Heureux les pauvres : c est bientôt la quille ! - article ; n°1 ; vol.17, pg 49-60
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Description

Autres Temps. Les cahiers du christianisme social - Année 1988 - Volume 17 - Numéro 1 - Pages 49-60
12 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1988
Nombre de lectures 17
Langue Français

Extrait

Jean-Pierre Molina
Heureux les pauvres : c'est bientôt la quille !
In: Autres Temps. Les cahiers du christianisme social. N°17, 1988. pp. 49-60.
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Molina Jean-Pierre. Heureux les pauvres : c'est bientôt la quille !. In: Autres Temps. Les cahiers du christianisme social. N°17,
1988. pp. 49-60.
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/chris_0753-2776_1988_num_17_1_1209C'EST BIENTOT
LA QUILLE !
Essai de théologie populiste
Jean-Pierre Molina
Quand un utilisateur chrétien de la langue française cherche la trace des
pauvres dans les Ecritures, quelles images a-t-il en tête au moment où il
entreprend cette recherche ? Celles qu'éveille un concept très chargé
d'histoire et d'actualité : la pauvreté-malheur et la pauvreté-valeur;
synonyme d'ascèse éducative (« pauvreté chrétienne », « il leur faudrait
une bonne guerre », « t'as les mains trop propres pour savoir le prix du
pain », « vœu de pauvreté », « les gens sont devenus trop riches pour
avoir le courage de faire la grève », etc.) et de dénuement dégradant
(« Lutte contre la pauvreté-précarité », « on n'est pas des nouveaux pau
vres », « une société à deux vitesses qui conduit une partie de la populat
ion à sombrer dans la pauvreté », etc.); et entre ces deux imageries oppos
ées celle de la pauvreté-leçon de vertu pour les riches (« éminente dignité
des pauvres », « la pauvreté spirituelle est souvent plus poignante que la
simple pauvreté matérielle », « il faut être bon pour les pauvres et remerc
ier Dieu de nous tenir en cette aisance qui est sœur de décence », etc.).
Pour que la recherche s'avère utile il faudrait alors viser à reconnaître
non seulement le sort des mots bibliques que nos traductions rendent par
« pauvre » et « pauvreté » mais encore s'il existe dans les textes des
notions, des personnes, des situations, des événements ou des lois corre
spondant à l'ambivalence de nos pauvretés.
A cette dernière question on peut répondre : oui, l'impression d'ensemb
le est celle d'une parole double et sans doute dialectique; non, cette
impression ne résulte pas de textes bibliques qui porteraient en eux-mêmes doute quant à la manière d'apprécier la pauvreté, mais plutôt du con
traste et parfois du conflit entre ces textes : certains magnifiant les pauv
res, d'autres affirmant que Dieu enrichit ceux qui l'aiment.
Sur tous ces points, voici résumées en formules schématiques les obser-
Jean-Pierre Molina est animateur biblique de la Mission Populaire.
49 vations discutables d'un bibliste omnipraticien dont la sensibilité est assu
rément marquée par ses liens personnels avec le monde ouvrier et le milieu
paysan, et par son travail au service de la Mission Populaire.
Les mots
La pauvreté n'est plus ce qu'elle était :
Dans la forme où la Bible hébraïque nous a été transmise, la répartition
des mots relatifs à la pauvreté y est tributaire du schéma que les scribes
d'Israël ont utilisé après l'exil babylonien pour récapituler leur histoire
nationale et organiser les traditions plus ou moins antiques dont ils héri
taient :
Aux origines, il y a la steppe et la terre promise. Période tribale et com
munautaire. Ensuite la longue période monarchique avec ses villes, ses
rois nationaux, quelque temps, et longtemps les rois des autres. Et un ter
ritoire national qui tend à redevenir terre promise à force d'être menacé.
Représentatifs de la classe urbaine instruite, il arrive que ces histori
ographes ne distinguent plus très bien nomadisme et pauvreté : « Souviens-
toi que ton père était un araméen... nomade ? pauvre ? vagabond ? fai
ble ? » (Dt. 26/5), la traduction hésite sur l'adjectif. La Bible n'a pas de
