Quelques souvenirs de Tahiti entre 1942 et 1945 (1ère partie) - article ; n°1 ; vol.94, pg 127-142
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Description

Journal de la Société des océanistes - Année 1992 - Volume 94 - Numéro 1 - Pages 127-142
16 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1992
Nombre de lectures 213
Langue Français
Poids de l'ouvrage 2 Mo

Extrait

Claude Lestrade
Quelques souvenirs de Tahiti entre 1942 et 1945 (1ère partie)
In: Journal de la Société des océanistes. 94, 1992-1. pp. 127-142.
Citer ce document / Cite this document :
Lestrade Claude. Quelques souvenirs de Tahiti entre 1942 et 1945 (1ère partie). In: Journal de la Société des océanistes. 94,
1992-1. pp. 127-142.
doi : 10.3406/jso.1992.2612
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/jso_0300-953X_1992_num_94_1_2612Quelques souvenirs de Tahiti entre 1942 et 1945
(lre partie)
par Claude LESTRADE
Fils d'un administrateur en poste à Tahiti, Claude LESTRADE
entreprend de raconter ici sur un ton très personnel les choses
vues et vécues avec ses parents pendant la guerre entre 1942
et 1945. Il s'agit d'un témoignage précieux sur les mœurs et
mentalités de l'époque.
La Rédaction
I. — «Panem et Circenses». «Xes Tahitiens aimaient les boîtes de conserves car
elles n'impliquaient pas d'efforts.
Le gouverneur Orselli qui dirigeait les « Établis •^.Le « Punu-Puaatoro » (bœuf en boîte) avait grand
sements Français de l'Océanie » depuis septembre succès, comme le beurre néo-zélandais (en boîtes
1941, avait immédiatement compris qu'entre autres vertes et jaunes) Mf< les soupes concentrées
choses le Tahitien en demandait deux : 1) pouvoir « Campbell » ou « Heinz », le lait en poudre,
se procurer, sans trop de problèmes, de quoi mang etc..
er et boire. 2) Que la guerre ne l'empêche pas de
faire la « bringue » comme il l'a toujours faite. Bien Ceux qui avaient la chance de connaître des gens
entendu, ces paroles ne signifiaient pas que le Poly sur les bateaux les mettaient plus ou moins discr
nésien, pendant la guerre, ne pensaifqu'à se nourr ètement à contribution, pour le superflu comme
ir et à se distraire (nous verrons tout à l'heure qu'il pour le nécessaire. De la pomme-de-terre à la ciga
fit tout de même autre chose) mais, tout compte rette blonde, du rouge à lèvre aux côtelettes congel
fait, un régime puritain et austère n'aurait en rien ées, les articles les plus divers, alimentaires ou
hâté la victoire des alliés ni aidé les combattants du autres, passaient/ies soutes ou des cabines, aux pla
«Bataillon du Pacifique»... les paroles du gouver cards des foyers des insulaires.
Parmi ces ravitailleurs particuliers — providence neur procédaient de la même sagesse que celle de
cet empereur romain qui avait dit : « que demande des familles à court de réserves — se trouvait le
le peuple ? le pain et les jeux du cirque (panem et confortable cargo norvégien Thor, qui avait
échappé à l'occupation allemande et faisait du circenses) ».
transport entre San-Francisco et les Nouvelles-
Hébrides en passant par Tahiti. Son commandant 1) Les nourritures solides.
se nommait Abrahamsen et était le sosie du roi
d'Angleterre Georges VI. Or, aux Nouvelles- Grâce à l'habile politique d'échanges avec l'ex
térieur du gouverneur et de son équipe, Tahiti fut Hébrides l'épouse d'un administrateur était elle, le
probablement l'un des pays belligérants qui eurent sosie de la reine Elizabeth (mère de l'actuelle reine
le moins à souffrir des restrictions alimentaires, d'Angleterre) et certains imaginaient les canulars
que cesjieux ressemblances auraient permis sur de bien qu'elles n'aient pas été inexistantes. Le ratio
nnement et les tickets (l'on disait « les bons ») étaient naïves victimes!... Il était avantageux d'être en bons
termes avec l'intendant du navire, nommé Robert- devenus nécessaires pour plusieurs produits, d'au
tant plus que les importations constituaient la sen, grâce à qui l'on pouvait se procurer d'appréc
majeure partie de ce qui était consommé. Les pério iables suppléments alimentaires, variés et parfois
des de « vaches maigres » (mais tout de même ni bizarre £. comme cette curieuse mixture aux ingré
