Prométhée polonais - article ; n°1 ; vol.78, pg 139-149
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Communications - Année 2005 - Volume 78 - Numéro 1 - Pages 139-149
The figure of Prometheus plays an important role in 20th century Polish thought and literature. In his youth, Jerzy Giedroyc, the founder of Kultura, belonged to the Promethean Movement. Leszek Kolakowski gave the following conclusion to his reflections on the fate of Marxism : Prometheus wakes up from his dreams of power as Kafka's Gregor Samsa. Jan Kott, in his Eating of the Gods, reflects on the ambiguity of the images of Prometheus. Gustaw Herling revisits Kafka's four versions of the myth of Prometheus and adds one of his own. Zbigniew Herbert describes his vision of old Prometheus.
Prométhée a joué un grand rôle dans la littérature et la pensée polonaises modernes. Le créateur de Kultura, Jerzy Giedroyc, était lié dans sa jeunesse au Mouvement prométhéen. Leszek Kolakowski a ainsi conclu ses réflexions sur les perspectives de la vision marxienne : « Prométhée se réveille de ses rêves de pouvoir comme Gregor Samsa de Kafka. » Jan Kott, dans son essai Manger les dieux, a réfléchi à l'ambiguïté des figures de Prométhée. Gustaw Herling revient sur les quatre versions de Kafka du mythe de Prométhée et leur en ajoute une cinquième, la sienne. Zbigniew Herbert décrit sa vision du vieux Prométhée.
11 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 2005
Nombre de lectures 20
Langue Français