mot pour désigner clairement nomade et sédentaire. Elle oppose le peuple
et les autres, le pays et le désert. Et tour à tour la richesse du pays « où
coulent le lait et le miel » sera valorisée et dévalorisée : valorisée par rap
port à l'errance présentée alors comme un forme de frustration; dévalori
sée quand elle devient l'apanage des courtisans et des usurpateurs tandis
que, par contraste, la steppe incarne les valeurs oubliées (cf. par exem
ple : Osée 12/9-10).
Compte-tenu de cette vision des événements, il est difficile de savoir si
l'Israël des tribus possédait un large éventail de mots pour dire la pau
vreté. Dans un proche passé on a parfois soutenu que le mot « mend
iant » était ignoré de l'Israël pré-monarchique, c'est-à-dire jusqu'au IXe
siècle avant notre ère : les tribus semi-nomades n'avaient pas l'usage de la
distinction riche-pauvre. En revanche, elles se rappelaient fort bien les
mots qui opposent le maître et l'esclave. A quoi l'on pourrait ajouter : les
scribes du VIe ou du Ve siècle qui éditaient la saga de cette époque se rap
pelaient eux-mêmes les mots qui distinguent le conquérant et le déporté,
l'occupant et le vaincu... (Cf. Dt. 5/15 et 26/5...).
Il y a pauvre et pauvre :
On peut diverger sur cette hypothèse, il est en revanche certain que
mendiant, indigent, sans-abri, pauvre-toutes-catégories, veuve et orphel
in... sont des termes qui fleurissent dans les textes nés à l'époque royale
ou relatifs à cette époque : sous les rois hébreux, le vocabulaire de la pau
vreté s'enrichit. Plus tard, au cours des deux siècles qui précèdent la
50 naissance de Jésus-Christ, probablement sous l'effet d'humiliations
nationales profondes et d'un conflit d'interprétation quant au sens du
phénomène « pauvreté », ce vocabulaire reçoit une forte connotation
symbolique jusqu'à désigner à côté de la pauvreté sociale, une pauvreté
par vocation.
Ainsi apparaissent les « pauvres d'Israël », « pauvres du Seigneur »,
« pauvres de la libération »... La communauté de Qum Rân se baptisera
elle-même « communauté des pauvres » alors que le dénuement matériel
n'est guère sa marque distinctive. Quant aux « pauvres de Jérusalem »,
communauté chrétienne dirigée par Jacques-le-frère-du-Seigneur, c'est
une question de savoir s'ils l'étaient vraiment et si leurs plus ou moins
directs descendants spirituels, les ébionites, autrement dit mendiants,
méritent socialement cette appellation. Mais il est clair que tous ces pau
vres des derniers temps bibliques entendent dans le mot pauvreté le signe
de ralliement d'une plus grande fidélité religieuse et non le slogan d'une
activité sociale et altruiste. La norme d'un groupe occupé à faire son
salut, plutôt qu'à combattre la famine. A la différence de nombreux phar
isiens et sadducéens contemporains de Jésus, qui ne revendiquent pas la
pauvreté pour eux-même et exercent une solidarité sociale active.
Lorsqu'on quitte l'hébreu biblique pour passer au grec hellénistique,
on observe que la langue de la Septante dispose d'un arsenal assez étendu
de termes désignant la pauvreté, mais qu'elle aussi les utilise avec une
assez nette tendance à passer du matériel au spirituel : le démuni devient
humilié — ce qui reste dur — à moins qu'il ne représente les humbles — ce
qui n'engage à rien.
Trêve de nuances :
Dans la complexité coloniale et esclavagiste de l'empire romain, le grec
du Nouveau Testament revient, quant à lui, à une étonnante économie de
vocabulaire, coupant simplement la société en riches et pauvres comme en
présence d'une réalité dualiste. Le mot qui désigne alors toutes les formes
de pauvreté est : Ptôchos, celui qui dans le grec littéraire signifiait « mend
iant ». Et qui semble bel et bien devenu alors l'équivalent de notre
« pauvre », lequel ne se conçoit bien qu'en symétrie avec « riche », son
complémentaire.
En résumé :
Pour parler de pauvreté la Bible fait alterner, au cours de ses âges suc
cessifs, pauvreté et richesse de vocabulaire. La richesse de vocabulaire
traduit sans doute une complexité sociale, des situations de pauvreté

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