squelettiques ni enragées) alternaient avec les pério dients multiples, sorte de vinaigrette désignée sur
des de « vaches presque^ grasses »... ces fluctuations l'étiquette du nom de « French dressing », ce qui
dépendaient de l'arrivée des navires. Bien entendu, semblait dénoter, chez ses inventeurs, une étrange
plus rien ne venait de France et le ravitaillement conception de la cuisine française.
était, entre autres provenances, importé des U.S.A. Pour certains, et, surtout pour certaines, la plus
et de Nouvelle-Zélande. fameuse corne d'abondance était constituée par la
i 128 SOCIÉTÉ DES OCÉANISTES
base américaine de Bora-Bora, où 40 000 militaires zéro degré, «ice-cream» était l'expression
mâles de l'Oncle Sam, magnifiquement équipés et consacrée). Les propriétaires, souvent chinois, de
ravitaillés, s'ennuyaient ferme en dehors de leurs ces minuscules boutiques ambulantes, se consti
heures de service. Ils venaient en permission à tuaient, sous des allures de « gagne-petit », de
Tahiti, où l'élément féminin local excellait dans coquets comptes en banque.
l'art de leur faire débourser leurs dollars... ce qui La viande fraîche n'était pas toujours facile à
était un démenti flagrant à une chanson franco- trouver, ce qui faisait particulièrement apprécier le
tahi tienne prétendant que... gigot de mouton frigorifié de Nouvelle-Zélande, au
goût agréable et aux prix modéré. « À San-Francisco, les femmes sont jolies
Quelques charcuteries avaient pignon sur rue... Mais pour les avoir
par exemple celle tenue par Mr Pierre Constant et II faut des dollars
Madame Cazola, ou bien 1' « Oceanic Marquet » Tandis qu'à Tahiti, on les a pour rien !...
(« Chez Oscar ») que Mr Oscar Nordmann avait vive Tahiti, le pays des Amours » etc.. etc...
installé face à la cathédrale, ou bien encore cette
Invitées à leur tour à Bora-Bora, ces dames en boutique aussi minuscule qu'active tenue par un
revenaient éblouies par cette abondance de matériel Tchécoslovaque que personne n'appelait autrement
militaire, de friandise et de gadgets... Eles avaient que « le tchéco », ce dont, d'ailleurs, il ne se for
empli leurs valises en échange du prêt de leurs gra malisait pas. Les porcs, quand ils étaient nourris au
cieuses personnes. L'on ne cherchait pas à coprah, donnaient un jambon dont la partie grasse
comprendre cet arcane de l'intendance militaire était cassante comme de la parafine et avait, plus
américaine faisant qu'une base uniquement compos que vaguement, un arrière-goût de noix de coco. Le
ée d'hommes avait, dans ses stocks, de la poudre charcutier Tchécoslovaque vivait avec une «vahi
de riz, des parfums féminin, du rouge à lèvres, des né » qui avait la langue quelque peu vipérine. Un
sous-vêtements de soie, des bas nylon et autres fan jour qu'elle l'avait, une fois de plus, fort copieu
freluches si recherchées par le beau sexe en ces sement injurié et que, stoïque, il ne répondait rien,
temps de disette. un ami s'étonna de sa passivité. «J'ai lu dans la
Bible, répliqua-t-il, le précepte suivant : " Tu ne Sous l'impulsion de l'administration et de quel
ques initiatives privées, Tahiti se mit à produire jetteras pas des perles à une truie " ».
elle-même certains articles qui, s'ils ne remplacèrent La pomme de terre était un luxe, car Tahiti n'en
pas toutes les importations, permirent notablement produisait pas. Le climat de Râpa, l'île polyné
de les réduire. L'on vit ainsi apparaître du tabac sienne la plus méridionale, en permettait quelque
local, des cigarettes marque « Tahiti », de « l'eau de peu la culture. Pour cette denrée, comme pour tant
cologne » tahitienne « Avion », de l'huile de d'autres, il fallait donc compter sur les bateaux.
table « Arafine » à base d'arachide, et « Cocofine » Elle n'était, d'ailleurs, pas indispensable, car les
à base de coprah, s'ajoutant aux conserves de racines comestibles abondaient : taros, patates douc
Thon, de bonite et d'annas produites déjà par es, ignames (: Uhi, « Dioscorea, Alata »), fruits de
l'usine de l'américain Lewis Hirshon. Tahiti pro l'arbre à pain (: Uni ou Maiore « Artocarpus inci
duisait également un savon, sous forme de gros sa »),

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