi.1992.1246
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/medi_0751-2708_1992_num_11_22_1246Médiévales 22-23, printemps 1992, pp. 163-172
Esther BENAÏM-OUAKNINE
POUVOIR LIBÉRATEUR DU VIN
ET IVRESSE DU TEXTE
La parodie fait son apparition dans la littérature hébraïque au
XIIe siècle, mais c'est à la fin du xme qu'elle atteint son apogée en
Provence et en Italie. Un de ses thèmes favoris est celui de la fête
de Pourim\ au cours de laquelle obligation est faite de « se réjouir,
de bien manger et de boire jusqu'à l'ivresse ».
Parmi les nombreuses compositions littéraires consacrées à cette
pratique, où la littérature talmudique est réutilisée à des fins de diver
tissement, nous avons retenu, dans l'œuvre de Kalonymos ben
Kalonymos2, un hymne au vin quelque peu insolite. Ce dernier
1. Fête populaire du calendrier hébraïque, qui a lieu aux environs de la mi-mars
et qui commémore les événements relatés dans le livre biblique à' Esther. Les Juifs du
royaume d'Assuérus sont voués à l'extermination par le complot du ministre Aman
à une date choisie dans ce but, celle du 13 du douzième mois, celui d'Adar. Esther,
épouse du roi, invite celui-ci à un banquet et lui fait part du projet meurtrier de son
ministre. La reine, aidée par son oncle Mardochée, dénoue le drame, et, dans une sorte
de renversement de l'histoire, ce dernier est hissé au rang du ministre qui est disgracié
et pendu haut et court. Le livre se clôt sur l'obligation pour les Juifs de commémorer
cette journée et de s'en souvenir (Esther, 9, 19-23). A cet effet, il est d'usage de pra
tiquer un jeûne la veille et, le lendemain, de procéder à la lecture du livre d'Esther,
d'offrir des présents à ses proches, d'échanger des pâtisseries et de se livrer, au cours
d'un festin, à toutes sortes de réjouissances. Jeux de cartes et mascarades sont les points
saillants de cette festivité devenue jour de carnaval pour les enfants.
2. Lettré juif issu d'une famille prestigieuse, Kalonymos ben Kalonymos est né
à Arles en Provence, en 1286-1287 (la date de sa mort est inconnue) et fait ses études
à Salon où vivaient ses deux maîtres, Moïse de Beaucaire et Abba Mari fils d'Eligdor,
surnommé Sen Astruc de Noves, savants de renom. Outre la littérature talmudique,
il a étudié la médecine, la philosophie et s'est distingué par sa maîtrise ramarquable
des langues arabe et latine. Au service du roi Robert de Naples — qui l'invitera sur
ses terres d'Italie pour participer à un immense effort de traduction d'oeuvres scienti
fiques — il sera un traducteur prolifique : il transcrit de l'arabe de très nombreux ouvra
ges de médecine, de mathématiques, d'astronomie, d'astrologie et de philosophie. Emman
uel de Rome (1261-1328), le grand Manoello, que l'on suppose avoir été l'ami de
Dante, se lie d'amitié avec lui et le surnomme « le roi des traducteurs et le plus grand
styliste de son temps » (Mahberot, maqama 18). Notre auteur, connu dans le monde 164
appartient au dernier volet d'une trilogie satirique, Massekhet
Pourim*, écrite entre 1319 et 1332, mais dont le style et le langage
solennel sont ceux des exégètes du premier siècle. La chose n'est pas
rare : dans le préambule d'une œuvre littéraire marocaine du xixe siè
cle, l'auteur déclare : « Je l'ai composée dans la langue du Targum
(c'est-à-dire en araméen) conformément à un dicton populaire selon
lequel "l'ivrogne ne s'exprime que dans la langue du Targum" »4.
Cette forme d'expression recouvre toutes les manifestations de la
vie juive (Pourim occupe à cet égard une place de choix), et travestit
des textes empruntés à la Bible, au Talmud et même au Zohar. Pour
la première fois, des hommes de renom comme Kalonymos ou Levi
ben Gershon se hasardent à utiliser des textes aussi sacrés à des fins
de badinage5.
