Qu'est-ce qu'être allemande ? De la polémique politique à la recherche historique - article ; n°1 ; vol.34, pg 163-174

Ute Frevert

Description

Vingtième Siècle. Revue d'histoire - Année 1992 - Volume 34 - Numéro 1 - Pages 163-174
What does it mean to be a German woman ? From political polemic to historical research, Ute Frevert.
It is more important to ask questions about the identity of German women in the 20th century than about that of their male counterparts. In Germany as in the rest of the world, the history of women represents a scientific and political stake. In a country seeking its identity, tormented by a memory difficult to handle and a reunification just as delicate to achieve, questions about the place of sexe difference in recent history may provide an opportunity to deal with many problematical issues of general history.
12 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

• Publié par: VINGTIEME_SIECLE-_REVUE_D-HISTOIRE
• Publié le: 01 janvier 1992
• Nombre de lectures: 96
• Langue: Français
• Poids de l'ouvrage: 1 Mo

Extrait

Ute Frévert
Qu'est-ce qu'être allemande ? De la polémique politique à la
recherche historique
In: Vingtième Siècle. Revue d'histoire. N°34, avril-juin 1992. pp. 163-174.
Abstract
What does it mean to be a German woman ? From political polemic to historical research, Ute Frevert.
It is more important to ask questions about the identity of German women in the 20th century than about that of their male
counterparts. In Germany as in the rest of the world, the history of women represents a scientific and political stake. In a country
seeking its identity, tormented by a memory difficult to handle and a reunification just as delicate to achieve, questions about the
place of sexe difference in recent history may provide an opportunity to deal with many problematical issues of " general " history.
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Frévert Ute. Qu'est-ce qu'être allemande ? De la polémique politique à la recherche historique. In: Vingtième Siècle. Revue
d'histoire. N°34, avril-juin 1992. pp. 163-174.
doi : 10.3406/xxs.1992.2537
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/xxs_0294-1759_1992_num_34_1_2537QU'EST-CE QU'ETRE ALLEMANDE ?
DE LA POLÉMIQUE POLITIQUE
À LA RECHERCHE HISTORIQUE
Ute Frevert
Comme dans le reste du monde depuis politiciens, électeurs, ouvriers, patrons, syn
une vingtaine d'années, l'histoire des dicalistes, hommes d'église, résistants, etc.
femmes et des relations entre les sexes Qu'il y ait eu également des femmes ou
est restée en Allemagne un enjeu poli vrières, syndicalistes et opposantes poli
tique et scientifique. La floraison des tiques, cela est passé sous silence, de même
travaux actuels serait-elle due à une inque tous les domaines de l'expérience
tense recherche d'identité qui toucherait humaine qui ne semblent pas compatibles
les Allemandes encore plus que les Al avec le monde de l'expérience masculine et
lemands ? publique1. Qu'il en soit ainsi dans les ou
vrages à caractère historique mais aussi dans
Que signifie être Allemand au ceux à politique, il suffit, pour s'en
20e siècle ? En faisant de cette ques convaincre, de jeter un regard sur les pu
tion l'axe principal de ce numéro, blications suscitées, dans les années 1970, par
Vingtième siècle, Revue d'histoire me le 25e anniversaire de la République fédérale.
semble poser une interrogation récurrente Lorsque Karl Dietrich Bracher proposa, en
et peu originale. En revanche, en analyser 1970, un bilan de l'histoire de la République
la version féminine « que signifie être all fédérale après la seconde guerre mondiale,
emande au 20e siècle ? » est peut-être plus neuf des dix-huit contributions alors rassemblées,
pour au moins deux raisons : comme une il ne s'en trouva aucune pour évoquer de
simple question proche de la figure de style,
et comme question formulée dans l'attente
1. Lorsque l'historiographie de cette époque, le plus soueffective d'une réponse. Il y a vingt-cinq vent obnubilée par les événements politiques et les décisions
des « grands hommes », se penche sur les objets « anonymes » ans, on ne l'aurait pas posée ; il y a dix ou de ces événements et décisions, elle parle de façon indifférenciée
quinze ans, elle serait restée sans réponse. de « masses », d'« Allemands », de « peuple », « des ouvriers »
(le terme allemand d' Arbeiterschaf t est un substantif collectif Ces deux affirmations peuvent être assez sans équivalent en français. NDT), de « bourgeoisie », etc. Cf.,
aisément vérifiées. A feuilleter les ouvrages par exemple, les volumes à grand tirage et à grand retentissement
