Recevoir, c est donner - article ; n°1 ; vol.65, pg 35-48
15 pages
Français

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris

Recevoir, c'est donner - article ; n°1 ; vol.65, pg 35-48

-

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus
15 pages
Français
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus

Description

Communications - Année 1997 - Volume 65 - Numéro 1 - Pages 35-48
14 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1997
Nombre de lectures 25
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Jacques T. Godbout
Recevoir, c'est donner
In: Communications, 65, 1997. pp. 35-48.
Citer ce document / Cite this document :
Godbout Jacques T. Recevoir, c'est donner. In: Communications, 65, 1997. pp. 35-48.
doi : 10.3406/comm.1997.1985
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/comm_0588-8018_1997_num_65_1_1985Jacques T. Godbout
Recevoir, c'est donner
Les cœur gratuitement dire J'ai bien vende petites remarqué ; toutes Je est l'hospitalité. suis mieux privations ses homme ; qu'il je traité aises. comprends n'y Dans et s'endurent que Mais reçu a que toute le chez n'est-ce qu'on corps. l'Europe l'Asie sans des n'y humains rien peine on trouve seule que vous quand où ? pas de loge [...] l'on se le si
Rousseau, Les Rêveries du promeneur solitaire
Qu'est-ce que le don peut nous apprendre sur l'hospitalité ? Ce phé
nomène social complexe ne relève certes pas uniquement du don. Mais
on peut se demander si on peut parler encore d'hospitalité lorsque cette
dimension est totalement absente. L'importance du don dans l'hospitalité
sera d'abord envisagée à partir des résultats d'une recherche sur la ci
rculation des choses dans les réseaux de parenté. La réflexion sera ensuite
élargie à l'hospitalité urbaine et sociétale.
L'HOSPITALITÉ ENVISAGÉE COMME DON
Même si l'étude du don porte sur ce qui circule entre les humains
(individus, groupes, sociétés), on ne peut rien dire à propos du don si on
se contente d'observer ce qui circule. Le don est une réflexion sur le sens
de ce qui circule entre les acteurs. Un exemple simple illustrera l'impor
tance du sens dans le don : dans une recherche sur le don dans la parenté,
un frère aîné affirme avoir beaucoup donné à sa sœur plus jeune ; ren
contrée à son tour, celle-ci fait spontanément le commentaire suivant
lorsqu'on lui mentionne qu'elle a beaucoup reçu de son frère : « Je n'ai
pas reçu, j'ai pris. »
Par comparaison avec le marché, qui est le modèle de référence de la
35 Jacques T. Godbout
circulation des choses dans notre société et qui se définit par l'offre et la
demande, on adopte généralement le modèle des trois moments, des trois
obligations du don : donner, recevoir, rendre. Adopter cette perspective
signifie que le don ne se définit pas comme l'absence de retour, puisque
l'un des moments consiste en l'obligation de rendre. Mais ce retour n'a
pas le sens d'un échange économique. En outre, alors que, dans un
échange de type économique, recevoir va de soi, dans le modèle du don,
recevoir ne va pas de soi. Mais il faut admettre que l'on a négligé l'étude
de cette obligation sociale difficile dans le contexte du don : celle de bien
recevoir. Cet aspect est pour ainsi dire incontournable dans l'hospitalité :
recevoir ne va pas de soi ; être reçu non plus. L'hospitalité est donc centrée
sur le moment le plus oublié dans l'étude du don : recevoir (Gotman,
1995).
A la suite de Mauss, on a décrit ces trois moments comme des obliga
tions. Il ne s'agit cependant pas d'obligations légales ou formelles, mais
plutôt d'obligations morales, contenant un élément de liberté. Au début
de son « Essai », Mauss insiste davantage sur le caractère obligatoire du
don. Mais plus il avance dans sa recherche, plus il est conduit à mettre
en évidence le caractère libre du don, « l'obligation et la liberté inextr
icablement mêlées », dit-il (1950, p. 258, 265).
Si l'obligation diffère de la contrainte légale, la liberté, elle, est diffé
rente de la liberté marchande, qui consiste à se libérer des liens sociaux,
à pouvoir « sortir » d'un rapport social sans contrainte, comme l'a si bien
décrit Hirschman (1970). C'est le modèle de la liberté moderne. Au