Massekhet Pourim, qui pastiche un traité talmudique, comprend
la haggada le-leil chikorim, imitation burlesque du récit de la sortie
d'Egypte ; ce qui donne une double parodie, celle de la Pâque et celle
de Pourim, deux célébrations du calendrier hébraïque — qui, de ce
fait, revêtent un caractère sacré — et qui sont ainsi mises en scène,
l'une paraphrasant l'autre ; ces deux événements historiques d'impor
tance ont en commun plusieurs points, notamment le dénouement
chrétien sous le nom de Maestro Calo, retourne dans sa ville natale vers 1321. Puis
il s'établit quelque temps après en Catalogne où il écrit Even Bohan, satire sociale
qu'il dédie à dix notables de cette province. Il revient à Arles en 1328 et, à partir
de cette date, il n'est nulle part fait mention de lui. Voir Gross H., Gallia Judaica,
Dictionnaire géographique de la France d'après les sources rabbiniques, Amsterdam,
Philo Presse, 1969, pp. 84-85.
3. Massekhet Pourim, parodie du traité Megila du Talmud, est la seconde œuvre
d'importance de Kalonymos ben Kalonymos, après Even Bohan (La pierre de touche),
traité philosophique considéré comme son oeuvre maîtresse. E. Renan présume qu'elle
a été composée à Rome, entre 1319 et 1322, car il attribue la bonne humeur de l'auteur
à sa situation « plus heureuse à Rome, où il était soutenu par le roi Robert, et, par
suite, honoré de toute la communauté » (Renan E., « Les écrivains juifs français du
xiv siècle », in Histoire littéraire de la France, Paris, 1893). La trilogie comprend Mass
ekhet Pourim de Kalonymos ben, Kalonymos, Megilat Setarim et Sefer Habaqbuq attr
ibuées à Levi ben Gerson, toutes écrites dans le style de la Mishnah sous forme d'un
traité talmudique). Ces compositions appartiennent au folklore de Pourim, qui est un
thème privilégié puisqu'il a inspiré une vaste littérature parodique prenant la forme
de haggadot (récits), de selihot (suppliques) et même de requiems du xn< siècle en Espa
gne au xive siècle en Italie. Dans la première moitié du xve siècle, 32 parodies provenç
ales mettent en scène le roi Pourim, maître de la « communauté de la vigne » ; aux
xviie et xviii' siècles, une collection de requiems burlesques est composée par David
Raphael Polido sous le titre de Zikhron Pourim (cf. Davidson I., Parody of Jewish
Literature, New York, Columbia University, 1907, pp. 30ss et Zafrani H., « La paro
die dans la littérature judéo-arabe et le folklore de Purim au Maroc », Revue des étu
des juives CXXVIII/4 (1969), p. 378). Pour H. Schirmann, ce traité n'est qu'« une facé
tie d'auteur écrite dans un moment d'inspiration joyeuse sans intention aucune de dépréc
ier ou de dénigrer le Talmud » (Ha-chira ha-ivrit bi-sfarad ou-be Provans, Jérusa
lem, Mossad Bialik, 1956, II, 2, p. 501).
4. Texte de J. Aben Sur, écrit en judéo-arabe ; voir Zafrani H., Poésie juive
en Occident musulman, Paris, Geuthner, 1977, pp. 343-344.
5. Renan (1893), pp. 600-601. 165
miraculeux et l'obligation, au plan religieux, de s'en souvenir6. Cette
commémoration prend la forme d'un rituel qui ponctue la soirée de
la Pâque en un ordre {seder) à quatorze temps, dont le cinquième
est la lecture du récit de la sortie d'Egypte {Haggada), de la distribu
tion de cadeaux et de dons aux pauvres, d'un repas de fête et de la
lecture du rouleau d'Esther {Megila) pour Pourim1.
Divagations textuelles
Considérons dans un premier temps la dimension formelle du
texte. Celui-ci reprend un événement ancien — la sortie d'Egypte —
l'évacué et le remplace par un second événement qui a lieu dix siè
cles plus tard à un autre endroit. Pour ce faire, il utilise la structure
de la Haggada dans une superstructure, celle du Talmud, et en con
serve les éléments les plus révélateurs : les débuts de phrases, qui sont
les temps forts du récit de la Pâque, la langue (hébreu mitigé d'ara-
méen), la forme d'expression et le style sentencieux des

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