Qui est l auteur du comte d Anjou ? - article ; n°11 ; vol.5, pg 85-98
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Description

Médiévales - Année 1986 - Volume 5 - Numéro 11 - Pages 85-98
14 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1986
Nombre de lectures 22
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

† Roger Dragonetti
Qui est l'auteur du comte d'Anjou ?
In: Médiévales, N°11, 1986. pp. 85-98.
Citer ce document / Cite this document :
Dragonetti Roger. Qui est l'auteur du comte d'Anjou ?. In: Médiévales, N°11, 1986. pp. 85-98.
doi : 10.3406/medi.1986.1041
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/medi_0751-2708_1986_num_5_11_1041Roger Dragonetti
QUI EST L'AUTEUR DU COMTE D'ANJOU ?
Les auteurs du moyen âge savaient que la mise en aventure d'un nom et
celle de l'œuvre pouvaient participer d'un seul et même désir d'invention, autrement
dit, que et sa signature s'écrivaient Tune par l'autre, se frayaient un chemin
en direction d'une identité disparue et dont la lecture relance la quête.
Le Roman du Comte d'Anjou (1) illustre de la façon étonnante l'art subtil
avec lequel le romencier a su jouer des effets de cette signature et en pratiquer
l'esquive tout en y faisant allusion de façon, sinon précise, du moins suffisamment
insistante pour que le lecteur, attiré dans l'avanture du récit, se sente investi du rôle
de déchiffreur d'énigmes. Montrer que cette énigme n'a rien à voir avec la
découverte d'une réalité historique, mais beaucoup avec l'écriture de l'œuvre, tel
sera l'enjeu de cette étude. Voilà pourquoi l'hypothèse, qui attribue à Jehan MaUlart
la paternité de ce roman, n'apporte, selon nous, qu'une solution décevante.
Ce nom, qui revêt aujourd'hui la force d'une évidence, résulte d'une argu
mentation d'une extrême fragilité et n'a pour elle que l'autorité du magister dixit,
mais, comme le disait saint Bernard, amor nescit reverentiam.
Pressés de parvenir à des résultats positifs, les médiévistes, et parmi les plus
éminents, ont cédé une fois de plus au piège de l'identification biographique en négli
geant non seulement les aspects formels du récit, mais la lecture du sens le plus obvie
du passage de l'envoi, où l'auteur propose, au lecteur, le chemin à suivre pour découv
rir la signature du texte. Bref, le nom de Jehan MaUlart n'est, pour nous, que l'effet
d'une méprise.
Avant d'entrer en matière, il convient de formuler quelques remarques génér
ales sur Y envoi (2) du Roman, où le lecteur est invité par l'auteur à trouver son nom
et son surnom.
Il faut noter que l'argument de la signature cryptique s'accompagne dans
l'envoi d'un aveu de faiblesse, voire d'impéritie. L'auteur, jouant la modestie, con
fesse qu'il est dépassé par l'exigence d'un art, dont il ne maîtrise pas la science, et
1. Les textes sont cités d'après l'édition Mario Roques, Paris, Champion (CFMA), 1974.
2. Ce qu'on appelait envoi dans la chanson courtoise, était réservé aux derniers vers contenant en général la
dédicace de l'œuvre, souvent conçue comme une sorte de message. Ici, dans le Roman, l'envoi comporte un'
assez long développement (8061-156) où, après avoir terminé le récit, l'écrivain s'explique sur son art et la signature
cryptique du roman, le tout s'achevant sur l'adresse au destinataire. 86
où il avance, un peu à l'aveugle, comme s'il en était encore toujours à ses premières
armes. L'œuvre laborieuse se donne à lire comme le travail d'un homme dont la rudesse
semble manquer des ressources de la subtilité. D'où l'auteur conclut qu'il aura besoin
de toute l'indulgence du lecteur :
Ne grant senz n'ai pas aûsé ':
Si m'en aiez pour excusé (8117-18)
N'en croyons rien : toute cette mise en scène de la rudesse de l'écrivain fait
partie des ruses rhétoriques ; effets de discours, dont les lieux communs appartien
nent, depuis l'antiquité, aux topiques de l'exorde et de la conclusion (3). Car la ques
tion n'est pas d'adopter tout simplement une attitude modeste pour s'attirer la bien
veillance du public : l'orateur ou l'écrivain sont depuis toujours des acteurs de la modest
ie et de la sincérité. L'artifice consiste à feindre la maladresse pour faire valoir, par