Extrait

Wojciech Karpinski
Prométhée polonais
In: Communications, 78, 2005. pp. 139-149.
Abstract
The figure of Prometheus plays an important role in 20th century Polish thought and literature. In his youth, Jerzy Giedroyc, the
founder of Kultura, belonged to the Promethean Movement. Leszek Kolakowski gave the following conclusion to his reflections on
the fate of Marxism : "Prometheus wakes up from his dreams of power as Kafka's Gregor Samsa. " Jan Kott, in his Eating of the
Gods, reflects on the ambiguity of the images of Prometheus. Gustaw Herling revisits Kafka's four versions of the myth of
Prometheus and adds one of his own. Zbigniew Herbert describes his vision of old Prometheus.
Résumé
Prométhée a joué un grand rôle dans la littérature et la pensée polonaises modernes. Le créateur de Kultura, Jerzy Giedroyc,
était lié dans sa jeunesse au Mouvement prométhéen. Leszek Kolakowski a ainsi conclu ses réflexions sur les perspectives de la
vision marxienne : « Prométhée se réveille de ses rêves de pouvoir comme Gregor Samsa de Kafka. » Jan Kott, dans son essai
Manger les dieux, a réfléchi à l'ambiguïté des figures de Prométhée. Gustaw Herling revient sur les quatre versions de Kafka du
mythe de Prométhée et leur en ajoute une cinquième, la sienne. Zbigniew Herbert décrit sa vision du vieux Prométhée.
Citer ce document / Cite this document :
Karpinski Wojciech. Prométhée polonais. In: Communications, 78, 2005. pp. 139-149.
doi : 10.3406/comm.2005.2279
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/comm_0588-8018_2005_num_78_1_2279Wojciech Karpinski
Prométhée polonais
Au cours des XIXe et XXe siècles, la quête d'un idéal de l'émancipation
habite la littérature polonaise. Elle est son fil conducteur, la source de sa
force, la cause de ses faiblesses. Car lorsqu'une collectivité relativement
bien structurée est asservie — je pense aux partages de la Pologne —,
lorsqu'elle est empêchée d'exprimer ses aspirations, c'est la littérature qui
s'en charge. Ne pouvant le faire dans un pays muselé par la censure, elle
le fait en exil. Réfugiés, les trois grands poètes romantiques du XIXe siècle
polonais, Mickiewicz, Slowacki et Krasinski, se verront attribuer la fonc
tion de « bardes », de guides de la nation. Norwid viendra les rejoindre
plus tard.
Pawel Hertz a magistralement résumé cette situation dans un essai
intitulé Penser à Krasinski^ qui date des années soixante du XXe siècle :
La notion de « triade romantique » exprimait notre besoin d'ordre,
jamais satisfait au cours du XIXe siècle. Privés d'un Parlement à deux
chambres, des pouvoirs législatif et exécutif dûment séparés, de trois
états formés comme il se doit, nous n'avions que la littérature en guise
de parlement.
Cette fonction, que Pawel Hertz définit avec justesse, impose à la litt
érature des devoirs et des contraintes.
L'idéal de l'émancipation était tributaire du combat pour l'indépen
dance nationale. L'art obéissait à la politique. Le regard porté sur
l'homme se confondait avec celui porté sur l'histoire. La littérature verra
donc les menaces essentiellement du côté des puissances étrangères. Elle
drapera la Pologne en Winkelried des nations, voire en leur Christ. Tous
les romantiques partagent ce regard messianique, à commencer par le
139 Wojciech Karpinski
plus grand d'entre eux, Adam Mickiewicz. Il va souvent de pair avec la
révolte contre la pesanteur des traditions. Slowacki l'exprimera puissam
ment dans Le Tombeau dAgamemnon., une malédiction rhapsodique jetée
à la figure de la Pologne et de sa tradition nationale dominante :
Tu es fils unique de Prométhée -
Le vautour te mange non le cœur mais la cervelle.
Norwid, quant à lui, tentera d'échapper aux utopies messianiques dans
Promethidion et apportera de nouvelles idées d'émancipation individuelle
et collective. Il se considérait lui-même comme Promethidion, successeur
de Prométhée. Il avouait sans détour cette filiation dans une lettre adressée
en 1869 à Joanna Kuczynska :
Je suis issu du petit-fils de Japhet, mon aïeul Prométhée cloué au som
met caucasien Kazbek. Moi seul contredis le système de sang et de races.
Moi seul - mais que faire - c'est ce que je pense. À mon entendement,
l'Europe n'est pas une race, elle est un principe ! ! ! Car serait-elle une
race, elle serait l'Asie ! ! ! On verra qui se trompe, de moi ou des penseurs
de nos jours ???
Cette lettre, adressée à une seule personne (c'est ainsi que Norwid
avait coutume de discuter de la chose publique), n'eut, bien entendu,
aucune résonance : son auteur était un inconnu. C'est bien plus tard, au
XXe siècle, après la Seconde Guerre mondiale, que ces paroles - entre
autres - ont guidé un groupe d'écrivains réunis autour de l'Institut litté
raire, à Maisons-Laffitte, et de son mensuel Kultura. Joseph Czapski en
particulier aimait à les rappeler, dans ses écrits et dans ses conversations.
Sa voix haut perchée ondulait alors pour rendre compte de l'écriture et
de la ponctuation idiosyncrasiques de Norwid, de ses soulignages, ses
italiques, ses points d'exclamation et d'interrogation.
En 1918, la Pologne recouvre l'indépendance et se met à rêver d'une
existence normale. Elle voudrait tourner le dos aux mythes dont s'est
nourrie la nation au temps de son asservissement : « Au printemps, que
mes yeux voient le printemps, non la Pologne », clame le poète Jan Lechon
dans son poème Erostrate. Pour dire les choses plus platement, l'idéal de
l'émancipation ne serait plus à poursuivre, il serait accompli. Ce fut une
idée provinciale, précisément à cause de l'ambition universaliste factice
140 Prométhée polonais
qu'elle exprimait. D'autres continuaient à rechercher l'idéal d'émancipat
ion dans des idéologies.
Puis, en 1939, il a fallu à nouveau relever le défi. Certains, dont Lechon,
ont alors cherché refuge dans la mythologie nationale, tout au moins
officiellement. D'autres, minorité d'une minorité, ont, devant la menace
totale, pointé le regard vers eux-mêmes, vers les traditions nationales,
vers leurs propres qualités et défauts, vers les schémas et les modèles
littéraires du passé. Ils se sont regardés sans complaisance. Descendus au
degré zéro de la littérature, du style et des valeurs, ils ont réduit leurs
illusions en cendres. Et depuis ce point zéro, ils ont tenté de définir leur
destin, leurs devoirs et les valeurs à défendre. Pour ceux-là, l'idéal de
l'émancipation était à rechercher non dans les rêveries sur le rôle mes
sianique de la Pologne, mais en leur for intérieur. Ce qui les intéressait
n'était pas le Messie, mais l'homme ordinaire, plongé nu dans l'histoire
et la politique, tâtonnant pour y trouver sa place.
Ce nouveau regard était particulier à un tout petit groupe de Polonais
exilés, groupe qui fait la grandeur de la littérature polonaise de la seconde
moitié du XXe siècle. La Pologne étouffait entre les griffes de l'idéologie
communiste, de la censure, de la tutelle physique et spirituelle. Ce sont
Gombrowicz, Milosz, Stempowski, Czapski, Jelenski, Wat et Herling qui
ont influencé la littérature polonaise dans sa lutte contre le carcan de la
langue de bois communiste. Ce sont leurs œuvres que la Pologne vénérait
et avalait avidement comme autant de livres « de grand chemin » dont
parlait, dans un autre contexte, Adam Mickiewicz.
Ces écrivains de grand chemin ont atterri à l'Institut littéraire de
Maisons -Laffitte dirigé par Jerzy Giedroyc, et dans son mensuel Kultura.
Là, en banlieue parisienne, s'était constituée une cellule du prométhéisme
critique ou, si l'on veut, laïc, alors que les écrivains du XIXe siècle repré
sentaient un prométhéisme dogmatique et national. Les petits-fils de Pro
méthée, tels que les voulait Norwid, trouvaient refuge à Maisons -Laffitte.
Laissons de côté les pentes glissantes de la terminologie métaphorique.
Il convient juste de signaler qu'un avatar de la figure de Prométhée vivait
en ces écrivains de la seconde moitié du XXe siècle. Qu'il me soit alors
permis de rappeler certains liens généalogiques

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