Qui sait ? - article ; n°1 ; vol.36, pg 49-74
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Description

Communications - Année 1982 - Volume 36 - Numéro 1 - Pages 49-74
26 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1982
Nombre de lectures 10
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Eliseo Verón
Qui sait ?
In: Communications, 36, 1982. pp. 49-74.
Citer ce document / Cite this document :
Verón Eliseo. Qui sait ?. In: Communications, 36, 1982. pp. 49-74.
doi : 10.3406/comm.1982.1538
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/comm_0588-8018_1982_num_36_1_1538Eliséo Véron
... Qui sait ?
INTRODUCTION PAR LA SUITE ECARTEE.
Autant le dire franchement dès le départ : j'ai mis plus d'un an à
écrire ces quelques pages, ou plutôt, entre le projet de cet article et
le début de sa rédaction (que voici) il s'est écoulé à peu près un an.
(Il faut lire : entre l'acte consistant à répondre « oui » à la question
de savoir si je voulais contribuer au numéro de Communications
sur Roland Barthes, et le moment où j'écris ces lignes.) Le seul
moyen que j'ai trouvé pour commencer a été de dire combien j'ai
eu du mal à commencer.
Et pourtant, ce « oui » ne m'avait pas été arraché, bien au
contraire.
(Je ne sais plus si, au moment de répondre, j'avais eu envie
d'écrire cet article ou plutôt le sentiment d'une dette, d'une
obligation. J'ai peut-être transformé le souvenir de l'envie, ponct
uelle et opaque, qui m'avait fait répondre « oui », en une sorte
d'évidence morale justifiant à mes propres yeux la réponse que
j'avais donnée, et me permettant ainsi de persévérer dans mon
projet. L'inverse me paraît tout aussi vraisemblable : le sentiment
confus d'une dette m'ayant fait répondre « oui », j'aurais pris par
la suite le souvenir de ma réponse comme souvenir d'une
envie.)
Vouloir ou devoir : ces deux positions ne sont peut-être pas
aussi distinctes, après tout, que le veut le carré sémiotique.
Incapable de dire si mon désir portait sur la dette elle-même (si je
voulais devoir écrire article) ou bien si le sentiment d'obliga
tion portait sur le désir (si je sentais que je devais vouloir le faire),
je croyais par contre être au clair sur le savoir ; je croyais savoir,
autrement dit, quel devait être le thème de mon texte.
En effet. En feuilletant, quelque temps après avoir donné mon
49 Eliséo Véron
« oui », les livres de Roland Barthes que j'ai dans ma bibliothèque
(il est l'un des rares auteurs que j'ai toujours lu systématiquement
— je veux dire : que je lisais au fur et à mesure qu'il publiait),
j'étais tombé sur une dédicace (il s'agissait du Sade, Fourier,
Loyola) qui disait : « A E.V., un espace sémantique peu social...
mais, qui sait ? »
J'avais cru ainsi trouver, tout naturellement, le thème de mon
article : essayer de dégager la « pertinence sociologique » de
l'œuvre de Roland Barthes. On pouvait considérer qu'une certaine
dimension sociologique, plus ou moins explicite dans ses premiers
travaux (comme le Degré zéro de l'écriture et les Mythologies)
était devenue de plus en plus secrète par la suite, sans disparaître
pour autant. L'interrogation restée en suspens dans sa dédicace
me paraissait une invitation à entreprendre ce travail.
Je me suis donc mis à la tâche et, pour commencer, à relire ses
livres, dans l'ordre chronologique. Mais au fur et à mesure que
j'avançais dans ma lecture, l'évidence devenait de plus en plus
incontournable : l'objectif que je m'étais fixé était impossible à
atteindre.
C'est alors que j'ai écrit ce début d'introduction. En le relisant,
j'ai cru comprendre pourquoi j'avais fait fausse route. Je me suis
dit que pour arriver à l'essentiel il ne me restait qu'à réfléchir sur
mon impossibilité d'écrire l'article que je m'étais proposé de
faire.
ET APRÈS ?
Voici maintenant pourquoi, en relisant ce début d'introduction
j'ai compris quel était le véritable enjeu de cette impossibilité
d'écrire mon texte. Et après ? Précisément : après une introduct
ion, on est censé entrer en matière. Même si je parlais de Roland
Barthes sous la forme détournée d'un commentaire sur mon
impossibilité d'en parler (forme, somme toute, assez banale)
l'effet d'« entrée en matière » restait inévitable : je ne pouvais pas
y échapper. Bien entendu, le début d'un article n'est pas nécessa
irement une introduction : il suffit de l'appeler autrement, ou de ne
pas lui donner de nom du tout.
Pourquoi ai-je donc ressenti le besoin de commencer par une
introduction comme celle-là ?
Je crois d'une part être tombé (maigre consolation : comme bien
d'autres qui ont écrit sur lui depuis sa mort) dans une sorte de
50 ... Qui sait ?
piège de la légitimation. Ecrire sur quelqu'un lorsqu'il est vivant
est une situation triviale (j'ai rarement écrit sur quelqu'un, bien
que cela me soit arrivé quelquefois et il y a longtemps : Lévi-
Strauss, Althusser ; en tout cas, jamais sur Roland Barthes — j'ai
repris ses idées, je l'ai cité, mais je n'ai jamais écrit sur lui). Ecrire
sur quelqu'un lorsqu'il est déjà mort est aussi quelque chose de
courant. Mais écrire sur quelqu'un parce qu 'il est mort, parce qu 'il
vient de mourir, implique une position d'énonciation qui a
quelque chose d'intolérable. Pour y faire face, un stéréotype vient
tout de suite à notre secours : « rendre hommage à l'auteur
disparu 1 ».
Or, n'importe qui ne peut « rendre hommage » (par l'écrit
publié, c'est-à-dire, publiquement) à un « auteur disparu ».
Autrement dit : si une telle écriture appelle une justification qui
est de l'ordre du savoir, ce dernier ne suffit pas à légitimer le
tenant de cette énonciation. En effet : si quelqu'un écrit sur un
auteur, c'est parce qu'il croit savoir quelque chose sur lui ; si ce
qu'il écrit est destiné à la publication, c'est que d'autres croient sait quelque chose sur cet auteur ; aussi que ces autres
croient qu'il existe des lecteurs qui seraient intéressés par ce qu'il a
à dire (à ce qu'il sait) sur cet auteur. Mais ces implicites touchant
le savoir ne suffisent manifestement pas ici. Car si j'avais des
choses à dire sur lui, pourquoi ai-je attendu sa mort pour le faire ?
Ici, l'intolérable pointe : pourquoi ai-je attendu sa mort pour
écrire sur lui ? Pourquoi ai-je attendu qu'il ne puisse plus me lire
pour parler de lui ? Ce que j'ai à dire de lui, ne l'aurait-il donc pas
intéressé, lui ? Aurais-je des choses à dire sur lui et qui auraient pu
ne pas être des choses à lui dire ? Et encore : pourquoi devrais-je le
faire maintenant et non pas dans un an ou dans dix ans ? C'est
cela : pourquoi maintenant ?
Or, la réponse à cette question ne peut être autre que : parce
qu'il vient de mourir. Et cette réponse est à proprement parler
absurde, elle ne fait que masquer l'intolérable sous le voile du
genre : l'hommage.
Si je refuse ce masque de l'hommage, je suis dans l'impasse, car
je ne peux « entrer en matière » sans tomber sur la question :
pourquoi maintenant ? (Une seule catégorie dénonciateurs n'a
pas à répondre à cette question : les journalistes ; comme ils
s'occupent des événements d'actualité, ils n'ont pas à justifier de
s'occuper de la mort de « personnalités » — y compris les auteurs.
^ Ils On sont est les donc énonciateurs bien obligé du de « négocier maintenant avec ».) le genre ; on ne peut
pas y échapper. Il suffit de regarder les douzaines de textes qui ont
51 Eliséo Véron
été écrits sur Roland Barthes depuis sa mort : si je laisse de côté
ceux qui n'ont fait que reproduire le genre, je pourrais, avec tous
les autres, construire une typologie des façons (plus ou moins
détournées, plus ou moins réussies) de négocier avec la norme de
l'hommage ; de trouver, en somme, un compromis. Chacun de ces
textes a été amené à marquer, quelque part, son exceptionnalité.
Et plus le texte est « thématique », c'est-à-dire, plus l'article
aurait pu être écrit n'importe quand, plus cette marque est
nécessaire, car plus la question de savoir « pourquoi maintenant »

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