voie détournée, le sentiment que peut avoir l'écrivain de la perfection d'un art, où
l'aveu de la ruditas, ou du manque, ne vise qu'à produire la fleur de cette perfection
même comme effet d'une seconde simplicité ou de ce qu'on appelle, dans les rhétori
ques, le naturel de l'art.
Un Pierre Damien (4) (Xle s.), un Rutebeuf, un GuiUaume de Machaut,
un Jean Molinet (S), un Montaigne (6), jouent constamment avec la rhétorique, et
contre elle, sur la corde de la rudesse et du naturel. Voilà pourquoi Rutebeuf pouvait
dire :
Rustebués oevre rudement,
Sovent en sa rudece ment (7).
C'est bien aussi de ce mensonge que fait partie la rudesse de l'auteur du
Comte d'Anjou : un art dont la subtilité prend le masque de son manque et dit une
chose pour en faire une autre.
L'insistance que met le romancier à se complaire visiblement dans l'étalage
de la médiocrité de son art, jusqu'à en faire pratiquement l'argument de tout l'envoi,
donne à penser. C'est à plusieurs reprises qu'il revient non seulement sur la rudesse
de son intelligence, mais encore sur la peine que lui a coûtée la composition de l'ouvrage,
au point qu'il a fallu prendre des moments de repos (mainte reposée, v. 8086), qui
ont duré parfois trois anz tous plainz (v. 8087).
Tout l'envoi porte les signes de cette stratégie rhétorique, par où le romanc
ier ne perd jamais de vue l'appel à l'indulgence du lecteur ni, encore moins, le désir
d'être entendu par le destinataire. Autrement dit, tout se passe comme si l'œuvre avait
été écrite sous le regard d'un lecteur exigeant et dans la crainte que celui-ci, décelant
une maladresse (qui male faction i verra, v. 8078) n'exprime une critique trop acerbe
sur la rudesse d'esprit que le romancier, jouant la sincérité, s'est imputée à lui-même.
3. Cf. CURTIUS, La Littérature européenne et le moyen âge latin, trad. Bréjoux, Paris (PUF), p. 104.
4. Petrus Damianus, grand contempteur du siècle, mais grand virtuose du style, ne cesse de feindre la rudis
simplicitas de son écriture et le sermo pauperculus de son discours. Cf. à ce sujet, A. CANTIN, Les Sciences
séculières et la Foi, les deux voies de la science au Jugement de Pierre Damien, Spoleto, 1975, p. 335 sq.
5. Voir J. CERQUIGLINI,«(/n engin si soutil», GuiUaume de Machaut et l'écriture au XlVe s., Paris, Champ
ion, 1985.
6. Voir en particulier le livre I, chap. XXVI de L'Institution des enfants.
7. Le Sacristain et la femme au chevalier, éd. Bastin-Faral, 11, p. 234, v. 759-760 ; Voire aussi notre étude,
Les poèmes de la «griesche», in Prisent à MaUiney, l'Age d'homme, Lausanne, 1973, p. 87-89. 87
On reconnaîtra que c'est beaucoup de précautions prises contre ce redoutab
le lecteur, eu égard à cette impéritie que l'auteur prévoyant a pris soin de mettre
en scène, avec un zèle dont l'excès risque de paraître suspect. Il suffit en effet de lire
attentivement ce plaidoyer à double entente pour voir aussitôt affleurer, entre les aveux
touchants du romancier en défaut de talent, un désir de perfection qui a requis une
longue étude et de «longues veillées» (v. 8130).
Ainsi, deux voix contraires s'enchevêtrent et même parfois se brouillent. Comm
ent savoir, en effet, si les mainte reposée sont dues au fait que le poète s'est trouvé
engagé dans d'autres occupations, comme il semble le dire :
Car ailleurs avoie a entendre (8090)
ou si cet ailleurs ne se confond pas avec le lieu d'une évasion nécessaire au poète*
disons même une fuite dans le rêve, et dont la faute n'est telle qu'en regard d'une
logique de la raison :
Se faute y a, n'est pas merveille,
Car a la foiz ^parfois home sommeille (8091-92).
Ne dit-on pas : dormitat aliquando bonus Homerus ? Les images du rêve dissimul
ent une vérité profonde pour maints poètes du moyen âge. Quoi qu'il en soit, il faut
noter que, dans la suite de l'envoi, le romancier, haussant le ton jusqu'à l'invective,
s'en prend aux envieux qui ont eu l'audace de faire des reproches a son œuvre :
Et se je ne me puis estordre
Qu'aucun ne me veille remordre
Par anvie gui tout deveure,
Je pri a Dieu que il enqueure
La maudichon d'un aucteu

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