contraire, l'univers du don situe la liberté dans le lien social. L'hospitalité
permet d'illustrer ce dernier point. La liberté marchande correspond à
l'hospitalité vendue : en payant, on est entièrement libre de partir quand
on veut. (Mais sommes-nous encore reçus ?) Nulle trace de dette entre le
client et son hôte.
Au contraire, parler de don, c'est parler de dette. A la différence du
rapport marchand, qui vise l'échange immédiat, qui vise à tout régler
dans le contrat, le don initie un cycle sans fin. Entrer dans un rapport
de don, c'est entrer dans un rapport de dette dans lequel un ensemble de
mécanismes maintiennent continuellement le déséquilibre et la dette
(Gouldner, 1960) et font qu'on n'est jamais quitte. Cette dette peut être
vécue positivement ou négativement.
Mentionnons enfin un dernier élément : non seulement le rapport du
don est sans fin, mais il tend à s'amplifier. Non on rend, mais
on rend souvent plus qu'on n'a reçu : c'est l'idée de la surprise, du sup
plément, du quelque chose en plus (« something extra » : Cheal, 1988),
et du potlatch abondamment étudié par les anthropologues (Schulte-
Tenckhoff, 1986). Cette idée, essentielle au don, fait que celui-ci entre-
36 c'est donner Recevoir,
tient un rapport étrange à la règle : elle est souvent là pour être trans
gressée, et cette transgression manifeste l'importance que le donneur
accorde au receveur en le considérant comme un cas unique et en lui
montrant que le don n'est pas fait pour obéir à une règle, mais qu'il lui
est personnellement adressé, qu'il est fait pour lui (Godbout et Caillé,
1992).
L'HOSPITALITÉ DANS LA PARENTÉ 1
Nous avons étudié l'hospitalité dans le cadre d'une recherche sur la
circulation du don dans sept réseaux de parenté au Québec. Comme tout
ce qui circule dans la parenté, l'hospitalité peut se situer dans un esprit
d'aide, ou de cadeau. L'hébergement d'un membre de la parenté en
difficulté illustre le premier type d'hospitalité, alors que les réceptions de
Noël sont caractéristiques de l'esprit du cadeau. L'étude de l'hospitalité
est négligée (Cheal, 1988, et Caplow, 1982, font exception) au profit de
celle de l'échange de services. Pourtant, nous avons pu constater que les
deux types d'hospitalité demeuraient très importants dans les réseaux de
parentérL'hébergement est fréquent, en cas de rupture d'union surtout.
Quant à l'hospitalité qui prend la forme de réceptions non utilitaires, elle
accompagne tous les événements importants, annuels ou marquant les
différentes étapes du cycle de vie. En outre, il est rare que rien d'autre
que les personnes elles-mêmes ne circule lorsque deux personnes se visi
tent, ce que serait le phénomène dans sa forme pure. Des cadeaux accom
pagnent généralement l'hospitalité. Inversement, les importants
se font toujours dans le cadre de l'hospitalité et sont accompagnés de
rituels. Au point que, à l'occasion d'une réception comme celle de Noël,
bien malin serait celui qui pourrait dire ce qui vient en premier : les
cadeaux ou l'hospitalité. Mais, sauf à Noël, l'essentiel se passe à un autre
niveau que celui des choses qui circulent (nourriture, petits cadeaux,
histoire de ne pas « arriver les mains vides »), et les objets qui circulent
servent à nourrir cet autre niveau. Car dans l'hospitalité, le don, c'est
d'abord la personne elle-même qui se déplace et se rend chez celle qui la
reçoit, ce qu'exprime bien le langage courant : on dit « recevoir » pour
celui qui en fait donne quelque chose (son espace et sa nourriture, « le
gîte et le couvert »). Mais il reçoit quelqu'un, et c'est ce qui l'emporte.
A cet égard, on distingue deux statuts possibles pour la personne reçue :
celui de membre et celui tf étranger. Les réceptions entre membres célè
brent, attestent, nourrissent l'appartenance au réseau. Mais il est inté
ressant de noter que même pour l'hospitalité, qui se déroule entre les
37 Jacques T. Godbout
membres les plus proches du réseau familial, une frontière existe entre
celui qui reçoit et celui qui est reçu. En fait, le phénomène de l'hospitalité
instaure une différence de statut provisoire. L'hospitalité se situe toujours
à la frontière

  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents