Quelle Révolution à Vizille ? - article ; n°1 ; vol.289, pg 299-312

Philippe Bordes

Description

Annales historiques de la Révolution française - Année 1992 - Volume 289 - Numéro 1 - Pages 299-312
Philippe Bordes : Quelle Révolution à Vizille.
Après sept années d'activité et de développement, le directeur du musée de la Révolution française à Vizille, en termes de bilan provisoire, examine les principes et les idées qui ont donné son impulsion à l'entreprise, et apprécie leur évolution au regard des changements historiographiques et idéologiques qui ont marqué les années 1980. Il évoque les choix retenus, les orientations écartées, les stratégies qu'il a suivies, et indique ce qu'il serait souhaitable, à son avis, de réaliser dans le cadre d'un musée qui ambitionne de fonder son autorité et son identité sur une relation critique à son thème, la Révolution française.
Philippe Bordes : Which Revolution in Vizille?
After seven years of activity and development and as a provisory appraisal of the work accomplished, the head of the Museum of the French Revolution at Vizille (Isère) examines here the guiding principles and ideas which set the project in motion and analyses their evolution in relation to the historiographical and ideological changes which have happened during the 1980s. He discusses the choices made, the orientations that have been set aside and the strategies followed and outlines what he considers the necessary developments in the future for this museum which strives to establish its identity and its reputation on a critical attitude towards its theme : the French Revolution.
14 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

• Publié par: ANNALES_HISTORIQUES_DE_LA_REVOLUTION_FRANCAISE
• Publié le: 01 janvier 1992
• Nombre de lectures: 16
• Langue: Français
• Poids de l'ouvrage: 1 Mo