de l'histoire mondiale éditée en format de poche chez Dtv, d'histoire du 20e siècle publiés dans les Hans Herzfeld, Der erste Weltkrieg, Munich, 1968 ; Helmut
Heiber, Die Republik von Weimar, Munich, 1966 ; Ernst Nolte, années 1950 ou 1960, on a peine à trouver
Die faschistischen Bewegungen, Munich, 1966. La tendance à exclure la moindre indication concernant l'existence de l'écriture de l'histoire les femmes ou les domaines propres
à l'expérience féminine n'a certes pas pris fin dans les années non seulement des Allemands, mais aussi 1960, et elle se poursuit encore aujourd'hui. De timides tentatives
des Allemandes. Le concept collectif, et d'infléchissement sont sensibles chez Detlev J.K. Peukert, Die
Weimarer Republik, Francfort, 1987, et Christoph Kiessmann, supposé neutre, d'Allemands, recouvre, en Zwei Staaten, eine Nation. Deutsche Geschichte 1955-1970, Göttin
général, des Allemands de sexe masculin : gen, 1988.
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façon un peu précise les femmes. La question controverses sur le problème des sexes. Cer
du rapport entre continuité et changement, taines disciplines, dont la sociologie et la
entre tradition et renouveau, fut étudiée à pédagogie, contribuèrent même largement à
partir des cas de la presse et de la recherche, la politisation. La science historique eut, elle,
de l'urbanisme et des églises. Il ne vint alors beaucoup de mal à s'engager sur cette voie.
apparemment à l'idée de personne que le Plus conservatrice et moins souple que la
statut des femmes et les relations entre les plupart des autres sciences sociales, elle a,
sexes pouvaient être un thème de réflexion. jusqu'alors, réagi avec une retenue extrême
Quatre ans plus tard, le volume-anniversaire au « défi féministe », et c'est plutôt de mauv
de près de mille pages sur la « Seconde ais gré qu'elle a admis l'existence, depuis
République », publié par Richard Löwenthal quinze ans, d'une telle direction de recherche
et Hans-Peter Schwarz, se donna des prio dans l'ancienne République fédérale. Pourt
rités équivalentes. De ce bilan aussi les ant, elle seule permet, non seulement de
femmes sont absentes. Aucun chapitre par poser la question de l'existence de l'identité
ticulier ne leur est consacré, et aucun des historique des femmes allemandes au
auteurs des trente contributions n'a jugé 20e siècle, mais aussi d'esquisser des ré
intéressant d'envisager son sujet sous l'angle ponses.
de ses implications dans le cadre des relations La situation et l'évolution de la recherche
entre hommes et femmes. sur l'histoire des femmes en Allemagne sont
donc un fait politique tout aussi important
O LA « NAISSANCE » que la situation et l'histoire des femmes'
DE L'HISTOIRE DES FEMMES elles-mêmes. La recherche et son objet se
trouvent toutes deux isolées, exclues et margCe paysage s'est modifié en 1990, à l'oc
casion de la parution d'un ouvrage traitant inalisées lorsqu'il s'agit d'affirmer leur ident
ité. Ce trait commun est tout sauf le fruit de la périodisation de l'histoire allemande
d'après guerre : un des treize essais qui le du hasard : de la même façon que les femmes,
en tant que représentantes d'un sexe, sont compose est consacré aux femmes, à leurs
systématiquement tenues à l'écart des sources problèmes et à leurs expériences. Après
quatre décennies d'histoire fédérale d'où il du pouvoir politique, économique et social,
la recherche à leur propos porte cette image avait été absent, le thème semble enfin émerg
er, imposé sans doute par les débats publics d'impuissance et d'insignifiance. Un tel
constat est renforcé par le fait que la et les controverses politiciennes des années
1980. Ce qui pouvait être purement et simrecherche sur les femmes est à peu près
exclusivement faite par des femmes. Elles plement passé sous silence, lorsque Bracher,
Löwenthal et Schwarz concevaient leurs se trouvent ainsi doublement marginalisées
parce qu'elles sont peu nombreuses et sous- livres, avait pris un caractère explosif et un
poids dans l'actualité politique qui ne se représentées dans l'entreprise-science, et
manifesta nulle part aussi fortement que dans parce que leur champ d'étude est considéré
comme peu important dans la hiérarchie la foulée du processus de réunification : la
question la plus épineuse et la plus débattue institutionnelle.
Il ne s'agit pas là non plus d'une coïnfut celle du droit à l'avortement, une ques
tion « féminine » par excellence 1 . cidence due au hasard. Sauf à cultiver une
éventuelle prédilection à occuper, par une La science ne put r