Extrait

Philippe Bordes
Quelle Révolution à Vizille ?
In: Annales historiques de la Révolution française. N°289, 1992. pp. 299-312.
Résumé
Philippe Bordes : Quelle Révolution à Vizille.
Après sept années d'activité et de développement, le directeur du musée de la Révolution française à Vizille, en termes de bilan
provisoire, examine les principes et les idées qui ont donné son impulsion à l'entreprise, et apprécie leur évolution au regard des
changements historiographiques et idéologiques qui ont marqué les années 1980. Il évoque les choix retenus, les orientations
écartées, les stratégies qu'il a suivies, et indique ce qu'il serait souhaitable, à son avis, de réaliser dans le cadre d'un musée qui
ambitionne de fonder son autorité et son identité sur une relation critique à son thème, la Révolution française.
Abstract
Philippe Bordes : Which Revolution in Vizille?
After seven years of activity and development and as a provisory appraisal of the work accomplished, the head of the Museum of
the French Revolution at Vizille (Isère) examines here the guiding principles and ideas which set the project in motion and
analyses their evolution in relation to the historiographical and ideological changes which have happened during the 1980s. He
discusses the choices made, the orientations that have been set aside and the strategies followed and outlines what he considers
the necessary developments in the future for this museum which strives to establish its identity and its reputation on a critical
attitude towards its theme : the French Revolution.
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Bordes Philippe. Quelle Révolution à Vizille ?. In: Annales historiques de la Révolution française. N°289, 1992. pp. 299-312.
doi : 10.3406/ahrf.1992.1893
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/ahrf_0003-4436_1992_num_289_1_1893RÉVOLUTION À VIZILLE? QUELLE
La décision de créer un musée sur le thème de la Révolution Française
au château de Vizille fut prise en 1980 par L. Mermaz (1), à l'époque
président du Conseil général de l'Isère, la collectivité propriétaire du
monument historique. Le 14 juillet 1984 les premières salles furent ouvertes
au public ; elles étaient entièrement occupées par une exposition rassem
blant des acquisitions récentes et surtout des prêts temporaires. Après sept
années d'activité et de développement, il convient à présent d'examiner
les principes et les idées qui ont été et qui ont donné son impulsion à l'entre
prise et d'apprécier leur évolution au regard des changements historiogra-
phiques et idéologiques ayant marqué les années 1980. Certains estimeront
d'emblée que celui qui dirige l'institution depuis son ouverture manque
de recul pour analyser les ordres du jour, avoués ou non, qui ont régi
son histoire. Un ton apologétique est parfois adopté ; ce ne sont pourtant
pas seulement les choix retenus qui sont évoqués, mais aussi les orienta
tions écartées, tout comme ce qu'il serait souhaitable de réaliser dans le
cadre d'un musée qui ambitionne de fonder son autorité et son identité
sur une relation critique à son thème. Sont rappelées les différentes stra
tégies qui peuvent chacune prétendre aider à réaliser cette ambition. Il s'agit
moins de définir un programme ou un nouveau projet pour le musée, que
d'éclairer les enjeux qui engagent son existence. Les débats suscités par
la Révolution forment le cadre dans lequel il doit se situer. Le soustraire
à cette confrontation permanente reviendrait en quelque sorte à le priver
de vie, car quel que soit le régime qu'on lui impose, il ne peut que s'alimenter
des récits, des traces et des échos qu'elle inspire. Cette métaphore diété
tique a l'intérêt de représenter le musée comme un organisme vivant, une
jeune institution qui a encore beaucoup de chemin à faire avant d'atteindre
sa maturité. Il ne sera pas directement question de la structure et du fonc
tionnement interne de l'institution, ni de ses relations extérieures et de sa
(1) Membre du parti socialiste.
Annales Historiques de la Révolution Française — 1992 — N" 3 300 PHILIPPE BORDES
place dans la société. Ses moyens et ses fins, l'aspect concret du travail
accompli qu'il n'est pas possible d'ignorer, seront ici subordonnés à la
réalité des concepts.
La mobilisation en énergies et en volontés qui fut nécessaire à la création
du musée est à mettre entièrement au crédit du paradigme marxiste de
la Révolution française (2). Il était affaibli à la suite des attaques lancées
par l'historiographie révisionniste dans les années 1970 et, sans doute, la
nostalgie joua un rôle dans la démarche de mettre la Révolution en quelque
sorte à l'abri, sous la protection de l'institution muséale. Dans l'esprit de
ses fondateurs, il s'agissait moins de conservation que de préservation.
De 1980, quand A. Soboul accepte de présider le conseil scientifique du
futur musée, à 1984 quand R. Chagny réalise l'exposition sur l'histoire
de la famille Périer (3), propriétaire du château de Vizille de 1780 à 1895,
le musée a été conçu comme un support pour la promotion d'une interpré
tation s'articulant à partir d'une histoire de la lutte des classes. En proposant
une histoire des Périer qui montre comment les bons bourgeois éclairés
de l'assemblée de Vizille sont devenus les mauvais patrons des grévistes
des mines d'Anzin, l'exposition codifiait l'essentiel : la révolution de 1789
comme étape sur la voie de la vraie Révolution populaire. On aurait tort
de minimiser l'attrait de cette construction comme moyen d'animer une
exposition à caractère historique : l'expérience qu'en partage le visiteur
est nettement plus entraînante et enrichissante que dans les expositions
dont le propos sombre dans la platitude documentaire ou s'anéantit dans
l'effervescence spectaculaire. De plus, le paradigme marxiste avait alors
le mérite de désigner l'adversaire, de puiser son dynamisme dans des rapports
de force bien déterminés et de fixer clairement les objectifs : l'évocation
et la célébration d'un héritage culturel et politique dont se réclamaient
les socialistes et les communistes français encore au début des années 1980.
En mettant l'accent sur la mission éducative et civique du nouveau musée,
cette conception définissait son public comme la partie de la population
la plus réceptive à la leçon : adultes de gauche et enfants d'âge scolaire.
Parce que le sens du récit constituait l'essentiel, le choix du support muséo-
graphique pouvait rester relativement ouvert; pour illustrer un propos,
il était envisageable de faire appel aussi bien à des œuvres originales, des
reproductions photographiques, des moulages, des réimpressions, des recons
titutions avec mannequins ou des installations audiovisuelles. La problé
matique du musée risquait cependant d'être la déclinaison toujours plus
(2) L'expression paradigme marxiste, plutôt que interprétation ou école marxiste, est adoptée par
commodité méthodologique. Elle prétend recouvrir des positions éloignées les unes des autres, en raison
de leurs références et problématiques différentes, mais qui peuvent néanmoins apparaître comme les décl
inaisons multiples d'une même idée fondamentale, souvent intégrée au point d'être ignorée, que la Révol
ution peut s'expliquer par la lutte des classes.
(3) R. Chagny, Une dynastie bourgeoise dans la Révolution. Les Périer, Vizille, M.R.F., 1984.
L'auteur enseignait alors l'histoire à l'université de Grenoble. QUELLE RÉVOLUTION A VIZILLE? 301
efficace, séduisante, riche et complexe d'une sorte de version de référence
de la Révolution.
Jusqu'en 1984 les options retenues par le conseil scientifique du musée,
composé essentiellement d'historiens spécialistes de la période révolutionn
aire, ne tranchaient pas véritablement la question de savoir si le château
de Vizille devait être un musée ou un lieu de mémoire. Une reconnaissance
administrative avait bien été obtenue pour l'appellation mus